Barbare Barbara
Exils # 148 (10/12/2025)
Palme méconnue et moins musicale que le fameux Orfeo Negro (Camus, 1959), La Parole donnée (Duarte, 1962) ressemble un brin, de loin, sujet de sainteté très tourmentée, à Rossellini (Le Miracle, 1948) & Buñuel (Simon du désert, 1965), dispose d’un escalier ecclésiastique aussi spectaculaire que celui d’Odessa la soviétique (Le Cuirassé Potemkine, Eisenstein, 1925), tandis que le générique de danse, transe, errance, se munit d’un désertique incendie à ravir Tarkovski (Le Sacrifice, 1986). Ceci posé, l’opus possède sa propre personnalité, se suit avec plaisir et le sourire pendant une heure trente rapide et dense. Si le dramaturge et scénariste (Alfredo) Dias Gomes souffrit d’afficher ses sympathies gauchistes, interdiction d’expression et licenciement à l’avenant, là-bas, en ce temps-là, ça ne plaisantait pas, pas vrai, Lula da Silva, le socialisme sur fond d’antiracisme ne sort ici grandi, car la satire bien sentie, tragi-comique davantage que didactique, en somme n’épargne personne, ni l’ersatz délocalisé d’Antigone, ni les vautours qui lui tournent autour. Flanqué de sa femme insatisfaite et fissa infidèle, un fermier du Nordeste porté sur la parole donnée – le titre d’origine souligne quant à lui le prix d’une promesse – porte donc une lourde croix, jusqu’à la bien nommée Salvador de Bahia, remercie ainsi l’intercession subjective d’une sainte en faveur du salut de son… âne, dommage pour son âme, mise à mal dès l’arrivée de nuit en ville, peuplée de rapaces cupides et vils. Le carton d’introduction expliquait en français, de manière express, la « confusion » entre liturgie et « sorcellerie », christianisme et paganisme, culture occidentale et culte d’esclave, procédé d’appropriation, sinon de normalisation, jadis vécu de l’autre côté de l’Atlantique, via la consécration du calendrier romain, parce que JC le valait bien.
La question de la colonisation spirituelle se double au Brésil de celle de la couleur de peau, cf. les ouvriers portuaires, syndicalistes improvisés à l’épiderme basané. Capoeira et macumba (candomblé corrigent les spécialistes) ou police et messe, choisis ton camp, camarade cinéphile. Vacciné contre le communautarisme et le manichéisme, nos maux d’époque médiocre, le cinéaste Anselmo observe avec une lucidité amusée, attristée, une mosaïque hétéroclite, candide et cynique, blanche, noire et métis, métonymie d’un pays, les marches de ce Golgotha-là, éclairées puis ensoleillées, remplies puis vidées, substituées à la place du village chez Pagnol, au forum des Romains, à la scène du théâtre grec, signature de la pièce matricielle et retour à l’espace originel. Le suspense symbolique et politique – notre anti-héros Zé(ro) do Burro, vocable d’onagre, aux terres partagées, va-t-il vaincre la porte close, son beau fardeau transformé en bélier ? – se résout in extremis de manière dramatique, cadavre de bagarre générale, de balle municipale, illico porté en croix, par les souples costauds précités, à l’intérieur cette fois, l’épouse esseulée, veuve vannée, désormais en pleine ascension de déréliction. Avant ce dénouement cohérent, crève-cœur ironique d’entrée définitive les pieds devant, laissez venir à moi les grands enfants, le christ de pacotille s’enlise parmi une clique intéressée, fracturée, mention spéciale à l’ex-flic proxénète, guide démoniaque et indic dérisoire, agent déterminant au milieu du bazar, lui-même doté d’une amoureuse et coléreuse prostituée, couple d’entourloupe séparé puis réuni, reparti, bras dessus bras dessous, rire fou. Prêtre et poète, reporteur et restaurateur, évêque diplomate un poil Pilate se succèdent auprès, voire au chevet, du marcheur abîmé, de l’innocent illuminé, stigmate de l’épaule compris, pour le confortable « coussin » tant pis.
En vérité je vous le dis, ce fanatique se fiche de l’Afrique, Yansan ou Barbara, même combat et même foi, soulève un visage en extase lors de la rituelle procession, à laquelle répond l’attroupement profane du crêpage de chignons. La « réforme agraire » l’indiffère, le marxisme ne l’inspire, le voici en train de vivre un laïc martyre, mise en scène in situ et en continu, où s’invite le pathétique un peu obscène d’une mère au minot malade, qui réclame au quidam de l’aider, il hésite à le toucher, se limite à une impuissante humanité. Le néo-réalisme rosé du début, vaudeville malvenu, se tend durant le périple immobile, la station de croix n’en finit pas, ne peut se terminer que comme cela, trépas accidentel et cruel, immédiatement instrumentalisé, aussitôt oublié. Soixante-trois ans après leur surgissement, leur couronnement, ni la caméra mobile et précise de Duarte, ni le casting choral impeccable, tandem doux-amer de Leonardo Villar & Glória Menezes, ne méritent d’être ensevelis sous la cendre de l’amnésie, animent aujourd’hui encore la parabole triste et drôle, petite pépite dont on ne sait si elle séduisit ou pas le plus marginal et radical Glauber Rocha (Le Dieu noir et le Diable blond, 1964).

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