L’Ombre et la Couronne

 Exils # 106 (06/05/2025)


« Il n’y guère de quoi rire » parmi « l’hystérie » maccarthyste, mais la « comédie » à moitié terminée sur les larmes du gamin renouvelle une trouvaille originelle (L’Arroseur arrosé, Lumière, 1895) pour laver le sale procès. Au cabaret où ne craquer, gaffe à l’effroyable lifting, un tandem de mecs retravaille l’increvable modèle de la tarte à la crème. Voici du physique, du slapstick, comme un effort encore, avant de revenir en volant vers la patrie révolutionnée, volée, décor et hublot de studio, truquage de paysage d’un autre âge. Certes le scénariste/réalisateur/acteur/producteur/compositeur ridiculise sa cible, (dé)montre l’immoralisme de la « Commission » à la con, ne pratique cependant le prosélytisme, « roi et communiste » impossible indeed, jadis déjà le drapeau rouge ramassé, en tête de cortège porté, ne consistait à être encarté (Les Temps modernes, 1936). Ironie terrible et au carré, car le père aussi derrière tourmente et immortalise le fils devant l’objectif, avec l’ardeur du Voyeur (Powell, 1960, où retrouver aveuglée Maxine Audley) : le drôle d’idéologue aux marxistes monologues devient en définitive un « héros » et un « patriote », délateur en pleurs, parents gagnants, vertu perdue, promesse touristique contre parole traumatique. On pourrait attribuer la raideur du « documentaire » (Truffaut, Les Films de ma vie) à sa production anglaise, au sérieux du sujet, au règne obscène d’un second « ennemi de l’intérieur », médiatique et à domicile. Un roi à New York (1957) prend acte d’une double défaite, celle de la pensée, celle du ciné, démissionne d’une manière douce-amère, dans les airs, qui anticipe le fauteuil vide à la fin de l’infernal « week-end Osterman » (Peckinpah, 1983).

Cette nation alors sous l’emprise de la terreur atomique et de la déraison politique succombe à l’œil de cyclope et à la quotidienne camelote de la télévision, la romance malicieusement incestueuse, ludique et explicite, sincère et intéressée, entre le monarque quasiment divorcé, la « spécialiste de la TV » et de l’intempestive publicité, symbolique d’une société du spectacle et de surveillance ensuite décrite par Debord & Weir (The Truman Show, 1998). Mabuse & Montana (Le Diabolique Docteur Mabuse, Lang, 1960, où revoir Dawn Addams, Scarface, De Palma, 1983) étudieront leurs murs d’écrans ; le réfugié du Ritz et interprète de Hamlet se réinvente vite cinéphile mordu au pied, au cou ankylosé, cobaye de « caméra cachée », de whisky « couronné », « royal » et imbuvable, « témoin amical » de Evening Herald. Tandis qu’en salle s’affalent des adolescentes démentes, ni un thriller « familial », ni un « film à problème » façon Emilia Pérez (Audiard, 2024), ni un western de dégaines, autre camelote en Scope, ne font le poids face au narratif judiciaire délétère. Quant à l’éducation dotée d’émancipation, à quoi bon ? Enfant pauvre, adulte riche puis patriarche en Suisse et bien sûr ombre (shadow) de Charlot, « Charles Chaplin » incarne le bien nommé Shahdov, une mécène s’appelle Cromwell, son émouvant Michael à lui Macabee, patronymes connotés. Tourné en trois mois, éclairé à l’arrache par Georges Périnal, Oscar décroché grâce au Voleur de Bagdad (Berger, Powell, Whelan, 1940), remarquez sur le casting les ombres de la machine, Un roi à New York revisite L’Émigrant (1917), Le Kid (1921), Le Dictateur (1940), Monsieur Verdoux (1947).  

Les Feux de la rampe (1952) (re)présentait un passage de relais, une victoire à la Pyrrhus, une mort à la Molière. L’avant-dernier film de Chaplin, tout sauf requiem ou testament, incite à serrer les dents, à patienter pendant la tempête peu shakespearienne, à base de bêtise, de conformisme, remplie de paranoïa, de judas, aux victimes anonymes, aux blessures invisibles. Un règlement de comptes daté ? Un antidote doué de tristesse et de tendresse, mâtiné de cruauté, de lucidité, adressé à notre modernité.   

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