Marry Me

 

Un métrage, une image : Les Fiancées en folie (1925)

Keaton ne kiffait on le sait ce succès, projet de producteur d’après une pièce proposé, sinon imposé, au principal intéressé, déjà très endetté. Si soucieuse, au ciné, en société, de « minorités », surtout de médiocrité, notre modernité vomirait désormais son antisémitisme, son racisme, pas si en sourdine, sa misogynie moralisatrice, horde de harpies pécuniaires et lapidaires, en larmes et drôles, appâtées par le pactole, ersatz en masse des esseulés Rapaces (von Stroheim, 1924). Quant aux pierres qui roulent, à rendre fissa le fuyard maboule, rochers en carton-pâte ou papier mâché, à l’animisme de déprime, supposé clou du spectacle de l’agile acrobate, elles souffrent en fait de leur facticité, ne donnent à voir ni par procuration éprouver une once de danger. Tout ceci ne saurait appauvrir le plaisir permanent que procure sans usure l’opus plein d’allant, le métrage d’un autre âge, illustration remplie d’action(s) du célèbre et actualisé Time is money. Flanqué des fidèles Jean C. Havez (Les Lois de l’hospitalité, 1923) & Clyde Bruckman (Le Mécano de la « General », 1926), Keaton accumule les contrastes, en particulier et encore autour de son propre corps, placé puis déplacé parmi un décor en or. Commande ponctuée de répétitions, d’approximations, « genrées » ou non, course contre la montre et le sexué, semé monde, course-poursuite en boucle bouclée construite, Seven Chances se place dès le titre sous le signe d’une numérologie atteinte de rationnelle folie. Sept millions, vite évitons la prison, sept heures du soir, ô désespoir, sept célibataires, tout sauf austères, ne passons sous silence la préposée aux chapeaux du country club comme il faut, coiffée of course à la Louise Brooks, garçonne, on sonne – un homme, en somme, soumis aux horloges moroses, dont celle sur la tête reçue en pleine rue, lequel évoque délesté d’équivoque non Ésope, toutefois La Fontaine, car courtier au lièvre substitué, en dépit sur le torse d’une tortue bienvenue. Âgé de vingt-sept années, ce Jimmie-ci ne ressemble au Jimi (Hendrix) du « club des 27 », ne taquine la guitare, arrive presque trop tard, sa maladresse au discours amoureux, mais Barthes fit-il mieux ?, rend le clébard décuplé de sa belle heureux. Les saisons filent en Technicolor préhistorique ; les prétendantes défilent en procession ecclésiastique. Immobile et mobile, cf. le fondu enchaîné dédoublé de l’auto figée, Keaton s’accorde un somme quasi sacrilège, se réveille au sein d’un malsain sortilège, cauchemar en forme de traquenard, petite ou plutôt grosse annonce aux milliers d’immaculées réponses. Semblant de gisant, anti-héros d’un mauvais rêve rigolo, souvent divertissant, en douce grinçant, il paraît vouloir se reposer, s’économiser, avant la  jolie séquence d’anthologie suivante, aux travellings ivres de la cible en mouvement irrésistible. L’acteur et réalisateur, géomètre leste, court au creux de la solaire Los Angeles, dévie, toujours en Californie, vers le lieu-dit Beale’s Cut Stagecoach Pass, col de diligence dévalé avec diligence, jadis, c’est-à-dire hier, Buster, sillonné aussi selon Ford & Griffith. Tel le lapin bourrin de l’Alice de Lewis, il rate le rendez-vous in extremis, se confronte à sa fiancée lucide, la clarté ne tient qu’à un fil, de téléphone, au conseil d’une mère guère matrone, il ne souhaite l’épouser désargenté, riche de « failure » factuel et « disgrace » dégueulasse. La honte, elle s’en moque, l’échec, elle s’en fiche, alors le « grand horloger », ultime et magnanime malice, prodigue au couple au bord de l’entourloupe, jamais capable de se déclarer, de s’embrasser, un sursis minuté, une avance de tocante, une cloche point rosse. Face au reflet d’effroi, de soi, Noir de miroir, mariage mouroir, il convient de se carapater, CQFD de disons centenaire moralité enlevée, restaurée par le tandem Lange & Bromberg, musiquée par le spécialiste Robert Israel, dédicace amicale en coda à Steven C. Smith, biographe de Bernard Herrmann, + la paire Gershwin & Wagner, de quoi irriter le compositeur de Tannhäuser. Impassible, sensible, Buster n’en cille.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Les Compagnons de la nouba : Ma femme s’appelle Maurice

La Fille du Sud : Éclat(s) de Jacqueline Pagnol

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot : Le Trou noir