Élémentaire, ma chère Watson
Exils # 150 (15/12/2025)
L’ambiguïté de Rosemary’s Baby (Polanski, 1968) ? Le dolorisme de L’Emprise (Furie, 1982) ? La chronologie de Lucky (Kermani, 2021) ? Périmètre mortel (Red, 2008) s’en moque à la truelle, malmène Famke Janssen qui se démène, se souvient de Verhoeven (Hollow Man : L’Homme sans ombre, 2000), l’invisible devient visible via le sang de l’amant, violence virtuose, payer de sa vie le prix d’une nuit d’humide défi, logique symbolique empreinte de puritanisme. Si le synopsis se résume à ceci : une ex-détenue homicide affronte à domicile le fantôme d’un flic, la scène de ménage ne ménage ses dommages et mérite quelques lignes à demi laudatives. Nanti d’un titre d’origine programmatique (100 Feet), assez bien adapté en français, ce survival marital, au final infernal, demeure en flammes, telle jadis la chaufferie du Freddy des Griffes de la nuit (Craven, 1984), naturalise le fantastique, n’en fait une affaire de subjectivité féminine, le donne à voir en évidence, au sens américain de preuve, puisque le co-équipier en colère et en faction, in extremis sauvé de la crémation par une épouse ni « meurtrière » ni rancunière, mais capable de sauver aussi sa propre peau avec « trois coups de couteau », d’en éprouver de la culpabilité, observe le spectre, veut « protéger » la veuve, virilisme risible car l’anti-héroïne s’en sort toute seule comme une grande, lui balance son alliance, alors l’esprit laisse apercevoir sa mélancolie, les traits retrouvés, aussitôt dissipés. « Marnie » appelle-t-il et Red convoque Hitchcock, par ce prénom à la cohérente connotation (frigidité + kleptomanie + prostitution maternelle + homicide bis = psychodrame poignant d’une traumatisée enfant), par le silence et l’indifférence d’une rue malvenue (Frenzy, 1972), par la scène de nettoyage express piquée à Psychose (1960).
À l’instar de Norman Bates, Marnie Watson se débarrasse donc d’un désirable cadavre, le planque sous des planches où elle rampe en écho à Klaus (Kinski, pardi, Crawlspace, Schmoeller, 1986), y découvre itou le pactole du ripou, rendu mauvais par le métier, cadeau ecclésiastique de curé couard, hélas le plafond s’effondre, le macchabée maltraité renverse le repentant rationaliste, la fausse coupable, wrong woman de wrong man (Le Faux coupable, 1956), risque de se retrouver à nouveau menottée, séquence au suspense horrifique et drolatique. Auparavant, notre cougar sur le tard, idem déguisée en Blanche-Neige esseulée, attristée, d’Halloween très raté, encaisse illico un confinement pré-Covid, (re)peint (il faut effacer la trace écarlate murale, ne plus récurer la clé de l’odieux Barbe bleue) et prend un bain, s’éclaire à la bougie, alanguie, se ronge les ongles et se brosse les dents, décroche un job de télévendeuse guère dispendieuse, se fait du café, se fait livrer, se fait « baiser », fouette de la fougère, reçoit un appel fraternel de la prison, s’amourache d’un chat, subit l’attaque subite d’assiettes suspectes (d’une jalouse sœurette, panouille de la Patricia Charbonneau d’Un flic dans la mafia) et de clous relous – ouf. Commencé en automobile sur des images de cimetière, mes amitiés à Romero (La Nuit des morts-vivants, 1968), terminé en autocar sur la une illusoire d’un journal national et le reflet d’une face, Périmètre mortel carbure à « trente pas » de distance, dure une heure trente, comporte un bracelet électronique et un « maniac cop » style Lustig (1988). Si vous n’aimez Famke Janssen, vous pourrez peut-être vous ennuyer ferme ; si vous estimez, avec votre serviteur, que l’actrice aristocratique et athlétique s’avère digne d’estime, vaut mieux que ses visibles films, je ne reviens point sur Le Maître des illusions (Barker, 1995), La Dernière Mise (Eigeman, 2007) et Asher (Caton-Jones, 2018), vous visionnerez avec une indulgence amusée, voire énamourée, ce huis clos sado-maso démuni du sérieux scandaleux de celui de Cavani (Portier de nuit, 1974), sorti en catimini, tourné à New York et en Hongrie, vacciné contre la misandrie d’aujourd’hui et pourtant convaincant dans l’illustration d’une expression de saison, discutable « violences faites aux femmes ».
Sans se hisser une seconde au niveau dévastateur de Bug (Friedkin, 2007) ou The Woman (McKee, 2011), la cinquième tentative du scénariste de Hitcher (Harmon, 1986), Near Dark (Bigelow, 1987) et Blue Steel (Bigelow, 1990), vingt ans après le sympathique Cohen & Tate (1988), constitue en définitive un divertissement plutôt plaisant, au sein pas si malsain duquel l’acrobatique caméra de Red – remarquez le mouvement du retour au bercail de funérailles, plongée à la grue en contre-plongée conclue – semble désirer surpasser celle du Fincher de Panic Room (2002), puisque placée parmi un penderie, une armoire à pharmacie, un broyeur d’évier, pouvant traverser le sol avec la même facilité que la plongée frontale d’Outrages (De Palma, 1989), deux autres accords de corps sexués cadenassés, massacrés, deux autres manifestations de hom(m)e invasion, deux autres happy endings amères et magnanimes. Sur la vitre et la ville, le visage évocateur de la survivante vaillante et lectrice naïve (recettes simplettes et revenant récalcitrant) dessine un sourire subtil, c’est-à-dire un oui à la vie (redit Molly), cède à ses collègues, Lara (Croft) etc., la gloire de la victoire, la testostérone à la gomme. Flanquée du ressuscité Michael Paré, du dispensable Bobby Cannavale, de l’anecdotique Ed Westwick, la forte et fragile (Famke) Marnie quitte la Grosse Pomme et le petit film, femme imparfaite, être honnête, silhouette discrète, à laquelle le spectateur dominical, désarmé, ne peut que souhaiter la renaissance et la paix.

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