Liberté, égalité, choucroute : Société, sécession, cinéma
Ça ira, ça ira ou ça n’ira pas, cela ne va déjà plus, et la roulette (russe) s’affole,
et la mise consiste en vies dévaluées, étalées à terre sur le tapis vert –
nécessité de se poser (des questions), de souffler (sur les braises), de
relever la tête (coupée ou pas)…
I know what I am talking about when I am talking about the revolutions. The people who read the books go to the people who can't read the books, the poor people, and say, «We have to have a change». So, the poor people make the change, ah? And then, the people who read the books, they all sit around the big polished tables, and they talk and talk and talk and eat and eat and eat, eh? But what has happened to the poor people? They're dead! That's your revolution. Shhh... So, please, don't tell me about revolutions! And what happens afterwards? The same fucking thing starts all over again!
Juan Miranda, Il était une fois la révolution
I
Redonnez-nous le soleil et nous ferons
la révolution un autre jour, mon amour.
Rapportez-nous la mer, le sable, la
chaleur, les gamines en string à Ipanema, les barbecues entre amis, l’anis
frais, la montagne en été, les congés payés avec le sang durant le reste de
l’année dévorée.
Rendez-nous les pénis et les vagins
afin d’y enfouir nos peines et nos vagues à l’âme, les criques lubriques, les
parades d’hormones, les régimes misogynes décrits dans les magazines dits
féminins, des étreintes estivales d’adolescents immortels protégés au latex.
Offrez-nous des bronzettes où
incubent nos cancers vivaces, nos mélanomes pugnaces, là sous la peau, quelques
centimètres à peine sous l’épiderme enduit de crème et pourtant rougi malgré
les campagnes hygiénistes, les préventions étatistes.
Servez-nous au quotidien des enfants
à sodomiser, des femmes à éventrer, des vieillards à maltraiter, car nous
raffolons de ces atrocités trois fois dans la journée, de préférence à l’heure
des repas, car sans elles, comment épicer, rassurer, nos vies vulgaires et banales ?
Organisez-nous des festivals du
cinéma, histoire de mater les stars derrière des barrières de sécurité,
d’admirer leurs pieds nus sur les marches rouges en velours, de faire concourir
des films comme aux comices agricoles, de leur décerner des prix palmés.
Cédez-nous du sport filmé à la TV, à
consommer vautré sur le canapé, cet accessoire primordial de la scène primitive
du X numérisé, de la logorrhée de sitcom, le premier déversé dans la seconde et
inversement.
Élisez-nous des présidents parvenus, méprisants,
des ministres arrogants et incompétents, appliquant, en toute impunité,
vulgarité, sans une once de légitimité autre qu’institutionnelle (ah, cette
belle et terrible tentation insurrectionnelle), la démocratie du 49-3.
Informez-nous de gosses de riches
classés gauchistes incendiant une bagnole de police, de blocages corporatistes,
d’émois bourgeois, de décorations en chocolat, de déclarations indécentes proférées
par d’imbuvables donneurs de leçons indignes d’une balle au front.
Cartographiez-nous un petit pays à
l’agonie, nostalgique de sa feinte grandeur, gouverné par la peur, émietté en
communautés, en intérêts spécialisés, en territoires républicains paraît-il
perdus, en poches préservées de tourisme eugéniste élues villages préférés des Français.
Louez-nous des appartements minables
dans des viles avilies, une pollution polymorphe pour nos poumons d’acier
nécrosés, ainsi nous pourrons vite courir à l’hôpital public juste avant le
grand déremboursement et, qui sait, avec un peu de chance, attraper une saleté.
Inventez-nous Internet pour perdre
notre temps, notre vue, nous donner l’opportunité tarifiée de cracher notre
bile inoffensive, surveillés à distance par les Mabuse de la cybercriminalité,
dénoncés par les concierges vichystes, démasqués par notre adresse IP.
Emprisonnez-nous dans un corps pour
jouir et souffrir, pisser, chier, saigner, pleurer, se blesser, se caresser, se
faire opérer, décapiter, enfanter, tendre vers l’éther et boire goulûment au
Léthé, se (dé)battre au quotidien ou bien, enfin, savourer un salutaire
suicide.
Ouvrez-nous après notre mort les
portes de tous les supermarchés familiers, lieux de culte climatisés plus
fréquentés que les églises et même les mosquées, royaumes immanents remplis
d’aimables abominations conçues pour relancer la consommation.
Parlez-nous comme à des imbéciles, à
des béotiens, à des ingrats, pire qu’à des chiens, parlez-nous pour ne rien
(nous) dire, dans une langue exsangue, circonscrite à deux ou trois centaines
de mots fonctionnels, fictionnels, impersonnels, générationnels.
Poignardez-nous la poésie et surtout
les poètes, baisez la beauté à sec, brûlez les livres inutiles, lacérez les
toiles intérieures, cassez les jambes des cruelles chorégraphies, percez les
tympans juvéniles, effacez jusqu’à l’idée même de grandeur dans le secret de
nos cœurs.
Traitez-nous de l’unique façon qui
convienne : mal, encore plus mal, à la dure, à coup d’impostures, de
messes basses dans les coulisses, nous méritons cela, nous implorons ce
traitement, tant la vraie liberté, sauvage, indépendante, responsable, nous
effraie.
Enfoncez-nous au fond de la gorge et
du cerveau, de l’anus et de l’œil, vos tombereaux d’horreurs si colorées, si
acidulées, si agitées ; vous connaissez mieux que nous notre incapacité à
nous passer du divertissement qui nous égare si joliment.
Apprenez-nous à voter, à favoriser le
renouveau des énergies, à prendre soin de notre nutrition journalière, à dire
non à la drogue, à l’alcool, au tabac, à la violence domestique, à la vitesse
au volant, faites retentir la sirène télévisuelle des alertes enlèvements.
Maquillez-nous les statistiques, les
études sociologiques, abreuvez-nous de chiffres, de données, d’identifiants, de
mots de passe (à défaut de maison, politiquement incorrectes), proposez-nous de
merveilleux forfaits et d’affolantes formules pour nos funérailles.
Reliez-nous les uns aux autres pour
mieux nous atomiser, nous assourdir, nous asservir, nous conforter dans
l’illusion d’une parole libre et respectée, écoutée, prise en compte, violez
avec notre consentement les derniers lambeaux de l’hymen de notre
intimité.
Achevez-nous via la défense de nos
droits, le décès dans la dignité, les substituts de salaires, le déguisement de
la réalité sous des euphémismes ou des sigles, tenez-nous la main tout au long
de notre défaite programmée, quitte à la couper s’il lui prenait l’envie de
(se) dérober.
Puis contemplez-vous à notre miroir,
constatez la parfaite ressemblance entre vous et nous, dédoublement désolant à
la source des innombrables blessures, salissures, meurtrissures, et sachez
qu’en nous exterminant, vous érigez vos propres gibets.
II
Au théâtre, la réplique n’existe que
dans l’instant de son énonciation : pas de seconde chance pour le
comédien qui la profère, bien ou mal, au bon moment ou à contretemps (timing
mécanique de la comédie), enfin chez lui sur scène ou guetté par le trac, à l’aise
dans le maquis mnémotechnique du texte ou trahi par sa mémoire ; d’où
l’inutilité de lire des pièces, exercice autiste dont la stérilité rejoint,
pour les dépasser, celle du survol de scénario ou du parcours de partition.
Certes, la musique des mots ou des notes peut se laisser entendre, son charme
agir dans la solitude silencieuse, individuelle, excentrée, mais l’œuvre ne se
réalise, ne se concrétise, que dans son exécution publique, sa représentation
éphémère, unique, fleuve (voire rivière) jamais identique, chaque soir
différent, renouvelé, modifié par le lieu de son avènement, comme la physique
quantique inclut dans le résultat de l’expérience ses conditions d’élaboration
et de perception, en souligne l’interaction subjective. Les arts dits vivants relèvent
de l’événement, tandis que les expressions de conservation (boîtes de conserve,
jugent les mauvaises langues) s’en détournent et l’abolissent par le
déploiement infini, itératif, d’un champ des possibles, à peine limité, figé,
par les contraintes économiques, matérielles et temporelles, de leurs
industries respectives.
On peut réenregistrer une chanson,
refaire une prise, réécrire une phrase. Le disque, le film et le livre, sages
sarcophages dépendant de la technologie, de systèmes d’enregistrement, de
lecture, de distribution et d’exploitation, de relais commerciaux (claires
librairies, salles obscures, plates-formes de téléchargement, légal ou pas) et
municipaux (médiathèques, ciné-clubs, bibliothèques), attendent leur exhumation
facile et quotidienne, afin de témoigner d’un choix, d’une forme parmi des
milliers. Unicité contre multiplicité, apparition contre reproduction, durée
contre mémoire, participation contre passivité, existence contre archéologie,
vitalité contre spiritisme – les oppositions à foison, volontiers schématisées,
au risque du clivage simpliste, demeurent cependant révélatrices de chaque
domaine esthétique, avec pour point commun et foyer partagé la triple tangente
du corps, du sens et du vide. Les hommes créent avec leur chair, leur voix,
leur énergie, cernés par l’absurdité de leur destin, désireux de célébrer une
quelconque divinité, de satisfaire un monarque, de vendre un produit (culturel
selon le goût social), en preuve de passage, en réponse provisoire à des
questions irrésolues, en tentative de combler avec/en beauté un manque
fondateur, d’y substituer l’évidence fragile de leur brève présence, avant
l’engloutissement banal de la mort iconoclaste.
Les artistes, inconnus,
subventionnés, précaires, officiels, ceux qui méritent ce nom ou l’usurpent,
vrais soleils noirs ou piètres étoiles clignotantes au ciel encombré de la
société spectaculaire, spéculaire, totalitaire, cristallisent et informent les
aspirations de la masse, la bercent de romances, la soignent par des placebos,
la consolent de ses lâchetés, parfois la scandalisent sur un malentendu ou la
révèlent à elle-même avec une cruauté à chérir, qui fait vraiment grandir, et
toujours inférieure à la morsure du réel (le danger des planches reste mesuré,
surtout dispensé face à des enfants dans un hôpital, prodigué en parenthèse
compromise, salvatrice, par temps guerrier). La révolution, circularité
astronomique et balistique, s’impose, par sa seule désignation, en phénomène
répétitif condamné à revenir à son point de départ, à l’origine (ordre) mise à
nu (maintenu) du monde injuste, et l’art ou la science, cette sœur infidèle,
sectionnée, sculptrice planétaire modélisant l’univers, matrice orphique dont
surgit l’anéantissement ultime, le superbe et suprême brasier nucléaire,
installation-sidération bien plus évocatrice et radicale que les mobiles de
musée, savent en devenir les auxiliaires dociles, les muses complices. Ce
conservatisme déguisé sous les audaces de la création, de l’explication, de
l’interprétation, artistique ou scientifique, soutient l’ensemble de l’édifice
social, en assure l’infrastructure surplombante, au côté du régime politique
(démocratie, dictature) et financier (capitalisme, communisme) installé.
Là encore, les temporalités
s’affrontent en surface, l’urgence révolutionnaire rêvant de retrouver
l’éternité de l’utopie ou l’alternance mythique des remplaçants. Il presse de
perdurer, il tarde d’entériner le passé, revêtu d’habits à la mode (le vert
pâle de l’écologie, le brun blanchi des extrémismes). Si le renversement, dans
sa finalité insoupçonnée, généreuse avec les idéaux d’autrui, vise la
continuité, la reprise du drame avec une mise en scène, une troupe, une
diction, un rythme, à peine modifiés (pour un dénouement identique, on s’en
doute, l’insatisfaction généralisée provoquant un nouveau soulèvement, inscrit
dans la chaîne rassurante des mouvements immobiles), l’insurrection mise sur la
ponctualité, le coup de sang populaire, l’affrontement physique et localisé.
Elle ne consacre pas une seconde au projet d’amélioration, à sa rédaction
théorique, elle passe directement aux travaux pratiques, elle fonce tête
baissée dans le mur gouvernemental, lui offrant par conséquent toute latitude
(démagogique) pour répliquer à son avantage, en arrogant gardien du droit, de
la sûreté des biens et des personnes, en assureur des vitrines et du Surmoi.
Cette carence d’assises idéologiques, une chance supposée après un siècle
propice aux insanités du dogme hitlérien, stalinien, maoïste, explique en
partie l’échec des groupuscules anarchistes des années 1900 et suivantes
jusqu’à nos jours. Ici règnent l’esprit de clocher, la vindicte incestueuse,
l’exclusion sans sommation, les discours obscurantistes, désincarnés,
stéréotypés, ressassés entre fraternels ennemis au périmètre réduit.
Contrairement à cet élan centripète,
le terrorisme contemporain essaime et joue la carte informatique du recrutement
hollywoodien, du romantisme de la transcendance, du dépassement par la prière,
du paradis promis aux serviteurs de la cause sacrée. Vieilles recettes de
l’Europe bourgeoise et en crise pétrolière de naguère, vengeances œdipiennes en
Allemagne et en Italie, remises au goût du jour misogyne, hyperbolique, la
condamnation sociétale se voyant (littéralement, en direct, en temps dénommé
réel, sur tous les écrans de la fiction avérée, mondialisée) élargie aux
dimensions d’un conflit de civilisations, de religions, masques tragiques sous
lesquels se dissimulent une béance identitaire et un malaise moral insondables,
pas inexplicables, comme une variation décuplée, explosive, narcissique, de
l’étrangeté existentialiste. Le cinéma, art de la préservation, de la
transmission, abandonnant au théâtre la sensation, l’incarnation, devient un
langage d’embrigadement islamiste, une source d’inspiration et d’entraînement
pour les interventions américaines en Irak, un méta récit collectif bouclant la
boucle avec des films prophétiques et rétrospectifs, la répétition du
défilement des images alignée sur le bégaiement de l’actualité, le ressassement
des tropes patriotiques – à l’échelle de valeurs supérieures suffisamment
vagues pour s’avérer consensuelles, sacrificielles, telles la liberté,
l’égalité, la solidarité – harmonisé sur le piétinement des troupes, au moral à
soutenir, aux vétérans à honnir (ou soigner), pieux mensonges à message non
plus en illustrations, à l’obscène douceur, d’un hypothétique irreprésentable,
mais paravents plus ou moins captivants placés devant une invisible guerre à
corriger, monter (surtout pas montrer), remaker au besoin.
Imaginons Kirilov, avec ou sans
turban, pourvu d’une barbe ou glabre, citoyen belge ou apatride sis dans
l’arène vidéo, affirmant, à l’inverse de son avatar littéraire, la survivance
de Dieu et l’abolition de toute permission (compromission). Le nihilisme à
visage humain aime à s’adorer dans son reflet télévisé, pixélisé, au-delà
immédiat qu’il meurt d’envie de regagner grâce aux armes lourdes, aux massacres
d’écoliers, de caricaturistes, de spectateurs. Avec sa guérilla interminable,
modulée, dans les rues de Paris ou Tel-Aviv, en Afghanistan ou en Afrique, avec
ses patronymes métamorphosés, ses rhizomes de succursales, de dissidences,
d’antennes, avec ses boutiques en ligne et son implantation dans les quartiers
paupérisés de partout, pas uniquement ceux des banlieues de capitales
hexagonales (la surveillance du territoire procède aussi de la cartographie, au
carrefour de la statistique, tout sauf ethnique, mystique républicaine oblige,
de l’urbanisme et de la criminologie), le terrorisme baptisé religieux emprunte
à la révolution sa chronologie différée, à l’insurrection, ses accès stupéfiés
de violence, cancer métastasé travaillant en réseau ou cellules singulières à
la ruine du corps social occidental, dont il fait bien sûr partie, par
naissance, langue, imaginaire fantasmatique, héritage historique, cette
appartenance redoublant sa rage froide et artisanale, amplifiant sa pugnacité
méthodique ou improvisée.
Davantage qu’une illusoire altérité,
démentie par l’espéranto de la génétique, par la pauvreté pandémique, on
cherche à exterminer ce qui nous ressemble, à mettre un terme à son
insupportable proximité, spatiale et mentale, à se réinventer en croisé
faussement musulman (victimes itou, sinon premières et principales). Le
ressassement des épisodes contestataires fatigue autant que l’usure des jours,
que l’écume nocturne déposée sur l’oreiller, que la face méconnaissable recroisée
au matin dans la glace carrée, ce cadrage géométrique adopté par les preneurs
d’otages cagoulés, pour leurs exactions relayées ou à dissimuler (ne pas
désespérer Billancourt, ne pas froisser les sensibilités scopiques). L’insurrection,
l’anarchisme, la révolution, le terrorisme, chapelet de positions
inconfortables, de possibilités impossibles, de terrains minés explorés avec
l’on sait quels résultats (et réussite désastreuse). Que s’élaborent, alors,
d’autres stratégies de libération, d’ascension, d’éjaculation. Que prennent
corps, par-delà la page codée, une résistance à tous les niveaux, de tous les
instants, à remodeler, à accomplir sans héroïsme ni défaitisme.
L’altermondialisme, l’humanisme, l’écologisme, la somme inépuisable des ismes
soldés, remâchés, gentillets, que les gardent ceux qui croient encore au grand
soir mais pas à la longue nuit, ceux qui, Janus dos à dos, manifestent,
cassent, tabassent, votent, rabâchent, pérorent, ricanent, se victimisent, se mobilisent, se
lavent les mains du prochain, pratiquent la charité en chansons, louent la
cinéphilie récréative, créative, continuent à croire au débat, à la force, aux
frontières, à l’immunité monétaire et nationale. Voici l’unique alternative, en
définitive : se transformer sans tarder ou s’éteindre à tout jamais.
III
Peut-être que l’on se trompe depuis le début. Que le cinéma
ne mérite pas notre passion ni notre écriture. Qu’il ne mérite rien.
Finalement. Pas même du mépris. Tout ce temps passé à regarder une imitation de
la vie. Tout ce temps perdu qui ne reviendra jamais plus. La vie rugissait
pourtant au-dehors. Une réalité enterrée vibrait à l’extérieur. Tant de corps à
étreindre. Une infinité de visages. De paysages. De quoi occuper une vie
entière. L’épuiser dans la félicité blessante. Et alors ? Qu’attendre de
ceux qui s’abritent dans des tombeaux isothermes ? Au sein des cimetières en
été ? Entre les pages dépassées ou les coursives immobiles des
musées ? Un casque vissé au crâne. Un regard levé au ciel antérieur. Pas
grand-chose. Rien. Sans doute. Maladie honteuse et populaire de la cinéphilie.
Platonisme d’adolescent. Affaire de fric. L’insulte américaine du mot art. On
ne saurait leur donner entièrement tort. Delerue s’y exila. Y décéda. La façon
dont on traite la culture dans ce pays. Entre étatisme. Mécénat. Intermittence.
Corporatisme. Bonne conscience. Bénévolat. Désormais financement participatif.
L’argent demandé autrefois à sa tante. Ses amis. Sa petite amie. L’argent
probablement. Rechercher une certaine sécurité. Nathalie Baye déclarant jadis toucher
des allocations chômage. Comme si l’économique pouvait se dissocier de
l’esthétique. Ne nous parlez pas de politique. Laissez-nous rêver. Priser le
peu de beauté. Là sur l’écran. À portée de main. À quelques mètres d’un destin.
D’un festin. Le faisceau fabuleusement fasciste nous enchaîne aux images
améliorées de nous-mêmes. Jusque dans l’abjection nous nous ébrouons. Il ne
suffit pas de se leurrer. Il convient de s’humilier. De remercier la main du
petit maître tournant la manivelle. Appuyant sur le bouton. Réclamant l’action
des simulacres afin de réduire à l’inaction les spectateurs volontaires. Qui
n’attendent que ça. Qui attendent si peu d’eux-mêmes. Une place achetée le
mardi garantit une place gratuite. Opérateur de téléphonie mobile pourvoyeur de
rabais en multiplexe. Croissez et multipliez. Reproduisez l’état des choses et
vos rejetons sans mémoire. Mercredi jour des enfants. Des grands enfants de
quarante ans ou plus en file docile à l’entrée du sépulcre qui sent le pop-corn
et des dizaines d’autres saloperies à s’empiffrer. Accompagnement au piano du
muet. Accompagnement au prorata de la glycémie. Lénine ou Vertov et l’opium.
Pas le même. Presque. Religion de l’image et image des religions. Un siècle
laïc durant des croyances iconoclastes. Une foi taillée sur mesure. Mesure du
réel à la démesure des discours. Une impuissance nous saisit à embrasser
l’expérience du monde. Nous vivons chacun dans le nôtre. Celui-ci cousu dans
l’étoffe des cauchemars aimablement fournis de la naissance à la mort.
Indiscernables du reste. Avec lui confondus. Quand le référent vient à
disparaître de la conscience elle-même ne demeure qu’un vague malaise. Une
douleur lancinante. Prescription de morphine et d’anamorphose. Le septième art
de corbillard. Cachez ce dessein que je ne saurais voir. Enfoncez l’humanité
tout au fond de votre fosse. Voici le lieu. L’ultime locomotive. Le dernier
motif irreprésentable de la représentation. Chambre noire et chambres à gaz.
Angle mort des actualités reconstituées. Heureusement pour eux ils conservèrent
les costumes à rayures. Une maquilleuse russe effectue un raccord sur un figurant
malingre. Allez parler de révisionnisme après. Après quoi ? Après les
passeurs et les cinéfils ? Les cahiers jaunes et les vagues
internationales ? La modernité de Fellini. Antonioni. Hitchcock. Powell.
Godard. Stop ou encore ? De la rupture pour quoi faire sinon réinventer
notre manière de voir et de vivre. Implosion de la narration. Disparition du
sujet. Abolissement de la structure projetée. L’aventureuse touriste
embourgeoisée s’évanouit sans fin entre les rochers. La voleuse charmeuse.
Immaculée. Esseulée. Sous la douche elle n’en finit pas de hurler. Chuter.
Fixer le vide d’un œil translucide. Auparavant un drain pour évacuer les
résidus d’hier. Toutes ces consolantes imageries enfantines ordonnées et aux
ordres. Bien propres sur elles. Bienvenue à l’abattoir. Chez vous. Dans votre
miroir. Le cinéma classé d’horreur laisse vos mains moites. Cœur battant et
battu. Obscurcissement instantané ou momentané. Tel l’orgasme du reste. Telle
la tête coupée roulant délicatement dans le panier en osier de l’échafaud. Et
la colère au bord des larmes de Rod Steiger chez Leone. Le dindon de la farce
tragique. L’éternel péon cocufié. Le charme canaille des activistes teutons ou
transalpins. Les filles amoureuses de Baader. Les lèvres rouges des brigades.
Une gare et un film qui sautent. Différemment. Pareillement. Révolution au
cinéma et dans ce qui le nie au quotidien. L’épuise et le rend caduc. Tuer des
hommes pour tuer des idées. Mais les coercitions subsistent et les crimes
s’accumulent. Meurtres ou attentats en répliques modélisées de la violence
étatique. La justifiant par l’absurde et le sang. La légitimant dans ses
maléfices autorisés ou réclamés. Alliés objectifs et entente transparente.
Instrumentalisation des captations. Appareils d’État et de prise de vues.
Rodeur sur le seuil et rêveurs dans les salles. Du cinéma en ersatz. En lot de
consolation qui console quatre-vingt-dix minutes. S’injecter dans la pupille
une diversion relative. Forer la fovéa pour atteindre des pleurs de
contentement. Accommoder sa vision et s’accommoder du monde tel quel. Légion
écrit à l’international. Il tapote et donne son avis de vieille fille. De
tribun falot. De nostalgique lobotomisé. Le bon vieux temps de nos meilleures
jeunesses. Qu’elles aillent se faire mettre. Soumettez-vous ou bien
démettez-vous. Vitres brisées. Sondages en berne. Déficit d’image. Pénurie
d’essence. Raffinées raffineries à confisquer en confiseries cégétistes. Marche
ou crève. Va à vélo. Énergie verte et voleur de bicyclette. Providentielles
inondations et incendies perturbant des projections pas très catholiques. Des
mots vomis à la minute. Une aphasie à sa guise. Œdipe se crève les deux yeux
pour mieux voir l’origine du monde et le père éternel. Pauvre diable truqué.
Pauvres guignols paradant sur le petit écran. Qui ose écrire les dialogues obscènes
de cette attristante comédie ? Qui nous délivrera du bien ? Du bien
qu’ils nous veulent tous. Qu’ils nous imposent. Vers lequel nous aspirons de
toutes nos faibles forces et pendant le court temps intégral de nos existences
infinitésimales. Alors s’exiler ? Escalader la paroi dangereuse ? Se
jucher au sommet des Alpes intérieures ? Regagner en heureux ermite la
réclusion de la sécession ? Se déconnecter du réseau risible ? Une
autre solution. Une échappatoire définitive. Le beau couteau du giallo repose
sur la table de nuit. Il ne faudra pas trembler. Se louper. Gare à l’incision
maladroite. Au remords tardif. Pas de seconde chance. Rien qu’une prise unique.
Une prise maximale de risque. Quand la ville dort trépasse le marchand de
sable. Tu trouveras bien la dernière des putains pour te seconder. Pour
t’assister en assistant à ta plus grande défaite. Elle sentira aussi bon que la
mort en public de l’Autrichienne au milieu de la foule agressive. Tous nous
montons sur scène. Tous en scène pour la vibrante cérémonie. Au moment où
s’abat la lame aiguisée une extase légendaire émane de la foule réconciliée. Un
mouchoir parfumé. Une trace effacée. Une évasion intériorisée.
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