Hard To Breathe : Le Deuxième Souffle
Prisonnière et croyante, seule et entourée, prometteuse et antique –
prendre ensemble du plaisir, avant d’expirer…
Le hasard n’existe pas, ni le destin,
aussi la curiosité intellectuelle/sensorielle nous conduisit vers Joan (Alasta,
pas Jett) et son tout premier album (paru en 2011), suivi d’un EP à compléter
(car sous-titré Part. 1).
La jeune femme, coupe courte, sourire
sincère, simplicité généreuse, joue de la guitare depuis l’âge de sept ans (de
bonheur), travaille « au civil » en tant qu’assistante sociale (dans
un hôpital ajaccien), pratique la reprise en ligne (Rihanna, l’envoûtante et
drolatique Lana Del Rey louée naguère par nos soins), « tourne »
souvent, (bien) entourée par Emmanuel Camy (basse), Clément Cliquet (batterie),
Vincent Verger (guitare), collabore désormais avec Dj’L, apparut « sur les
ondes » TV/radio, cite Oasis & Radiohead (un point commun avec Hélène
Grimaud), répond cordialement à votre courriel (de remerciements-félicitations).
Dire ceci en révèle un peu sauf
l’essentiel : sa musique se caractérise par un sens précieux de la
mélodie, une écriture précise (on attendra de l’entendre un jour chanter en
français ou, qui sait, en corse, cette langue d’héritage, de partage,
d’identité, de cérémonies funèbres, l’expression de la polyphonie ou des voceri), une énergie de jeunesse,
d’appétit de la vie, des rencontres, des échanges, une mélancolie naturelle,
également, sans qu’elle contredise la qualité précédente, comme une façon de
l’équilibrer, de se dévoiler en intimité transposée (cela nous séduisit
surtout, en amoureux rageur et inconsolable du soleil noir nervalien).
Si le virage vers l’électronique du
second opus peut surprendre, il
possède sa propre cohérence, car un(e) artiste se fiche royalement (la
demoiselle, tout sauf « en détresse », dispose d’une voix riche, reine en devenir à
l’heure des concours de cris, de gamineries, d’ennuis) des stériles « plans
de carrière », des cases critiques, des parcours orientés par des maisons
de disques agonisantes (comment vivre de son chant en 2016, comment se
réinventer, ne pas se laisser piéger dans la nasse numérique ? Les
réponses à ces questions lui appartiennent davantage qu’à nous-mêmes).
Et que l’on se rassure (si besoin),
le recueil de sept titres, dans ses rythmes imparables, son orientation
physique, voire ludique, ne cède en rien à ce sentiment prégnant de nuit posée
sur le jour, entre salut, chemin perdu, méconnaissance (de soi, de l’autre),
départ nocturne, jour prochain et foi (en soi, dans le monde), afin de conjurer
la tentation du suicide (celui, irréparable, de l’âme).
La reformulation des items du disque virtuel pourrait laisser
penser à un ouvrage dépressif, alors que l’on en retire une envie de vivre, de
partir, de bouger, tout au moins de danser, d’étreindre (puissance populaire
d’un art « mineur » à réconcilier, brièvement, avec l’humanité).
Mais cet article, au-delà d’un simple
salut insulaire (que l’on nous reproche d’autres choses que l’esprit « communautaire »,
la solidarité « de clocher », en dépit de notre attachement
sentimental et mythique pour cette île, pour le Sud natal, méditerranéen,
portuaire, sa lumière sans pareille, sa douleur extatique, admirablement décrits
par Camus ou Albert Londres), se voulait, se voudrait, la célébration d’une
difficulté à respirer transcendée en capacité à inspirer (double acception du terme, bien sûr), à inciter à relever
la tête, composer un morceau, se saisir d’un micro, avec cette inconscience,
cette assurance, d’une « fille » en jean assise sur un bord de canapé au côté d’une « brochette »
de « mâles » enthousiastes (description d’un passage, sans parapluie R’n’B, sur une chaîne
locale).
La chanteuse utilise trois fois
l’impératif – ne m’oublie pas, respire, viens – et se dit victime d’une
hantise, s’interroge sur ce qu’importe une erreur favorite ou la découverte
d’un foyer, croit aux garçons, au bon moment magnétique, récits d’amour et de
désamour enfin rafraîchis, contés avec une grande et furieuse douceur.
Elle se livre, nous délivre, durant
trois minutes en moyenne, courtes et « en boucle », du poids multiple
qui nous empêche, au quotidien, en public et en privé, de remplir nos poumons
d’un air vicié mais vital, de plonger dans notre intériorité en aventure heuristique, en ressourcement musical, moral, esthétique et politique (aucun
créateur ne produit dans l’abstrait, hors d’une société, d’un temps donnés).
La chère (et inconnue de visu, mais ressentie dans notre corps
entier, notre esprit éveillé, via
l’oreille, avec cette bouleversante proximité du son, d’un assemblage de belles chansons éclairant les ténèbres, réelles ou symboliques, en phares miniatures,
en balises de survie sur l’océan de la solitude, de l’exil, de la mort) Joan,
n’en doutons pas, doit côtoyer dans son métier quelques obscurités, se
confronter à la « réalité » dans sa vraie « noirceur », pas
celle de la pose gothique ou horrifique (vous disais-je, Mademoiselle, que
j’apprécie cependant le cinéma dit d’horreur, que j’écris sur vos notes et lyrics en cinéphile amateur de bossa, de soul, de pop, de « BO »
and Co. ?) et la voici radieuse dans
sa tristesse mélodieuse, incitative, « résiliente ».
Une dernière correspondance avant de
terminer ce billet (très doux pour l’intéressée, espérons-le), Joan nous évoque
(en juvénile écho) la grande Chrissie Hynde – alors souhaitons-lui une
trajectoire similaire, dans les futures métamorphoses de son « projet »,
dans sa réussite au présent.
Quand l’univers oppresse, quand la
chair paraît si triste, et les livres désespérément tous lus (dixit Stéphane Mallarmé), et les films
infidèles au feu qui devrait nous brûler, il faut qu’une sirène nous retienne
par la main, nous évite la noyade, qu’elle parvienne, en étonnant miracle
laïque et lyrique, à rétablir l’horizon (des sentiments), à donner un sens
(provisoire, illusoire) à l’absurdité des biographies.
Vous doutez de cette magie à portée
de main, de « clic », vous nous jugez sentimental et
hyperbolique ?
Allez voir (écouter) ce qui palpite, bat,
émeut, ce qu’il est arrivé, sous ce
lien en annexe et revenez nous en parler, n’hésitez pas à suivre/soutenir cette
artiste inspirée, inspirante, telle une sœur lointaine de Jean Seberg (ou de Pascale
Le Berre, la délicieuse complice de Philippe Pascal pour Marc Seberg) égarée à
Ajaccio.
À bout de souffle, vraiment ?
Au contraire, l’incarnation féminine,
fragile, résolue, affirmée, d’une (très) jolie singularité qui mérite de se
développer, de nous emporter longtemps encore sur son territoire sonore à
l’humilité sereine de mystère, à la discrétion irrésistible d’un don.
Elle s’appelle Joan et nous ne
l’oublierons pas (de sitôt).
Commentaires
Enregistrer un commentaire