Une inconnue et Delluc

 Exils # 116 (08/07/2025)


Le « cinéaste » cinéphile filme donc les « fantômes de l’écran », le « pèlerinage » d’une « épave », à défaut de la Duse souffrante, revoici Ève Francis, muse complice et de Marcel L’Herbier aussi la collaboratrice (El Dorado, 1921). Ils s’aimaient ces deux-là, cela se sent et se voit, même si leur divorce point précoce survient ensuite, a contrario de la coda conservatrice. Dans Eyes Wide Shut (Kubrick, 1999), un autre couple en crise se retrouve et se regarde in extremis, en tout cas devant la caméra, puisque Cruise & Kidman se dirent « adieu » loin de nos yeux. Ici, Roger Karl (L’Homme du large, L’Herbier, 1920), qui ressemble un brin à Michael Lonsdale, se casse à Gênes, empli de gêne, file y faire affaire, intermède documentaire, ne succombe à la tentation à la con d’une danseuse, d’une entraîneuse, de confetti riquiqui. Le scénariste réalisateur débuta au théâtre et l’histoire de La Femme de nulle part (1922) s’apparente à un drame de chambre (à découcher) en plein air, sombre et solaire, où un mariage « bat de l’aile », où le vent tourmente des âmes en peine, mes amitiés à Sjöström. Il l’ignore encore mais Delluc décède deux années après, à un âge christique, atteint itou de tuberculose, en écho à Vigo évanoui à vingt-neuf ans (en 1934). Ceci renforce en quelque sorte la (prophétie) mélancolie du métrage centenaire, plus littéraire qu’austère, sa nostalgie sans Tarkovski, « éloquent » (« silence ») testament de morte-(sur)vivante, captive de dernières volontés entre un présent désespérant et un passé « ranimé ». À l’opposé de l’usage hollywoodien ou européen, les fondus enchaînés n’évoquent plus l’écoulement du temps, inversion de saison, ils servent davantage à relier des instants enterrés, à les associer à ceux d’un aujourd’hui (sur)déterminé, maudit, qui jusqu’à un certain point (d’usure ou de rupture) les reproduit, cf. L’Année dernière à Marienbad (Resnais, 1961).

L’ « inconnue » substitue au vaudeville ses souvenirs et sur lui veut agir, met ainsi en abyme Delluc lui-même, maîtresse douce-amère d’une amoureuse marionnette, qu’elle conseille à coup de contradiction. La « jeune femme » anonyme ne doit son cœur de mère contrarier, doit son cœur d’amante écouter. Gine Avril fait un peu penser à Lillian Gish et guère Eurydice rappelle le geste d’Orphée lorsqu’elle se retourne sur sa gamine tombée, en train de l’appeler. Du haut de sa fenêtre à la Nosferatu (Murnau, 1922), la vieille Ève voudrait tout recommencer, se projette (terme connoté) sur des « parents » accueillants, se fait des films, soupire et déprime, style expressionniste oblige. L’étrange étrangère ne fout finalement rien en l’air, Monsieur et Madame s’enlacent au final, personnages pas otages d’heureux mélodrame, le Pasolini de Théorème (1968) en ricane. Cette villa et ce parc pourraient plaire aux amateurs mateurs de Marc Dorcel, cependant il ne s’agit d’orgie (de bourgeoisie), car il s’agit de durassien « souci » et de gare d’Ospedaletti. À côté de la commune au nom d’hôpital, il convient de prendre soin d’un amour malade, de jouer avec un gros ballon rond, pas celui d’Opération peur (Bava, 1966), de lire et relire un billet doux, à rendre folle ou fou, planqué derrière une pierre, façon In the Mood for Love (Wong, 2000), de sa face défaite se frictionner avec une rose à main nue coupée. L’enfant dormait dans un lit d’un duo de singes décoré, la visiteuse insomniaque vaincue se carapate, perspective en prime. Bien encadré par un tandem de DP doués, Alphonse Gibory & Georges Lucas (oui, quasi homonyme), Delluc délivre un requiem jamais blême, aux moments « doux et tristes », on confirme, acclamé à sa sortie, restauré depuis, les fantômes inoffensifs (et miroités) en somme s’en félicitent.         

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