La Région sauvage : Tentacules


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre d’Amat Escalante.


Après le réussi Heli (2013), sur lequel j’écrivis aussi, La Région sauvage (2016), dommage, déçoit vite, s’étire durant une heure trente languissante. Sorte de Possession (Andrzej Żuławski, 1981) délocalisé du côté de Mexico, le trop sage métrage, au titre en décalage, ne se soucie plus de communisme, de transcendance, de dédoublement, d’hystérie, plutôt d’être gay friendly, féministe, donc de nous resservir, entre deux soupirs de plaisir, deux tartes à la crème contemporaines. Comme dans un conte, la belle-mère fait des misères, le beau-père chasse le cerf, la bête, cette fois-ci interstellaire, fait s’envoyer la belle en l’air. Sous couvert d’érotisme rural, sidéral, sidérant, sidéré, le sieur Escalante assène un manichéisme mâtiné de dolorisme, mate-moi le grand christ en croix, la pietà de canapé, où les hommes se résument à des salauds, des homos, des prisonniers coupables et cependant innocents, le bien peu angélique Ángel les trois à la fois, fichtre, des poivrots embrassant/emmerdant une barmaid, des marmots en duo, pisseurs-pollueurs de piscine à baballes, des scientifiques insensibles, des médecins impuissants, où les femmes, même in extremis, dominent, même marâtre d’usine, motarde sado-maso, maman malmenée, amen. Alejandra assassine ainsi d’abord son frérot puis son mari, débranche le premier, charrie le second, eux-mêmes amants maudits, sodomites toxiques. À la fin du film, l’un de ses fils qui la flanquent lui demande la cause de sa saleté, mais le cinéaste, malgré ses crimes, tel l’époux relou, lui pardonne, l’abandonne, à la sortie de l’école, sur une question ironique, sinon rhétorique. Auparavant, Verónica lui révéla la voie de l’extase au thé trafiqué, de l’orgasme magnifique, certes à deux doigts, ou disons davantage trois tentacules, de l’addictive agonie.



La meilleure part de La Région sauvage se situe d’ailleurs ici, au creux de cette cabane d’ébats, de beauté, d’effroi, en clin d’œil à Hokusai, Corman (Galaxy of Terror, Bruce D. Clark, 1981) et pourquoi pas Serpieri, revoilà Drunna. En quelques plans, quelques instants, le réalisateur affronte le défi de la figuration, le remporte, fi de la camelote, ose une fellation par procuration, à faire frémir feue la fameuse Linda Lovelace (Gorge profonde, Gerard Damiano, 1972). Loin du risible, du salace, de l’animisme, du symbolisme, de la SF collante, de la BD callipyge, la scène, jamais obscène, séduit par sa justesse, son élégance, sa douce audace, par la générosité courageuse de l’actrice Ruth Ramos. Alors tant pis si le reste ne suit pas, cite en mode trivial la douche onaniste, d’insatisfaction, de Pulsions (Brian De Palma, 1980), inclut un cratère de copulations, d’orgie animale en CGI, à ravir Lars von Trier, sans omettre un freudisme fastidieux, pléonasme, à base de « partie primitive », de « principe premier » doté d’éternité, appelé à se « perfectionner ». Peut-être pire, Escalante semble réserver son émancipation céphalopode à certaines élues, en ersatz de la grâce janséniste, tandis que les autres périssent, pour avoir abusé du délicieux supplice. Histoire d’O(rifices) au fond presque puritaine, pensons en sus à l’allergie jolie du gamin à cause du chocolat, voilà, voilà, parfait petit exemple familial, médical, des méfaits de l’oralité, au propre, au figuré, La Région sauvage manque par conséquent de consistance, de présence, d’incarnation, d’horizon. Néanmoins, l’auteur sait encore se servir d’une caméra, à défaut de dire/montrer quelque chose de vraiment nouveau, déroutant, troublant, voire malaisant, en tout cas autant stupéfiant, stimulant, épuisant, que, jadis, la jouissance à distance, au lit, d’Isabelle Adjani, recouverte par le caoutchouc de Carlo Rambaldi, oh oui, mon mollusque chéri…


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