Froid comme la mort : Conte d’hiver
Le rôle de sa vie, au risque du fondu au noir…
Oh it gets dark it gets lonely
On the other side from you
Kate Bush
Puisque l’on décèle ici des réminiscences
de Chantage
(1929), Une femme disparaît (1938), Rebecca (1940), Soupçons
(1941), L’Ombre d’un doute (1943), La Maison du docteur Edwardes
(1945), La Corde (1948), Le Grand Alibi (1950), Fenêtre
sur cour (1954), Sueurs froides (1958), La
Mort aux trousses (1959), Psychose (1960) et Complot
de famille (1976), les critiques écriront « suspense
hitchcockien ». Toutefois, Froid comme la mort (Penn, 1987) ne
se réduit pas à ceci, s’inspire moins que plus du Calvaire de Julia Ross
(Lewis, 1945), prénom de la victime et patronyme du toubib en rime, inclut une
descente d’escalier à la Boulevard du crépuscule (Wilder,
1950), une audition annonçant l’homonyme de Miike (1999). Comme si tout cela ne
suffisait pas, l’héroïne interprétée par Mary Steenburgen, elle-même vrai-faux
sosie de Kate Bush, s’appelle Katie, amitiés à la Cathy d’Emily Brontë. Quant
au portrait à l’autographe trafiqué par le médecin marron aux yeux vairons, on
reconnaît McDowell, alors mari de Mary. Même en remplacement d’un
scénariste/réalisateur/producteur débutant, flanqué du Malone de Killer
(1994), (re)lisez-moi ou pas, déguisé en frangin gênant, ensommeillé,
secourable, Penn ne peine pas, signe un opus
soigné, sincère, presque secret. Peut-on préférer ce gothisme-ci au manichéisme
et au dolorisme de La Poursuite impitoyable (1966), au révisionnisme matriciel de Bonnie
and Clyde (1967) et Little Big Man (1970) ? Oui-da,
en tout cas moi. Film climatique, sens en stéréo, tourné en Ontario, huis clos
au bord du sado-maso, conte de fées défait, marâtre miroitée + pomme
probablement empoisonnée comprises, Froid comme la mort – pour une fois,
l’intitulé français reflète assez le jeu de mots de l’original Dead
of Winter, cœur hivernal létal – s’avère en sus un survival, dont la moralité relève de l’horreur dite économique.
À l’instar du diptyque Hostel
(Roth, 2005-2007), certes davantage explicite, graphique, via ses tortures capitalistes mondialisées, Froid comme la mort nous
montre des riches qui se divertissent aux dépens de pauvres, qui les
dépouillent de leur identité, au propre, au figuré, qui les amputent de leur
intégrité physique et psychique. Dans Blanche-Neige, le chasseur doit
rapporter à sa patronne le foie et les poumons de sa proie ; dans Dead
of Winter, un doigt coupé doit servir de preuve du décès, parfaire la
ressemblance d’outre-cimetière entre les sisters,
tandis que le psychiatre sur roulettes, joueur d’échecs abject, trucideur
d’ours polaires, périt au grenier, pris à son piètre piège, littéralement,
immense cri muet d’arroseur arrosé. Ainsi tramé de méta et de marxisme, Froid
comme la mort affiche une actrice syndiquée, désargentée, devant
incarner deux mortes afin de sauver sa vie, de parvenir à s’extraire in extremis de la maison hantée ouatée.
Épaulé par un casting ad hoc,
mentions spéciales au délicieux tandem
McDowall/Rubeš, par un DP doué, le Danois Weincke, Penn pratique une parabole à
la Carroll, où un miroir de mateur permet de passer de l’autre côté des
apparences, des souffrances. Sa fable affable sur une résilience au bord de la
démence ne manque pas d’un humour discret, cf. le gag dédoublé des poissons rouges de station-service, démontre que
le sexagénaire assure, que même formé autrefois à la TV, il ne se limite pas à
parapher un joli téléfilm au fond inoffensif. « Quelque chose de mauvais
s’avance ici », salut à Shakespeare & Bradbury, au Clayton de La
Foire des ténèbres (1983), réside entre ces murs, et Dead
of Winter, dépourvu d’esbroufe, de paresse, sait en saisir la ludique
perversité, repose sur un contraste au carré, associe l’aliénation et les
aliénés, la neige et les sortilèges, le confort et le cadavre, l’embauche et la
fosse.
Exercice de style jamais mesquin, exécuté
pour rien, il présente des personnages attachants, inquiétants, il constitue un
petit théâtre-traité de la cruauté, où perdre son âme et se réveiller d’un
cauchemar. Toute aspirante actrice devrait le visionner, s’en inspirer, que le
croque-mitaine du milieu se nomme Weinstein ou non. Du mutique meurtre
liminaire, belle atmosphère, à la délivrance caressante, touchante, de la coda,
me voilà, rassure-toi, sortons de là, geste de tendresse privée en reprise de
l’ironique et altruiste pancarte publique de l’ouverture à la grue, en passant
par une ligne coupée par la tempête, tu parles, une VHS vintage livrée à domicile, en soirée, des polaroïds éprouvants de
suicidée assistée, un permis de conduire cramé, une fuite frisquette, un
chocolat de malfrat et une main massacrée, un duo de flics falots, à la Fargo
(Coen, 1996), Froid comme la mort séduit par sa modestie, sa justesse, son
rythme et, bien sûr, le sourire et le hurlement, ah, Hurlevent, de
l’irrésistible et talentueuse Mary Steenburgen, jadis croisée selon C’était
demain (Meyer, 1979), Retour vers le futur 3 (Zemeckis,
1990), Philadelphia (Demme, 1993), Inland Empire (Lynch,
2006), À vif (Jordan, 2007) ou Dans la brume électrique (Tavernier,
2009), grande petite fille in fine
victorieuse blessée des ogres et de l’ogresse, consœur de la Jessica Harper de Suspiria
(Argento, 1977), autre histoire d’apprentissage d’adolescence, de mystères
mortifères, de féminité tourmentée, esseulée, à la fois meurtrie et magnifiée.
Finalement, la maturité existentielle et professionnelle implique la mortalité
par procuration, par expérimentation, et Penn, désormais un peu oublié, malgré un émouvant Miracle en Alabama (1962), méritait
ce salut dominical dans le sillage d’une découverte de samedi soir, près du
bizarre, loin du blizzard…
Bertrand Tavernier Interview : Dans la brume électrique
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