Panique celtique

 Exils # 143 (20/11/2025)

« T’es pédé ou quoi ? » demande Depardieu à Perez : question de bon ton, désormais démodée, merci au moralisme cinématographique, à la police du lexique, dont le pronom indéfini importe plus que l’épithète obsolète. Diptyque de répliques explicites : « L’amour c’est la merde », toujours du junior, « Ils jouent à un drôle de jeu ces deux », observe avec justesse un flic à l’écoute. Comédie noire souvent desservie par sa forme de téléfilm, TF1 co-produit, l’incontournable Canal+ aussi, Le Pharmacien de garde (Veber, 2003) connut l’échec économique et critique. Alors âgé de trente-sept années, le fils de Francis mit une décennie à s’en remettre, remit le couvert sur un script assez similaire, puisque Bipolar (2014) a priori revisite de Hyde & Jekyll, tourné aux States, sa nation de formation, inédit ici. Autrefois assistant sur La Chèvre (Veber, 1981) et acteur dans Les Fugitifs (Veber, 1986), ensuite stagiaire chez Raimi (Evil Dead 3 : L’Armée ténèbres, 1992) puis co-scénariste pour Pinoteau (Cache cash, 1994), l’amateur de magie réunit le tandem de mecs pas tant étranges de Peau d’ange (Perez, 2002), à la fois liés par leur métier, leur famille, leur conscience, sinon leur défense, de l’environnement. Autour du couple en déroute tourne un casting choral hétéroclite et improbable, ponctué de caméos plutôt rigolos, énumérons les noms de Gamelon, Blancan, Bouzigues, Kelif, Lazure, Merad, Redfield, Taglioni et bien sûr Légitimus, qui put peut-être s’inspirer, pour la création de son travesti martiniquais, du Bijou de Brialy (Lévy et Goliath, Oury, 1987). Vendeur de médicaments charmant et malsain, ennemi incompris des médecins, psychopathe « normal » mais mélomane, Perez analyse un disque de Marco Prince, la voix de Rachid Taha, Breton d’occasion. Quant aux maquillages, ils portent la signature de Benoît Lestang, connu depuis les colonnes de Starfix et les clips de Boutonnat.

Tout ceci ressemble un brin à une nécrologie, raccorde avec un premier essai terminé via une pietà empruntée à Faux-semblants (Cronenberg, 1988), idem mélodrame entre mâles, itou taxé à tort de misogynie pas jolie jolie. Davantage qu’un métrage crypto-homo, main de Vincent sur celle de Guillaume, douceur et désarroi des hommes, Le Pharmacien de garde, débuté au moyen d’images de marée noire, sonde l’identité, la radicalité, le prix à payer pour aimer, être aimé. La confiance y défie l’infidélité, le suicide assisté, dos tourné, regard égaré, Antonioni applaudit, y paraît une prière, une (é)preuve amoureuse (douloureuse) largement au-delà de l’orientation sexuelle. Veber dut sans doute se souvenir de La Corde (Hitchcock, 1948) de ses assassins supposés nietzschéens, de The Crow : La Cité des anges (Pope, 1996), où Perez interprétait déjà une sorte d’Orphée aux USA, en partie des Apprentis (Salvadori, 1995), au cœur duquel cambriolaient et roucoulaient Depardieu & Cluzet. Cette solitude et ce tumulte, en écho à l’inquiétude et aux culbutes écolos, représente la meilleure part d’une existentielle mélancolie à moitié déséquilibrée, désarçonnée par une emprise, voire une réponse, de la comédie, pedigree répété, comme si l’auteur redoutait de fixer l’abîme, s’en affranchissait par le rire.

Avant de décéder sans s’embrasser, de s’éteindre et de s’étreindre, Yan & François parcourent un périple horrifique et humoristique, Raimi sourit, s’apprivoisent et se dévoilent, sèment des coccinelles et des cadavres, croisent une créature de cave épouvantable et rigolarde, s’occupent de pollution et se préoccupent de leur occupation, commune et convenue démission. Les stations à l’unisson de leur croisade biodégradable, leur chemin de croix vers toi et moi incluent un titre ironique de Trenet très mazouté, un ancien culte celte cruel, une antilope à la place de la panthère de Tourneur & Schrader (La Féline, 1942 et 1982), une momie œdipienne et souterraine, salut à Psychose (Hitchcock, 1960), une travailleuse du sexe occise et à la webcam décisive. Le climax émotionnel de l’opus mimétique, lui-même schizophrénique, survient lorsque François/Guillaume demande à Yan/Vincent s’il tua Mathilde, adultère involontaire, du grand sommeil endormie, à la place du mort bien nommée montée – le chimiste guère altruiste en effet l’affirme, presque surpris d’une telle question à la con. Dans l’enfer mental du Pharmacien de garde, en rime à un fameux aphorisme d’Oscar Wilde, chacun et chacune en somme son amour dégomme, femme ou homme, morale létale de farce macabre, suffisamment singulière, borderline et lucide pour susciter ces lignes compréhensives, à défaut d’être laudatives, sans outrance ni ordonnance.

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