Jetons et Dragons

 Exils # 147 (04/12/2025)

On se doute de la tête des cadres de Disney à la projo privée, surtout la scène du pied princier, par la bête bien bouffé. On entend itou parler de virginité, on entrevoit sous l’eau une nageuse nue : Le Dragon du lac de feu (Robbins, 1981) s’inscrit ainsi dans le sillage de longs métrages disons adultes, au modéré tumulte, à l’instar du Trou noir (Nelson, 1979), des Yeux de la forêt (Hough, 1980), de La Foire des ténèbres (Clayton, 1983). Si le périple initiatique, à grande lance fissa phallique, dont le nom duplique le titre d’origine (Dragonslayer, Buffy opine), réutilise une ressassée structure mythique ; si la créature en question, détruite en définitive via un « sorcier en apprentissage » (cf. Fantasia, 1940), avec le concours de son mentor déjà mort (Sir Ralph Richardson cachetonne, ressuscite le Moïse de DeMille) et d’une chouette amulette, procède d’un bestiaire culturel et religieux fameux ; si l’issue ne semble jamais perdue, malgré moult retournements advenus, ce film presque méconnu, chu dans l’oubli de l’amnésie, comme le héros au creux de sa caverne guère platonicienne, quoique, distille en ligne au cinéphile quelques appréciables surprises. Le double meurtre introductif des pères putatifs renvoie vers Bambi (Hand, 1942), eh oui, tandis que le sombre réalisme de l’entreprise relooke à la louche la claire comédie à demi animée, démodée dès l’orée, de Peter et Elliott le dragon (Chaffey, 1977). Le sacrifice institué de filles pas riches mais immaculées, au propre et au figuré, de jeunes filles en fleurs couronnées de fleurs, comme les funestes fêtardes de Midsommar (Aster, 2019), prisonnières d’éperon, repas de dragon, évoque celui de King Kong (Cooper & Schoedsack, 1933). Le combat de l’homme contre l’animal, de la jeunesse envers la vieillesse, victorieuse au lieu d’audacieuse, puisque disparition programmée, poids des années, modification de la société, rappelle Les Nibelungen (Lang, 1924).

Alors que le queer s’imagine mainstream, que les féministes se gargarisent de « regard masculin » malsain, Le Dragon du lac de feu joue sur le genre, révèle vite que l’émissaire liminaire s’avère en vérité dénudée une jeune fille lucide et intrépide, active et réactive (secours du bouclier), qui sait depuis l’enfance que l’habit fait le moine, ne défait la femme, soumise promise de « pacte » patraque et patriarcal, à la zoophilie pas jolie jolie, versus révélation sidérée puis dansée de son sexe tout sauf faible. De l’autre côté de la classe (sociale) et de la glace (royale), l’héritière ne fait la fière, prend conscience de la cruelle supercherie paternelle, de l’arnaque inégale, trafique donc les jetons de la cérémonie de protection, mes amitiés à Shirley Jackson (La Loterie), admirable courage de noble dame. Infusé de ce féminisme soft démuni de manichéenne et doloriste misandrie, la fable funèbre met en sus en scène le crépuscule du paganisme, la cristallisation du christianisme, petit crucifix offert in fine à la fifille compris, les mânes de Walt durent adorer. Les paysages sans âge, aux verticales létales, relèvent d’un romantisme noir qui associe et harmonise l’artifice onirique du beau en studio (Pinewood, of course), style Dark Crystal (Henson & Oz, 1982) ou Legend (Scott, 1985), à la rudesse réelle du décor naturel (pays de Galles septentrional, dragons de drapeau), alliance suscitant la vraisemblance, le caractère physique du fantastique, métissage aussi réussi que celui des contemporains Conan le Barbare (Milius, 1982) et Ladyhawke, la femme de la nuit (Donner, 1985). Le dernier de sa lignée condamnée, massacrée, l’adversaire infernal apparaît peu avant l’affrontement final, sa majesté serpentine se dissimule et se devine, somptueuse et dangereuse tel l’alien de l’esseulée Sigourney, le brillant Brian Johnson, déjà co-oscarisé pour son apport au « huitième passager », participe ensuite à L’Histoire sans fin (Petersen, 1984) et récidive avec Cœur de dragon (Cohen, 1996).

Bien sûr, l’opus ne possède une personnalité puissante, tous les cinéastes ne s’appellent Fritz Lang ; d’accord, le choral casting manque de charisme, emmené par un débutant Peter MacNicol pas encore occupé à défier les chasseurs de fantômes farceurs de Madame Weaver (Ghostbusters II, Reitman, 1986) ; certes, la fable fréquentable devient vite longuette, une heure cinquante au compteur, de quoi décourager l’attention d’un enfant de jadis et davantage d’aujourd’hui. Tout ceci écrit, Le Dragon du lac de feu ne mérite d’être démoli, enterré, en plein ciel explosé, sa modestie optimiste (happy ending en demi-teinte : le missionnaire et le monarque persistent à tromper, à sévir) le rédime, s’incarne avec charme pendant l’épilogue au couple cavalier, amoureux lumineux sur une monture immaculée, bis, amants dessillés et non désenchantés, sur eux-mêmes et le monde, nouveau parcours dans le doux éclat retrouvé du jour, peut-être pour toujours. Ni la direction dite photographique évocatrice de l’éphémère Derek Vanlint (Alien, Scott, 1979) ; ni la musique du bien nommé Alex North, occasion de recycler des morceaux de la BO congédiée d’un certain 2001 ; ni les effets spéciaux des spécialistes d’ILM, ni le travail des incontournables Phil Tippett & Chris Walas n’empêchèrent l’item de boire la tasse, flop financier à faire Paramount pleurer. Matthew Robbins se consola, bossa illico comme scénariste de Spielberg & del Toro et Le Dragon du lac de feu se transforma au fil des ans, mon enfant, en film culte, sinon de chevet pour le trio de Guillermo, George R.R. Martin & Neil Marshall, reconnaissance tardive et réparation d’injustice.  

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