Virez Willy

 Exils # 118 (15/07/2025)


Achab du Canada, Nolan, au patronyme explicite, alon(e) loin de Babylone, possède aussi son idée fixe, qui le possède et finit par le perdre, substitue au Queequeg d’ébène l’Indien lucide, pas du tout fou, de Vol au-dessus d’un nid de coucou (Forman, 1975). Lectrice de Melville, scientifique héroïque et enseignante « réchauffante », surtout du côté de la banquise, Charlotte Rampling formule et tamise l’anthropomorphisme, le mâtine d’une amère ironie : la mémoire sentimentale du mammifère « monogame » – dixit une bientôt unijambiste Bo Derek aux joues rondouillettes – et intelligent excède celle fameuse de l’éléphant, mais cette « quasi » humanité attribuée, remarquez les mimis mimines du fœtus foutu, participerait hélas du « réflexe le plus primitif » de l’espèce bipède, vive la vengeance et la violence, revoilà Peckinpah, éthologue du viol (Les Chiens de paille, 1971). La femme fréquentable, deux fois rescapée, en coda et dès l’orée, requin rétamé, féminine solidarité, discrète narratrice de conflit fratricide, s’attendrit ainsi en présence permanente d’un pêcheur pécheur, d’un Irlandais doublement endeuillé, le (mélo)drame familial annonçait celui du cétacé, meilleur ennemi et moyen ultime, voire justice divine, de liquider sa culpabilité. Plus catho qu’écolo, quoique, Orca (Anderson, 1977) confie au curé compréhensif, en service, la morale de la fable : « on peut pécher contre un brin d’herbe », on ne pèche que « contre soi-même », amen. Si le final glacial revisite Frankenstein, autre conte de nature et de rancune, l’élimination ou l’outrage des membres de l’équipage évoque le décompte macabre de Christie, alors en vogue, cf. les films de Collinson (Dix petits nègres, 1974) & Lumet (Le Crime de l’Orient-Express, 1974), Guillermin (Mort sur le Nil, 1978) & Hamilton (Le miroir se brisa, 1979).

Escorté du solide Brian W. Cook, ancien assistant de Clavell (La Vallée perdue, 1971), Hardy (The Wicker Man, 1973), Kubrick (Barry Lyndon, 1975), Anderson ne démérite, attentif et précis, un an après le « bancal » et néanmoins recommandable L’Âge de cristal (1976), (re)lisez-moi ou pas. Pourtant l’opus appartient presque à la trinité de monteurs, à savoir John Bloom, collaborateur de Reisz & Attenborough, Spotiswoode & Nichols, qui assembla Le Message (Akkad, 1976) et Dracula (Badham, 1979) ; Marion Rothman, partenaire de Carpenter & Don Taylor, qui façonna Funny Lady (Ross, 1975) ; Ralph E. Winters, editor hollywoodien récompensé pour Ben-Hur (Wyler, 1959) et régulier d’Edwards, qui concocta King Kong (Guillermin, 1976), dû idem à l’inoxydable Dino De Laurentiis. Un texte célèbre d’André Bazin, justement nommé Montage interdit, le phoque (de Nanouk l’Esquimau, Flaherty, 1922) à la place de l’orque, affirme : « Il faut seulement que l’unité spatiale de l’événement soit respectée au moment où sa rupture transformerait la réalité en sa simple représentation imaginaire » et conclut « Chaplin, dans Le Cirque, est effectivement dans la cage du lion et tous les deux sont enfermés ensemble dans le cadre de l’écran. » Orca parvient à cela, à cette sensation de « réalisme ontologique » cinématographique, à rendre crédible la dialectique des plans et de leur mouvement, tandis qu’il pratique davantage le découpage, le tissage du casting avec des simulacres mécaniques et des animaux filmés en captivité, en plongée, sens duel, participation des parcs thématiques et capitalistes incluse au générique, sans oublier la « contribution » du spécialiste de la photographie sous-marine J. Barry Herron (Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin, Carpenter, 1986).

Co-écrit par Luciano Vincenzoni, scénariste de Petri & Leone, Steno & Corbucci, Sergio Donati, Leone encore ou De Martino (Holocauste 2000, 1977, la centrale nucléaire en ersatz du réservoir d’essence) & Martino (Le Contient des hommes-poissons, 1979), Robert Towne, « script doctor » non crédité ; éclairé par Ted Moore, une tonne de Bond et de la « mythologie » jolie (Le Choc des Titans, Davis, 1981) ; décoré par Mario Garbuglia (Le Guépard, Visconti, 1963) ; musiqué ad hoc par Morricone, chansonnette suspecte de Carol Connors in extremis, Orca doit en outre beaucoup à Richard Harris, « le Ténébreux, le Veuf, l’Inconsolé » malgré tout accompagné, apprécié, « le Soleil noir de la Mélancolie » – résume Nerval (El Desdichado), itou auto-supprimé notoire – aux cheveux blonds, capitaine moins misanthrope et mélomane que Nemo, épouvantail de village autarcique et pragmatique, dont le trajet émotionnel et existentiel, simple et complexe, révèle la diversité du registre de l’acteur de valeur. Six ans avant le refroidissant Antarctica (1983) de Kurahara, (re)lisez-moi ou pas, où revoir l’épaulard, le métrage efficace, concis, spectaculaire et crépusculaire, massacré par la critique américaine traumatisée par Spielberg, trop dépressif pour le box-office, plus proche du désespoir de Sorcerer (Friedkin, 1977) que du « nouvel espoir » de Star Wars (Lucas, 1977), se termine sur un suicide maritime, en rime au silencieux adieux du Grand Bleu (Besson, 1988). La vaine revanche laisse Charlotte saine et sauve, aucun cri ne retentit, aucune image ne se miroite sur la rétine, le monstre bichrome s’asphyxie aux abysses. En 2025, en surface, ça (re)sent le métal de l’économie martiale, le chloroforme de l’uniforme, la puanteur de la peur, de quoi donner envie de (re)venir ici, cinéma restauré merci.           

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