Petit paysan : La Vache et le Prisonnier
Suite à son visionnage sur le service Médiathèque Numérique, retour sur
le titre de Hubert Charuel.
Le problème avec la paranoïa,
paysanne ou pas ? Elle peut comporter une part de vérité, tandis que la
peur par anticipation paraît provoquer son objet, le matérialiser dans la
réalité, tant celle-ci se définit aussi, surtout au cinéma, par sa
subjectivité. Petit paysan, dès ses premiers plans au surréalisme symbolique
et humoristique, acmé de cuisine onirique envahie par les bovidés, nous plonge
dans l’esprit d’un exploitant laitier tourmenté, d’un monomaniaque de la
traite, du troupeau, du véto, ici sa sœur, bonheur-malheur, trop occupé pour
croquer les miches de la boulangère pourtant craquante et passant ses rares nuits
de répit à ressasser les mises en ligne monologuées, mondialisées, d’un
homologue au bord de la camisole. Tout se passe comme si l’horrifique Isolation
fécondait l’eschatologique Take Shelter, référence affirmée de
l’intéressé, avec pour résultat ce métrage/vêlage d’autofiction et de saison,
au succès critique et commercial œcuménique, preuve que la dénommée ruralité,
ainsi que la désignent ceux qui ne la pratiquent pas, conserve dans notre pays,
y compris à Cannes, lieu de sélection-exposition, un écho profond, même
assourdi, même en voie de disparition. Tel Billy O’Brien douze ans auparavant,
Hubert Charuel évoque un univers astreignant, inquiétant, inquiet, fragilisé,
qu’il connaît de près, qu’il décida de quitter. Et contrairement à Jeff
Nichols, il récuse la conclusion par procuration spectaculaire d’un ironique reflet
vitré. Avec sa promotion en production à la Fémis, avec sa co-scénariste Claude
Le Pape, auteur de ses courts et des Combattants, remerciée de manière
métaphorique au générique, mise en abyme via
un caméo de gendarmette muette, avec sa famille au casting et la ferme familiale transformée de facto en plateau, le trentenaire élabore sur le terreau du
documentaire un thriller guère gore, malgré l’intitulé international de
Bloody
Milk.
Porté par le convaincant Swann
Arlaud, apprécié autrefois dans Michael Kohlhaas et The
End, agrémenté par la douce Sara Giraudeau, sourire et yeux de feu son talentueux
papa, par le fervent et refroidissant Bouli Lanners, cassandre numérique au
creux de son antre désertique, Petit paysan possède les défauts de
ses qualités, ou inversement, selon les plus cléments. France 2 co-produit et
le film, avec ses allures de téléfilm de luxe, soigné, dit d’actualité, devrait
occuper sans peine et sans polémique la case dominicale dans les mois à venir,
issu du circuit incestueux du ciné vampirisé par la TV, ou l’inverse, encore
plus discutable, décidons-le en cinéphile, que les méthodes possiblement
mortelles, pour les bêtes et les hommes, du capitalisme agricole. Apparemment,
à la Fémis, on vous apprend à filmer lisse, à quelquefois cadrer au story-board, à user avec parcimonie de
la caméra portée, stressée, à composer la lumière, mes frères, à ne jamais
secouer le spectateur, a fortiori
urbain. Si vous envisagez de visionner un ouvrage de rage, de désespérance, de
purin, passez votre chemin. Durant quatre-vingt-cinq minutes équilibrées, Petit paysan déploie une prestance polie, une sage modestie – Charuel conçoit
les modèles de ses personnages en « résistants » mais son hommage
lisible en métonymique chronique d’une mort annoncée repose sur une
expression bien policée, sur un stérile suspense,
puisque l’abattage préventif final ne fait finalement aucun doute, s’achève sur
un soupçon d’optimisme in extremis,
ensoleillé, rajouté afin d’évacuer le suicide envisageable, envisagé, logique
sur le plan diégétique, avéré dans la « vraie vie ». Le héros, une
fois son veau à domicile occis par ses soins paternels, une fois la cigarette
du condamné grillée en compagnie de sa sœurette idem muette, s’en va vers l’horizon, croise une vache isolée,
survivante, indifférente.
Exonéré de la probable responsabilité
de ses pairs, cet usage pour le moins problématique des fameuses « farines
animales », son combat de dissimulations inoffensives et d’exterminations
sélectives s’apparente à une tragi-comédie uniquement régie par un fatum rebaptisé FHD au lieu de la
sinistre ESB. Sisyphe de la paille et bientôt sur elle, Swann/Pierre affronte
sa mère, illico exilée en vacances
forcées en Corse, affronte les contrôles sanitaires, affronte les types en
uniformes se foutant de ses fadaises à propos de pensionnaire perdue, il s’en
trouvera quitte avec quelques kilos de viande en promo, acquise en collabo
malin au supermarché du coin. Similairement à la davantage aristocratique Phèdre
de Racine, tout conspire à lui nuire, en dépit ou à cause de ses hectares
convoités, et cependant le réalisateur parsème sa passion laïque de touches
drolatiques, technologiques, pensons par exemple au camarade à la pointe du
suivi cellulaire et quand même délesté en pleine installation robotisée d’une
anonyme numérotée. Au-delà des soins, des naissances, des
inhumations-crémations dans une fosse purifiée à la chaux, la vie se déroule
entre amis, à la chasse, au bowling,
à la bière au goût amer. Être sans qualités, à la Musil, sans sexualité, car sorte
de moine saisi dans son sacerdoce féroce, le vrai-faux premier des statistiques
spécialisées en vient évidemment à somatiser, séquence d’immolation dorsale de
salle de bains à la Cronenberg incluse ; ailleurs se déroule un duel
oculaire où l’œil de la laitière rime avec celui de Sadako, le spectre nippon
ressurgi hors de son puits pour Ring. En guise de BO, des
ponctuations planantes, un brin electro,
viennent scander la descente aux enfers au grand air et à la table de l’amical restaurant
hélas peu excitant carburant au Vittel, vraiment merci à l’aimable placement de
produit.
Trêve d’ironie – Petit paysan, plutôt
plaisant, pas une seconde passionnant, ne se signale ni par son originalité, ni
par son intensité. Que ce petit film, dans tous les sens du qualificatif,
parvint à susciter autant de dithyrambes sidère assez, en plus d’en dire long
sur l’actuel état du cinéma français, presque subventionné à l’égal de
l’agriculture de l’UE perfusée à la PAC, tant pis et tant mieux. Que ce premier
film propret, au désabusement intériorisé, à la saveur crépusculaire exemplaire
et scolaire, se caractérise au tournage et ensuite au visionnage par les
revendiqués « respect », « confiance » et « calme »
envers les bipèdes et les quadrupèdes, renseigne sur l’état d’esprit d’un
cinéaste désespérément sympathique, sur une façon de faire du cinéma en ne
froissant personne, dans l’amnésie d’un certain Maurice Pialat, allez,
paratonnerre de naguère dont la plupart des scènes persistent à électriser. La
prochaine fois, cher Charuel, essayez le sang, le vrai, SVP.
Si le film a pu collectionner les dithyrambes (réellement ?), c'est tant mieux, certainement encourageant pour un premier film réussi, que je trouve plus un peu plus original que vous, au moins par son sujet (on s'éloigne doucement des terres cultivées par le polar rural belge de Bullhead). C'est vrai qu'un rapprochement avec Take shelter permet d'en cerner un peu mieux l'ambiance, mais le film ne porte en rien, contrairement au film de Nichols, sur la cellule familiale ; il se concentre sur un milieu dont on ne dit pas assez qu'il est menacé par sa propre intégration au marché forcément mondialisé (que vivent les circuits longs et la grande distribution), par un état sanitaire toujours bien que hyper surveillé, par ses acteurs à la motivation disparue. D'un autre côté, pour me contredire aussi, un film optimisme et enjoué sur la paysannerie, comme à l'époque de La jolie fermière, ce serait un pied-de-nez amusant.
RépondreSupprimerRien de rassurant, au contraire, pour des raisons inutiles à redire. Libération émit des réserves lapidaires. On évitera de se prononcer pour ou contre un milieu très national dans sa manière de maugréer depuis des années, quand d’autres CSP ne possèdent pas même un arpent de terre pour s’y enterrer, s’en nourrir. Au ciné, on se souvient de L’Île nue, Jacquou le Croquant, La Ligne générale, Regain, Riz amer, La Soupe aux choux ou Tess. Les Moissons du ciel nous emmerda et Jean de Florette nous indifféra. Que valent les documentaires réversibles de Georges Rouquier admirés par Demy ? Un jour peut-être le saurons-nous. Une comédie, sentimentale, en sus, sise à la ferme ? Je vous trouve très beau, a priori très vilain.
Supprimer"que je trouve plus original que vous"
Supprimer"par un état sanitaire toujours fragile bien que hyper surveillé", c'est mieux ainsi
Houla je ne pensais pas à la pseudo comédie sentimentale, bouse avérée que vous citez. J'imaginais davantage à une sorte de Profil paysan plus neuf, plus optimiste, à contre-courant... Quelque chose de surprenant et de résistant. Il y a de ça dans la ruralité présentée dans le Rester vertical de Guiraudie, non ?
SupprimerPoint visionné la série documentée de Raymond Depardon.
SupprimerLaissons l'optimisme, surtout au ciné, à celles ou ceux qui le professent, par exemple la césarisée Mélanie Laurent et son Demain incertain.
Résistance et résilience me paraissent des termes très connotés, pour ne pas dire discutables.
Sur Guiraudie à l'horizontale, je vous renvoie ici :
https://plus.google.com/u/0/communities/109468895115511053367/s/giraudie