Pollyanna, Pauvre petite fille riche, La Petite Américaine : Prière pour Mary Pickford
Oh Mary, si tu savais tout le ciné que l’on défait.
They tied the knot together
Groom and bride couldn’t hide their pleasure
They tried to pick fair weather
But love died didn’t last forever
Katie Melua, Mary Pickford, Pictures (2007)
Miss Gladys
Smith, en janvier 2018, dis-moi, qui se souvient de toi ? Je viens de passer
quatre heures en ta compagnie, cela m’autorise à te tutoyer, en toute amitié
d’outre-tombe. Je viens de visionner trois de tes films, trois mélodrames muets
réalisés par Paul Powell, Maurice Tourneur, Cecil B. DeMille, présentés par
Patrick Brion, bon, rassemblés sur un DVD soldé, dans des copies à peine
passables, spécialité de Bach Films, éditeur d’habitude redoutable. Je viens de
voir un documentaire supplémentaire de cinquante minutes consacré à ta vie,
dépourvu de présence masculine, hors la voix off narratrice. Tu le sus parfaitement, il arrive dans une vie un
moment où l’on s’écarte des vivants désolants, où l’on fréquente les morts
reposants. Dans ton Xanadu des collines de Beverly, une fois les sommités
enfuies, accompagnée de ta poupée à la Bette Davis chez Bob Aldrich, tu errais
paraît-il parmi des couloirs pareils à ceux de la maison malade hantée par
Shirley puis Wise. Ton passé d’actrice adulée, pas seulement déguisée en petite
fille, ta carrière de femme d’affaires indépendante et puissante, ta philanthropie
réflexive, ton instinct maternel de mère adoptive aux abonnées absentes, tes
bouteilles, tes Oscars, tes surnoms, ta fondation, Chaplin, Fairbanks père
& fils, Griffith, Zukor, Joan Crawford, belle-fille et rivale, ta retraite
anticipée en partie provoquée par le parlant, par une adaptation de Shakespeare
en couple, en déroute, ce Canada dont tu venais, que tu regagnas pour des clés
en chocolat – qu’en reste-t-il aujourd’hui, à l’heure du Hollywood des
actionnaires, des super-héros, des « porcs », des stars souvent détestables, dérisoires,
désabusées ?
Ainsi passe la gloire du monde, comme
disent les latinistes ou les papistes, ainsi sévit l’amnésie, qui parvient
maintenant à conjuguer temps réel et classement mémoriel, publication et
archivage. Qui lira ces lignes dans un an, un mois, un jour ? Qui
s’adresse à toi, dans l’au-delà qui n’existe pas, n’en déplaise à Fulci ou
Eastwood, en t’appelant mon amour ? Je ne crois pas au Ciel, je crois de
moins en moins au cinéma, mais, crois-moi, je pris du plaisir à te découvrir, à
parcourir ces vestiges de ton empire fragile, auquel, longtemps après, tu
reprochas sa médiocrité, que tu tentas d’incendier. Rien que pour ça, tu
mérites mon estime, Mary, car en chaque artiste sommeille un fasciste, chaque
élan de création, même sous la forme assez risible d’un blog, dissimule une envie de destruction. Parlons de toi, de tes
films, conjurons la ruine et le mythe, cherchons un soupçon de vérité, un brin
de beauté, dans ton triptyque à taille réduite. Dans Pollyanna, que tu n’aimas
pas, que la fidèle Frances Marion détesta écrire, que produisit en premier ta
réunion d’artistes associés, gros succès financier, tu joues au « jeu de
la joie », variante épuisante, étasunienne, de la méthode Coué, allez, sans
l’ironie du « meilleur des mondes possibles » voltairien. Tout finit
bien, dans le futur, dans une projection, double acception, malgré un accident
d’auto et des béquilles de marmot. Dans Pauvre petite fille riche, d’un
second Tourneur encore méconnu, possiblement moins doué que son fiston Jacques, tes
parents ne te prêtent pas leur temps, préoccupés par la société, par les
boursiers. Tu ingurgites par mégarde un poison, te revoici au lit, entre la vie
et la mort, à relire l’Alice de Lewis, à présager la Dorothy du Magicien
d’Oz ; Judy Garland, jusqu’à un certain point, revivra ce que tu
vécus, à l’écran, au-dedans.
Enfin, dans La Petite Américaine, écrit
par Jeanie MacPherson, actrice pour Griffith, réalisatrice, scénariste,
partenaire rapprochée de Cecil B., tu te prends pour la statue de la Liberté ou
La
Liberté guidant le peuple de Delacroix, drapeau étoilé inclus, poitrine
dévoilée prohibée, au cœur d’un triangle de vaudeville martial en pleine Grande
Guerre internationale, en écho à Cœurs du monde de DWG,
agrémenté de Prussiens portraiturés en propagandiste et d’un Christ grandeur
nature à faire défaillir aimablement le Moïse des Dix Commandements. La
neutralité, en réalité, ne s’avéra jamais ta tasse de thé. Il te fallait agir,
réagir, diriger, quitte à couler comme le Lusitania ou le Titanic avant lui. Tu
coulas, en effet, peu après. Mais dans ces trois titres, ma petite, tu
rayonnes, tu charmes par ta vitalité, ta justesse, ton énergie, ta sympathie, quelque
chose émane de toi, que capture la caméra appliquée, soignée, impersonnelle, des
réalisateurs précités, sans doute dans une large mesure influencés par tes
désirs, par l’usage de ta persona,
par ta personnalité tout sauf diplomate, Lubitsch opine, son Rosita
toujours victime de ta censure héritée. Shirley Temple, ton imitation rajeunie,
avec sa pédophilie par procuration, peut aller se rhabiller, merci. Gal Gadot,
belle et sensuelle Wonder Woman sur Les Sentiers de la gloire, te salue
à distance, certainement ignorante de ton précédent, de ton engagement de meetings pour l’effort de guerre. Je me
garderai d’évaluer ta filmographie fournie, étendue sur vingt-cinq années, de
la résumer illico au seul vu de ce
trio. Pareillement, je ne crois pas te connaître parce que je feuillette en
ligne ta biographie, Biograph Girl irréductible à ses salaires, à sa célébrité
de conte de fées, à son divorce, à son rôle de co-fondatrice de l’Academy of
Motion Picture Arts and Sciences.
Sur ton site officiel, hagiographique, je trouve
cette jolie phrase exacte de David Wark pour te décrire à votre première
rencontre : « The thing that most attracted me the day I first saw
her was the intelligence that shone in her face. » On retrouve ton esprit,
ta mélancolie, ton rire, tes larmes, ton caractère asexué, ta générosité, dans Pollyanna,
Pauvre
petite fille riche, La Petite Américaine, films
aimables, films recommandables, films centenaires qui tiennent debout en ce
début de calendrier, de combien de contemporains pourra-t-on en dire autant d’ici ou une deux
décennies ? Tu le sais, Mary, je ne prise guère la nostalgie, je méprise
l’idée de progrès, je vomis le terme d’humanisme, pris dans son sens de pathos
profane, et quand Angela, née un 4 juillet, de surcroît en 1914, jour important
pour ton pays, Tom Cruise en fauteuil pour Stone opine, jugée en cour belliqueuse
germanique, se défend via son
humanité trouvée, obligée de pratiquer l’ingérence face aux outrages à la De
Palma des soudards-assassins d’outre-Rhin, je ricane en sourdine de ta bonne
conscience d’Américaine démocrate à l’étranger, aux serviteurs noirs à
domicile. Passons, ne concluons surtout pas dans la rancœur. Tu demeures, Mary,
un cas d’école, un exemple, un avertissement, une légende, une vraie femme de
chair et de sang. On peut préférer Greta, Lillian, Marlene, on ne peut pas
effacer ta trace d’un revers de bras, d’un battement de paupières. Une prière
pour Mary Pickford, croyante, par un athée entiché de miroir fantomatique, de spectres
alertes ? Que beaucoup d’autres à ma suite visionnent tes films,
s’intéressent à ton tracé dans l’espace et le temps d’antan, des premiers temps
du ciné, ni mécanique à fric ni « septième art » auteuriste, pas
uniquement et heureusement. S’il tue aussitôt ses serviteurs, le cinéma,
simultanément, les immortalise et les met à disposition de la curiosité, aidée
du hasard, qui lui non plus ne réside pas dans nos vies, animées par
l’absurdité, certes, par un dessein mystérieux, cohérent, tout autant.
Chère Mary, je te laisse à présent, à
ton lustre, à ton néant, je te fais une place dans mon cœur, ma mémoire, mes
modestes victoires de cinéphile contre l’érosion quotidienne, la bêtise
continuelle, la laideur criminelle. Dors, magnanime et inflexible Mary, aussi
proche et pourtant inaccessible que la vraie-fausse Louise Brooks de L’Invention
de Morel, pure image marine pour ermite nécrophile. Dors encore et, qui
sait, rêve un peu de moi, du cinéma, de ta mère, de ton Douglas, du Temps « dégueulasse »,
pas vrai, Jean Seberg ?, du silence originel, in fine ressuscité un samedi soir au sein de notre bruyante
modernité. Une fiancée de l’Amérique ? Une femme unique.
Merci pour cet hommage touchant, venu du coeur.
RépondreSupprimer"Un jour de 1948, Charles Brackett, collaborateur de Billy Wilder, demande : « Si on racontait l’histoire d’une star du muet qui a quelques problèmes ? » Aussitôt dit, aussitôt fait. Les deux hommes jettent sur le papier une histoire de gigolo qui couche avec une vieille actrice. Très vite, la question se pose : qui va accepter de jouer le rôle de la has been ? Mae West ? Celle-ci refuse. Pola Negri ? Trop capricieuse. Mary Pickford ? Bourrée. Quelqu’un suggère Gloria Swanson. Elle a été immense. Mais, à 50 ans, elle est paléolithique. Juste ce qu’il faut.
Dès le début du tournage, en avril 1949, les anciennes gloires de Hollywood débarquent : Erich von Stroheim, raide et ganté de blanc ; Buster Keaton, ravagé par l’oubli et l’alcool ; H. B. Warner, qui a joué le Christ dans « le Roi des rois » en 1927 ; Anna Q. Nilsson, grande actrice suédoise du muet (« Adam’s Rib », 1923). Les fantômes ressuscitent, puis repartent."
https://www.nouvelobs.com/ce-soir-a-la-tv/20200210.OBS24644/boulevard-du-crepuscule-un-portrait-au-vitriol-du-vieil-hollywood.html
Forestier signa aussi un ouvrage dédié aux "nanars", dans lequel il liquide un certain Blow-Up, bien avant les féministes d'aujourd'hui, pas pour les mêmes raisons, passons...
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