The Captive : No Man’s Land


Cultiver la terre et semer la paix, laisser loin derrière et s’aimer en paix…  


Jean Renoir & Charles Spaak connaissaient-ils The Captive (1915) de Cecil B. DeMille & Jeanie MacPherson ? En tout cas, voilà déjà, vingt-deux ans avant La Grande Illusion (1935), une histoire de love and war, de ruralité rapprochée. Certes, personne ne confondra la fadasse Blanche Sweet, douceâtre fidèle de David Wark Griffith, avec la radieuse Dita Parlo, itou muse mémorable de Jean Vigo (L’Atalante, 1934), mais ce métrage d’un autre âge, à la linéarité remplie de péripéties, à la rapidité débarrassée de digressions, mérite assez son exhumation. Film de classes et de « races », The Captive, comme Histoire d’O, de façon différente, affirme que le bonheur réside dans l’esclavage, tout au moins dans l’asservissement, pas si involontaire, d’un prisonnier de guerre, Turc noble vite entiché, en réciprocité, de la fermière amère, monténégrine, bigre, dont le frangin fringant, frais enrôlé, mobilisé, décéda fissa au combat, au pied d’une colline à prendre, sur laquelle il périt, pauvre de lui. Moult dangers menacent la famille recomposée, puisque un frère cadet, muni de sa brebis, trace un triangle de « modern romantic drama » drolatique, où les cœurs et les territoires se conquièrent à tour de rôle. Débuté en portrait d’hostilités, The Captive se transforme ainsi en étude psychologique et bascule dans le spectaculaire, sorte de western mutique, à la sauce balkanique, siège en sus, résistance en tandem. In fine libéré, alors qu’il préférerait rester parmi sa geôle dorée, rustique, pédagogique, l’aristocrate, désormais formé à la récolte de choux, mon chou, se voit in extremis rapatrié au pays, hélas s’y fait aussitôt dépouiller de son titre de bey, olé, de sa réputation, de ses possessions. Coupable d’avoir aimé, de s’être rebellé contre son armée, le voici aussi sec exilé, esseulé sur la route. Au carrefour de fortune, d’infortune, il croise Sonia et sa descendance à l’orée de l’adolescence, eux-mêmes victimes de pillards incendiaires, il se met en marche à deux, heureux, préfigure la fin affiliée, à pied, des Temps modernes (Charlie Chaplin, 1936).

Flanqué d’un filigrane féministe, l’officier oisif, attribué en défilé, au militaire marché, à la veuve venue, informée du masculin décret, apprend par conséquent, à son corps défendant, stimulant, réjouissant le gosse magnanime, inconscient, pas seulement, les travaux des champs, le fardeau des femmes, l’argument abrite en mineur une dimension sado-masochiste et le cinéphile se souvient du raffiné Forfaiture (DeMille, 1915), toutefois le fouet ne gifle pas, à peine, même si Cecil & Miss Sweet se détestèrent off screen. Opus modeste, précis, impersonnel, cependant point déplaisant, The Captive démontre à nouveau, de manière rétroactive, que le réalisateur ne saurait se résumer à un auteur connu, voire moqué, de péplums bibliques, sympathiques, statiques, qu’il sut en sus tracer d’aimables esquisses sentimentales, au rythme énergique. Ni Friedrich Wilhelm Murnau (remember L’Aurore, 1927), ni Frank Borzage, son émule, DeMille demeure malgré tout à défricher, sinon à réévaluer, particulièrement en mode muet, en écho à ses Jeanne d’Arc (1916), La Petite Américaine (1917), Le Roi des rois (1927), relisez-moi ou pas. Cru perdu, conservé, coloré, filtré, The Captive, à défaut de captiver, respire encore, plus de cent ans après, ceci devrait donc suffire à vous donner envie de le découvrir. Ciné trop ancien, ciné de presque rien ? Cinéma d’autrefois, au bord de l’oubli, anecdotique, dynamique, mille fois préférable à une grande partie de celui d’aujourd’hui, diffusé, médiatisé, aseptisé, téléfilmé, commenté, par exemple, a priori, les dernières bandes, guère appétissantes, de Messieurs Quentin Tarantino & Arnaud Desplechin (Once Upon a Time… in Hollywood + Roubaix, une lumière, duo contemporain, neuf, de 2019). Qui en parlera, de ça, dans un siècle ? Certainement pas votre serviteur, cher lecteur, toi et moi morts et enterrés, emportés en poussière, de piano, de flicker, destin définitif reflété, autant que corrigé, par le spectral, solide, souriant, House Peters, enrichi de son amoureux dénuement, migrant charmant.


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