We Have Decided Not To Die : Le Grand Saut
Découvrons, en trois temps et onze minutes, un univers et une vision de
la condition humaine aux
antipodes des imageries courantes…
Actuellement (re)connu pour Elastic
Heart et Chandelier, ses deux clips singuliers, inquiétants et tendres
signés avec sa compatriote Sia, métaphores toniques et dépressives que portent,
au sens le plus physique du terme, la
virtuose enfant-danseuse Maddie Ziegler – le patronyme du personnage de Pollack
dans Eyes
Wide Shut ! – et (ici) l’excellent Shia LaBeouf, l'artiste
polymorphe et australien Daniel Askill livra en 2003 un remarquable (et
remarqué, notamment au festival du cinéma d’animation de Clermont-Ferrand, où
il remporta le prix du public) court métrage : We Have Decided Not To Die,
qu'en outre il écrivit, monta et produisit (sur une musique à l’unisson de
l’œuvre composée par son frère Michael), y apparaissant de surcroît lors du
deuxième et central segment.
Ce triptyque émouvant et envoûtant,
d'une grande beauté plastique et faisant montre d'une utilisation à la fois
artisanale (le premier pan évoque Cocteau et ses miroirs liquides inversés) et magistrale
des effets spéciaux (on pense au Cronenberg de Faux-semblants pour une
semblable intelligence dans la discrétion, et de Crash pour le télescopage
automobile survolé par ce nouveau Christ au pantalon immaculé), déploie dans
son temps ralenti et en apesanteur (entre 50 et 500 images par plan au lieu des
24 habituelles, grâce à l’usage de photosonic cameras),
trois « rituels » judicieusement intitulés Birth, Between
et Rebirth.
Une femme dans une piscine, un homme sur une route, un autre dans un immeuble –
chacun va expérimenter (et nous avec) un continuum
spatio-temporel enfin débarrassé des lois de la gravitation, et de la
gravité, dans la double acception du mot, pour une allégorie sonore, muette et
musicale, sur l’immortalité enfin envisagée comme possible narratif, hypothèse
figurative exaltante, mais cependant dépourvue de la transcendance triomphaliste
des super-héros.
Askill reste au plus près de ses
corps mutants, filmés amoureusement dans leur perfection vaguement eugéniste et
monstrueuse (dimension retrouvée dans le mémorable clip de Can’t Get You Out of My Head pour
Kylie Minogue, « l’étrangeté » captivante de la chanteuse, de
nationalité identique, soulignée, magnifiée par le regard d’une autre femme, Dawn
Shadforth), saisis dans un décor mental aussi ductile qu’un matériau organique
(disons, argile adamique ou peau de chagrin balzacienne), délestés de passé,
ignorants de leur futur, immortalisés
par le film dans un présent recomposé, tout en harmonies formelles et
correspondances thématiques. Sensuel et sensoriel, épique et lyrique, interrogeant
les mystères de la chair mortelle avec la même lumière noire que Simona Vinci
dans ses livres (il faut oser les superbes et dérangeants Où sont les enfants ? et
Dans
tous les sens comme l’amour), We Have Decided Not To Die séduit de
la première à l’ultime image, dans une position inédite et stimulante au
carrefour du cinéma, de la danse et de l’art contemporain.
Sans une once de prétention ni
d’esbroufe, son formalisme équilibré à la perfection par sa plénitude
mélancolique, ce petit chef-d’œuvre de science-fiction métaphysique, tendance Asimov, s’ouvre et se clôt sur
la mer (la mort), son champ illimité en reflet des promesses troublantes de son
trio d’inconnus anonymes, si loin et si proches du spectateur. L’eau, le métal
et le verre s’unissent pour célébrer les noces du surhomme (et de son
équivalent féminin) avec son environnement aquatique, terrestre ou bétonné. Le
grand saut du dernier volet – en écho à celui de Henry Silva dans L’Anti-gang
de Burt Reynolds –, image matricielle du réalisateur, tel cet homme marchand
seul dans la blancheur sans fin qui inspira Emmanuel Carrère pour La
Classe de neige, accompli par un troisième Askill, Jordan, tandis qu’un
quatrième, Lorin, se voit crédité au poste de documentarian, entrecroise le mythe d’Icare avec l’ironie
surréaliste d’un Yves Klein (cf. son célèbre photomontage « en vol »
dans une rue à proximité d’une fenêtre), après les deux précédentes variations
autour de la noyade et de l’accident, élaborant au final une « little
personnal mythology ».
Pour l’instant, le talent de ce
surdoué se limite, au-delà de ces
travaux précis, à la photographie, à la vidéo, à la sculpture, à la musique, à
la mode et à la publicité ! Nul doute que l’on reparlera de Daniel Askill,
si l’envie lui prenait de sauter
jusqu’au grand écran, avec ou sans le soutien de son propre studio de design et de production multimédia
baptisé, de façon significative, Collider… Pour finir, provisoirement, à l’instar
des trois fins ouvertes du destin de ses protagonistes, on renverra le lecteur au
site de We Have Decided Not To Die (avec un intéressant entretien et un
dossier de presse compilant des articles en français), à celui de l’artiste, au
graphisme élégant, lequel offre en plus un bel aperçu de sa brillante palette
spectaculaire et intimiste et, bien sûr, au film lui-même, visible ci-dessous…
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