Le Concert et le Cimetière

 Exils # 128 (16/09/2025)

Dans Obsession (De Palma, 1976), autre avatar du complexe d’Électre, une restauratrice de tableaux invitait à sauvegarder la beauté, peu importe le palimpseste. Dans La 7ème Cible (Pinoteau, 1984), la mamma de Ventura dissimule sous ses « gouaches » pas si dégueulasses des signatures de renom, découvre Degas d’un coup de chiffon. On devine vite que le procédé de la double couche s’applique au film, qui commence comme se termine Un papillon sur l’épaule (Deray, 1978) et se termine comme commence L’Espion qui venait du froid (Ritt, 1965). Cette fois, toutefois, l’acteur en bout de course et presque à bout de souffle ne se fait plus descendre à distance, en pleine rue passante et indifférente, il se fait tabasser arrivé au sommet d’un escalier à la Remorques (Grémillon, 1941) mais démuni de flotte, position surélevée perdue puis retrouvée, car il l’occupera en coda, indication musicale et spatiale. Ce récit d’une chute rempli de tumulte troque donc l’énigme métaphysique contre la machination économique, le complotisme des seventies contre l’argent régnant de la décennie suivante. Exit Carrière, revoici Dabadie, hors de la zone de confort des comédies dramatiques chorales et sentimentales du sieur Sautet. Cela se sent souvent, pose parfois problème, parce que face à ces petits bourgeois presque sympas, que menace et malmène un escroc mutique et multiple, les prolétaires prennent cher, esquissés avec un manichéisme et un misérabilisme résumables à du mépris de classe, délestés de l’aspect satirique des spécialistes à succès (Le père Noël est une ordure, Poiré, 1982 ou La vie est un long fleuve tranquille, Chatiliez, 1988). Reporter à la retraite et détective sur le qui-vive, l’écrivain secoué doit se déplacer sans s’égarer, tel Thésée, avant de rattraper un ersatz d’Ariane, c’est-à-dire une fille adoptive davantage musicienne et naïve, moins juvénile et rétive que celle de La Gifle (Pinoteau, 1974), fi du fils enfui et transfrontière de L’Homme en colère (Pinoteau, 1979).

Leurs retrouvailles aux allures de funérailles, de victoire à la Pyrrhus, d’Orphée à la Philharmonie, s’autorisent in extremis au lyrisme et au montage alterné, donnent à entendre un concerto dynamique et mélancolique de Cosma, escorte en contraste, clair écho d’une scène célèbre de L’Homme qui en savait trop (Hitchcock, 1956), tentative d’assassinat mélomane montée au métronome. Si Les Misérables (Hossein, 1982), où il (trans)porte un autre homme, n’hésitait à le terrasser, crise cardiaque emphatique et prophétique, l’opus de poursuite doucement drolatique l’abandonne debout, pour l’éternité douteuse du ciné, l’immortalité d’une image arrêtée, père revenu des Enfers plus épuisé que vénère. Le long d’un chemin de croix laïc et longuet, cartographié par un professionnel – de la profession, sinon de la consolation, de la réconciliation – impersonnel, d’ailleurs auteur d’une autobiographie anecdotique au titre explicite (Merci à la vie), il croise trois femmes fréquentables et trois actrices complices, hélas réduites à des silhouettes simplettes, le scénariste dialoguiste a priori plus inspiré naguère par la solaire et mortifère Romy Schneider que par les nonobstant estimables Béatrice Agenin, Élisabeth Bourgine, Lea Massari jadis et aujourd’hui, tant pis. Tandis que Bacri fait déjà du Bacri, déguisé en flic et flanqué de ses fifilles, bis, Poiret interprète un marionnettiste triste, un ventriloque en toc, en rime à l’homonyme dépressif de Magic (Attenborough, 1978), pauvre ami et mari hospitalisé à la main serrée, aux « jambes brisées », au pantin féminin, l’actrice italienne ne s’en soucie, lui sourit, dont le destin mélodramatique et gentiment ironique (« Comme ils sont émouvants ») remémore plutôt le rabotage rigolo des Sous-doués en vacances (Zidi, 1982) que le martyre pacifiste de Johnny s’en va-t-en guerre (Trumbo, 1971).

On se souvient qu’un certain Żuławski se vit pressenti pour l’itou teuton Espion, lève-toi (Boisset, 1982), sillage des outrages de son Possession (1981) situé aussi là-bas, en Allemagne blafarde, que Ventura mit son veto et le holà, on peut comprendre pourquoi. En compagnie du calme et amical Pinoteau, pas de métro crado, de poulpe palpeur, d’identité divisée, juste un énième divertissement du temps, inoffensif et collectif, produit par Marcel Dassault et la Gaumont, allons bon, éclairé de manière soignée par le solide Edmond Séchan, dirlo photo du Ballon rouge (Lamorisse, 1956), L’Homme de Rio (de Broca, 1963), Sur un arbre perché (Korber, 1970) ou bien sûr La Boum (Pinoteau, 1980) et au final du patraque Joyeuses Pâques (Lautner, 1984), ponctué des cascades motorisées de Rémy Julienne et des caméos de (Robert) Laffont & Planchon, Alane & Silberg, sorte de requiem franco-français jamais obscène précédant la reconstitution locale de Cent jours à Palerme (Ferrara, 1984), que Ventura détesta tourner, malheur au réalisateur. Ainsi va le cinéma, les génériques deviennent vite des listes nécrologiques, les ramages et les ratages des reflets d’autrefois, de tous ces absents attachants, adulés, oubliés, ranimés par les machines et via ma voix, qu’ils s’appellent Lino, Lea, Jean ou Jean-Loup, Rémy et tutti quanti

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