…où naissent les statues. : Onze jours, Onze nuits
Un conte d’automne à contretemps et contre-courant.
Malgré la photo froissée d’une
« nymphe » dénudée, on se gardera d’évoquer l’adultère selon Joe
D’Amato (1987), le sous-titre de cet article plutôt en référence à une
hécatombe historique, de défilé funèbre. Film en images fixes, à l’exception de
flots de circulation autoroutière comme issus de l’acmé-coda du Verdict
de Kafka (1913), d’une chute de feuilles entrevue, …où naissent les statues.
(2011) fait bien sûr penser à La Jetée (Chris Maker, 1962), au Temps
scellé (1986) d’un Tarkovski, voire à Blow-Up (1966) d’Antonioni,
parc existentialiste compris, femme enceinte substituée au cadavre anonyme,
certes. Mais il existe de manière autonome, il exerce tout seul sa séduction de
saison, double acception. « J’étais simplement un vieil homme seul, sur la
fin, qui se demande encore ce qui vaut la peine d’être vécu » : ainsi
le protagoniste résume en voix off
l’argument du métrage, trilogie de mouvements immobiles, de retour du/au même
et jamais à l’identique. « Tout bougeait déjà en peinture… » rappelle
la note d’intention et le montage rythmé de Fabien Leclaire, la « prise de
sons » de Michel Lainé, les morceaux majeurs de Lisa Gerrard, Sylvain
Chauveau, Yann Tiersen + EZ3kiel animent le « photo-roman » de
maintenant. Le texte soigné revient à Emmanuel Soulage, les photographies millimétrées
à Franck Ferreira Fernandes & Xavier Tauveron, pourtant le correspondant
parisien de votre serviteur provincial, à la Pascal, signe le scénario, la
réalisation, la production. Expédiée par courrier, en DVD, à nouveau merci à
l’intéressé, l’œuvre d’une demi-heure s’adresse à l’œil, à l’oreille, à la
mémoire, se veut « hommage au cinéma, hommage à l’Histoire, hommage à ses
Hommes ».
Ici, au crépuscule d’une conscience,
le souvenir de Jean Jaurès croise la tristesse d’une prostituée, pacifisme versus capitalisme, des enfants déjà
grands écoutent un octogénaire, des employés municipaux papotent avec un fils
d’architecte chenu, une Ève altière, nettoyée au compresseur, alterne avec une
allusion à l’individualité dépeinte par Brueghel. On sait depuis Resnais que Les statues meurent aussi (1953), que les sociétés se massacrent ou se
renient avec une régularité forçant l’irrespect. Cependant, …où
naissent les statues. laisse à autrui, plus radical, plus viscéral, la
colère pamphlétaire, se caractérise par sa douceur, sa lumière. Monsieur Azéma
se retrouve un instant sous un « poulpe » angoissant, branches noires
contre ciel blanc, et ses réminiscences le ramènent à son épouse stérile,
hospitalisée, silencieuse, heureuse, décédée, tandis que le film stimule, se
situe du côté de la vie, sans cesse renaissante, ravissante. Le terme « bienveillance »
paraît désormais galvaudé, passé par trop de bouches humanistes, intéressées,
il ne peut que susciter un usage dégoûté, en dépit duquel il définit en partie
la perspective adoptée, le regard singulier de Franck, pardon du prénom
affectueux, pas familier. Le cinéaste ne prend point la pose, ne nous rend pas
morose, n’anticipe pas un passage sur ARTE, ne s’abaisse pas à rendre le
spectateur davantage malheureux, en le rassurant, en compatissant. Le cinéma,
figé ou pas, ne devrait pas servir à endormir, à divertir au prix du pire. Il
devrait réveiller, même à l’orée du Grand Sommeil (Howard Hawks, 1946),
auquel personne, cinéphile ou non, ne saurait se soustraire.
Less is more,
en effet, car l’entreprise assumée de soustraction, de retrait à l’écart de la
ville, du bruit, des trajectoires et du soir, débouche sur une réalité
exhaussée, à la sensorialité décuplée. Ferreira filme des peaux, d’arbre, de
chair, des visages et des âges, des récits et des non-dits, des présences et
des spectres, de la verdure urbaine et à l’horizon des HLM, des classes
sociales avec ou sans abri et une déesse insaisissable sur son piédestal. Il
s’agit, oui, d’un éloge rohmérien de la beauté, inutile, indispensable,
périssable, politique. Le retraité volubile, aimable Michel Debrane, entérine
l’éternité du désir, rétif au didactisme et au gâtisme. Une histoire de
baigneuse et de sénile ? Un poème sur pellicule, à présent miroité en mode
numérique et fantomatique, dialogue à distance sous le sceau de la générosité,
de la précision, de l’émotion et non de l’incompréhension, celle d’un discours
de concorde ou d’un cri réactualisé. Si le ciné s’avère incapable d’arrêter les
guerres, de retenir hier, il parvient, art funéraire, solaire, personnel, populaire,
à magnifier l’éphémère, à manifester le meilleur des ténèbres intimes, royaume
des morts et des survivants, domaine du sperme et de l’embaumement, utopie
mercantile et parfois sublime, où naissent et se mettent à nu, se transmuent,
des statues à notre image, de motion picture qui ne se meut pas, qui, mieux,
émeut.
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