Voix sans issue
Exils # 127 (10/09/2025)
Macabro (Prado, 2020) commence comme un codicille au diptyque Troupe d’élite (Padilha, 2008 + 2010), qui plut au public et déplut à la critique, les producteurs rempilent, l’affiche et la bande-annonce le précisent. On retrouve vite plusieurs motifs : des hommes en uniformes, une bavure au début, le récit du protagoniste en voix off, avant celle du journal régional nommé A voz da serra. Mais le film sème ce modèle, évite la ville, se déplace donc en montagne, retrace sous forme fictive un fait divers en effet macabre, plus sordide que celui du script. Au Brésil sévissent ainsi deux « frères nécrophiles », friands de refroidissants « féminicides », à faire défaillir les féministes nordistes. Au Brésil sévit aussi un prêtre pédophile, son onctuosité le trahit dès l’orée, son discours antidémoniaque le démasque. En vérité je vous le dis, en dépit de somptueux paysages de parc national, paradis laïc presque préhistorique, aux trois pics expressifs, le village vibre d’une violence virale, le retour du fils indigne et non prodigue réactive les rancœurs, rajoute le malheur à l’horreur. À l’instar des petits polars du samedi soir sur la lucarne hexagonale, Teo, abréviation de prénom à connotation de religion, retourne à la terre natale et infernale afin de conduire une enquête fatale. Sa mère, misère, jadis pendue, l’officier délocalisé, sinon déclassé, oublie Rio, fait le boulot, s’aperçoit fissa d’une culpabilité partagée, très orientée. Là-bas et au-delà, dans la cité ou en forêt, il ne vaut d’être « noir, pauvre et seul », résume l’intéressé à l’intention du suspect en détention. Au téléphone, un supérieur sous pression lui met la pression, parle d’un « chien des favelas » à propos du type à la peau sombre flingué de nuit au fusil, perceuse trompeuse, déclare les « défenseurs des droits humains au taquet », CQFD.
Sur place, ça dérape, la tante trépasse, christ de pacotille assorti d’un bestiaire de viscères et d’un cimetière à ciel ouvert. La maladie du racisme, la brutalité instituée, le sacrifice de l’enfance ne suffisent, il faut affronter le silence de la connivence, l’omerta et la vendetta, un passé qui ne passe pas, puisque l’orphelin mit enceinte la fille vindicative de son oncle, le gosse l’ignore encore et « un peu en retard » à l’école lit mal même sur une arme. Le martyre de l’aimée, perdue deux fois façon Sueurs froides (Hitchcock, 1958), rendra fou et furieux l’épris (au piège) lucide et pourtant impuissant, à la sauver, à son âme conserver. Assassin assumé, malgré la demande suppliante de l’équipier lui-même basané, le voici coupable en bouclé bouclée, en replay, représentant repoussant de l’ordre du désordre, partie prenante d’un système obscène, dont l’exil forcé pour les raisons précitées ne sut au final l’épargner. On le constate, Macabro possédait sur le papier ou l’article tapé un potentiel certain, un cadre d’écrin, un écho de mélo sud-coréen, cf. The Strangers (Na, 2016), vers lequel je ne reviens. Hélas, rien ne marche, tout, jusqu’au vaudou relou, se détraque, produit un opus patraque, un cauchemar vert et mordoré jamais consommé. Si sa surface assez soignée peut séduire la rétine, le cœur renâcle, se détache de la débâcle, incapable de se sentir concerné, inquiété, par un scénario et des personnages dessinés à la hache, dépourvus de profondeur, démunis de nuance et de noirceur, par un casting choral à peine passable. Doublé en sourdine d’un western moderne, grand gamin à défaut d’Indien, troupeau de chevaux au repos de l’enclos, le thriller atmosphérique se voudrait de surcroît une étude de cas, à prétentions psychologiques et sociologiques, se réduit à un simulacre de reconstitution, dispensable transposition d’une affaire trentenaire dépeinte en parallèle, évoquée via des coupures de presse et les cartons de conclusion.
Cette fois la greffe ne prend pas, l’ensemble ressemble à un recel du réel, pasteurisation esthétique plus proche de l’exploitation critique, quasi hypocrite, que du bad trip heuristique. Macabro décrit une communauté mensongère et meurtrière, affirme le fameux retour du refoulé freudien, ténèbres intimes entrevues in extremis, lorsque l’agresseur apparaît, regarde sa moitié attachée, se fait fissa dessouder. La figure centrale et toutefois périphérique, insupportable et invisible, cristallise en définitive une tentative avortée, à l’inverse de la réussite économique et mythologique de la veine étasunienne du croque-mitaine. Ici, n’en déplaise à Michael Myers (La Nuit des masques, Carpenter, 1978), l’Autre ne se relève, éternel et indemne, malfaisant et maîtrisant le hors-champ, menace remplissant le vide du plan. Créature mentale, archétypale et végétale, sorte d’ogre féroce, à la nécrophilie bien moins onirique et jolie que celle du tandem de Lune froide (Bouchitey, 1991), ce lointain cousin de Caïn, cet ersatz des enfants sauvages de Truffaut & Herzog remémore à sa mesure un diable littéral, le discret Darkness de Legend (Scott, 1985). Rétif au fantastique et à l’ethnographique, Prado expédie la question de la transmission, de la malédiction, de la fabrication concertée d’une monstruosité, de ses atrocités, problématique évidemment irréductible au Brésil, excédant le grand écran, métonymie de pays à la dangereuse jeunesse en détresse, aux victimes multiples et mutiques.
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