Judy : Frances
La Môme de Marion ? La Reine de Renée…
Biopic en
partie britannique, Judy (Rupert Goold, 2020) bénéficie du savoir-faire insulaire,
prière d’apprécier la précision de la reconstitution, sinon de
l’interprétation, double acception. Ce mélodrame – sens étymologique, car la
souffrance s’y chante, s’y danse – souriant, doté, Dieu merci, d’auto-ironie,
se caractérise, aussi, par son tact, par sa retenue, à laquelle contribue la
partition discrète du revenant Gabriel Yared. Endettée à L.A., sa Liza,
festive, aperçue, l’ignore ou ne s’en soucie pas, ensuite exilée à Londres, à
la fin des années 60, Beatles versus Stones, « Mademoiselle Garland »
donne un spectacle, se donne en spectacle, essaie de garder le cap, essaie de
conserver la garde de ses enfants, se fait, en cougar qui ne cesse de boire, courtiser, puis épouser, en sus se
souvient du temps lointain, passé passable passé sur le set d’Oz et surtout
sous les diktats de la MGM, nutritionniste attentionnée, comme chacun sait.
Avéré fournisseur d’antidépresseurs, puisque exploiteur, patriarche paternel,
paternaliste, Louis B. Mayer s’avère désormais, signe de la victimisée, sexuée,
modernité, crime supplémentaire, les descendants durent applaudir, un possible
prédateur un peu pédo, si tu veux vraiment, dear
Judy, (te) plonger dans la piscine – (re)lisez-moi, pourquoi pas, à propos de La
Féline (Jacques Tourneur, 1942) – de ta féminité très tourmentée,
d’adolescente en maillot, à fleur de peau, à la sinistre fête d’anniversaire
avancée, en toc, viens parfois chez moi, voilà, voilà. Au-delà du procès de la
production – une pensée pour Elizabeth Taylor, autre gosse de studio, à
l’insouciance spoliée en société –, du filigrane féministe, un brin opportuniste,
Judy
s’assume évidemment gay friendly,
saluons à l’occasion les fameux admirateurs homosexuels de la belle,
tendons-leur aimablement un miroir à mouchoir, via le couple accueillant, attachant, tandem de mecs portés sur les cartes, la sieste et les décorées
assiettes, plutôt que sur la loupée omelette, certes.
Le duo « d’invertis »,
terme risible de jadis, André Gide opine, injustement emprisonnés, de fidèles fanatiques,
finira d’ailleurs l’antienne de l’arc-en-ciel, pas encore symbole LGBT, davantage
utopie WASP, à la place de l’épuisée, désolée, rebelle, avant que le chœur des
spectateurs conquis ne prenne la suite, amen.
Aux médocs accro, au bout du rouleau, en larmes, prête à rendre les armes, Judy
peut cependant sourire, à ce public précieux, généreux, amoureux, même s’il lui
reste seulement six mois à (sur)vivre : personne, en tout cas pas moi,
n’oublie, aujourd’hui, cette chanteuse-actrice « unique », yes indeed, décédée à quarante-sept ans,
bon sang. Transposition cinématographique d’un succès scénique, due à un
metteur en scène (et directeur) de théâtre, pardon du pléonasme, Judy
relit ainsi les derniers jours et les dernières nuits de l’héroïne ruinée,
presque en ruines, sans surprendre, sans non plus décevoir, allez-y voir.
L’introduction en plan-séquence, la louable variété de l’expressivité durant le
chant, par exemple chorégraphie de la durée, montage alterné, travellings latéraux en écho au
crescendo, ne suffisent, hélas, à sortir l’ensemble d’un classicisme soigné,
impersonnel, au risque du télévisuel, champs-contrechamps inclus. Heureusement,
Judy
séduit assez par sa modestie, parce que constamment transcendé par une Renée
Zellweger exemplaire, de surcroît confortablement entourée par un casting choral impeccable. Déjà
remarquable et remarquée dans le recommandable Chicago (Rob Marshall,
2002), l’estimable Texane, majoritairement acclamée, pourrait bientôt remporter
(en février) son second Oscar, peut-être partagé avec l’émérite make-up designer Jeremy Woodhead.
Les cinéphiles les moins indulgents
ne manqueront pas de souligner l’amnésie de Judy – rien sur Vincente
Minnelli, rien sur George Cukor, rien sur John Cassavetes, auteur renié du pourtant poignant Un
enfant attend (1963) – et les mélomanes les moins amènes ne manqueront
pas de comparer, au détriment de Mademoiselle Zellweger, les deux voix
quasiment contraires. Laissons aux biographes l’exhaustivité, l’illusion de la
vérité ; laissons aux intégristes sectaires leurs petits plaisirs solitaires.
Oui, Judy existait bien avant et existera longtemps après ce Judy,
hommage d’un autre âge, ne méritant ni les totales louanges ni les amères
calomnies, produit d’appel guère à la truelle, capable, espérons-le, de donner
envie de (re)découvrir l’œuvre et la vie de la vraie, valeureuse, vaillante et (souvent)
bouleversante Judy Garland.
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