Sang neuf et Ciné ancien
Exils # 105 (24/04/2025)
Récit d’apprentissage, à base de bizutage et de dépucelage, de dommages et d’hommages, Youngblood (Markle, 1986) ne change le schéma de ce cinéma-là, en surface sportif, en profondeur éducatif, respecte donc la structure (é)vocation/confrontation/consécration, celle idem de la comédie musicale. Mais sa trame mélange film d’adolescent, comédie romantique et mélodrame, invite l’individuel au cœur du collectif. Tout ceci suffit à en faire un film politique, en tout cas davantage que d’autres qui en revendiquent le galvaudé titre, assorti de surcroît d’une réflexion en action sur la dynamique des sexes, ses forces et ses faiblesses. Dix-sept ans et toutes ses dents, jusqu’à ce qu’il en perde une en coda, autographes de gosses à signer, baiser de la bien-aimée à différer, pourvu d’un patronyme explicite, symbolique, le délicat et déterminé Dean quitte la ferme de ses frère et papa, sise au Minnesota, direction, via un spectaculaire pont, le hockey au Canada. Outsider (en écho à ceux de Coppola), étranger, bien beau et point « pédé », n’en déplaise aux pancartes remplies d’homophobie du public, à une réplique en plus raciste de l’entraîneur bagarreur (« tapette du Mexique », Trump apprécie), aux plaisanteries des joueurs à faire peur au contemporain spectateur (rasage du pubis et beuverie machiavélique compris), il apprend, il entreprend. L’atmosphère d’homoérotisme inoffensif se voit renforcée par une « coque » à pénis évocatrice, un fessier dénudé à la JCVD et le Moby Dick de Melville fissa offert plutôt que du livresque porno (la couverture clame Nympho en rose et gros). Que les hétéros se rassurent : ce produit du siècle dernier, transistor intégré, en classe écouté, dédié à une masculinité tourmentée, capable de se maltraiter, des larmes verser, de tresser l’animosité à la sentimentalité, possède aussi deux scènes sexuelles guère obscènes et surtout naturelles réussies, la première en rime humoristique et gentiment incestueuse au Lauréat (Nichols, 1967), la seconde juvénile et généreuse, tranquille et rieuse.
Si la sexualité au ciné dérive souvent vers le conformisme ou le dolorisme, peu importe « l’orientation » représentée, les brefs ébats avec la « logeuse » et la « raboteuse » séduisent grâce à leur drôlerie, leur imagerie (la bouilloire évocatrice siffle), leur absence de racolage et leur alterné montage. La fifille tout sauf idiote et moche du coach ne paraît apprécier en salle Slumber Party Massacre (Jones, 1982), puisque son féminisme s’avère serein, pas mesquin, désarmant, pas militant. Indépendante et amusante, bienveillante et bandante, la jeune femme en jupe et pantalon ne prend Dean pour un ennemi ou un con, un « prédateur » de malheur, un godemiché incarné. Pourtant le joli couple sur pellicule se dispute (se réconcilie aussitôt) au sujet des conséquences dramatiques du mauvais coup porté par derrière par un vil adversaire (cette « bête » va promettre à un Dean dessalé « d’enfoncer sa crosse dans son troufignon », la sodomie entre hommes tel un indicible horizon d’attraction/répulsion). Elle s’éclipse à la suite du match ultime, filmé presque en temps réel, victoire d’un soir à la conclusion de baston, mise en pratique de la paternelle technique. Puis elle revient, le film se termine bien, collectionner les ecchymoses au fond ne modifie pas grand-chose, Dean ressemble à un « steak tartare » sans être un recuit connard. Auparavant, parmi ces « Mustangs », auxquels on reproche un manque d’engagement, un matérialisme de petit capitaliste, l’un d’eux s’épanche, le donneur de « rondelle » (certes pas celle de l’Alex en détresse d’Irréversible, Noé, 2002) déclare en parlant des dirigeants « ils nous tiennent par les couilles », comprendre que le désir d’émancipation économique et géographique incite à tous les sacrifices, cf. l’œil de verre du frère, ne parvient cependant à juguler la joie du jeu.
Dean en définitive et en famille
conduit son destin pas si œdipien, ne tue le père et n’épouse la mère, car elle
les quitta, comme la maman vénale de sa chérie, voui. Moins misogyne que
magnanime, sensuel que consensuel, Youngblood commence par un
prologue en 8 mm avec caméra au sol style Cannibal Holocaust
(Deodato, 1980) ou C’est arrivé près de chez vous (Belvaux, 1992).
Le directeur de la photographie Mark Irwin (La Mouche, Cronenberg,
1986) ne fait tomber la sienne, sa maîtrise se matérialise dès le générique
fantomatique et chorégraphique, pendant les parties physiques capturées sur
patins ou filmées en fauteuil roulant. « Présenté » par la paire
Peters & Guber, producteurs incontournables de La Couleur pourpre
(Spielberg, 1985), Les Sorcières d’Eastwick
(Miller, 1987) ou Batman (Burton, 1989), signé d’un discret scénariste/réalisateur/cadreur/producteur
et ancien joueur de hockey, CQFD, il ne s’agit ni d’un ersatz du métaphorique
et lyrique Rocky (Avildsen, 1976), en dépit d’une « montage
sequence » en clin d’œil, ni d’un comparse du publicitaire et
propagandiste Top Gun (Scott, 1986). À demi canadien, car tourné à Toronto, Youngblood
rappelle plutôt la mélancolie ludique d’un John Hugues, conte un
accomplissement sur fond de « harcèlement » et de souffrance
d’enfance. Imposé par MGM/UA, cerné par les solides Ed Lauter & Patrick Swayze
(caméo de Keanu Reeves en prime), muni de l’alchimie de Cynthia Gibb, Rob Lowe
s’y avère constamment attachant, acteur prometteur passé à côté de sa carrière
en raison d’un fameux fait divers de double « sex tape » désormais
bien obsolète. Il faudra toutefois attendre Le Fléau
télévisé, diffusé huit années après, pour constater à quel point il pouvait
émouvoir, en survivant picaresque d’une épidémie funeste. Largement majeur en
1986, tel le reste du choral casting, il confère à ce film mésestimé, au
vidéo succès, sa sensibilité lucide, sa virilité jamais agressive, antidote
estimable à la camelote du « masculinisme », moderne ou de jadis.
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