Love Hunters : La Prisonnière


Dix dollars pour planer, une vie entière pour se reconstruire.


Now hounds of love are hunting
I’ve always been a coward
And I don’t know what’s good for me

Kate Bush, Hounds of Love

Après l’autrichien Michael, l’australien Hounds of Love : la séquestration deviendrait désormais un sous-genre en soi, même si l’on n’oublie pas L’Obsédé de William Wyler, même si les mémoires de Natascha Kampusch, à la fois elliptiques et détaillés, relativisent la terreur fictive. Inversion du home invasion exogène, sinon xénophobe, cette imagerie-ci occupe pourtant un espace similaire, celui de la maison, enfer domestique corroboré par des faits divers et des statistiques. Le foyer brûle, la famille se fait funeste, a fortiori dans leur sinistre parodie, piaule de célibataire hier, de couple aujourd’hui. Une nuit, Vicki s’évade et se retrouve piégée chez les White ; le reste du récit, autant comportementaliste que psychologique, retrace son évasion, double mouvement dialectique figuré par une fenêtre en reflet. Entre la chambre et la salle de bains, notre héroïne rencontre une caricature de ses parents séparés, subit leur nocive sexualité, endommage leur misérable harmonie. In fine victorieuse de ses bourreaux prolos, la courageuse Vicki enserre sa mère sur l’atmosphérique Atmosphere de Joy Division. La fille du riche chirurgien lui passant tous ses caprices, dixit son ex, vient de terrasser l’ogre minable, humilié par un dealer hors de son antre, réduit à piquer le maigre pognon des missives de saison, en utilisant sa moitié, ses sentiments contradictoires d’instable (et jalouse) Médée paupérisée, reproduction de dénonciation, puisqu’elle accusait le kidnappeur d’agir ainsi. On le voit, Love Hunters cultive le dédoublement, la rime, le miroir monstrueux, au niveau des situations (sociales, spatiales), des générations (logique ou symbolique), des compagnons (la peluche à quatre pattes contre le cerbère vénère).


D’une certaine manière, il s’agit d’un conte de fées pour adultes puritain et réactionnaire, presque un pléonasme, d’une leçon moralisatrice administrée à une vraie-fausse adolescente par un cinéaste certainement pas marxiste. Je vais te faire passer l’envie de passer par la fenêtre, paraît ricaner l’auteur, je vais t’apprendre à respecter l’interdiction de sortir de ta génitrice (mauvaises notes scolaires + essai littéraire rédigé par autrui, par son chéri fan de Gainsbourg), à ne pas monter en voiture avec des inconnus, ne te fie pas à la passagère secourable, au siège enfant à l’arrière, à ne plus acheter du shit à domicile, ni à boire un breuvage évidemment empoisonné (mise à jour alcoolisée de la maudite pomme de Blanche-Neige). Le drame de chambre, littéralement, se déroule en décembre, canicule et sapin surréalistes inclus, mais en guise de cadeau, la jouvencelle ligotée au lit – elle y urine de peur, elle y défèque afin de repousser son assaillant – ne recevra qu’un godemichet en coffret, rite initiatique tout sauf priapique (en tout cas pour la majorité des spectateurs, dont votre serviteur). Ben Young apprécie suffisamment sa survivante pour lui laisser la vie sauve, il ne pouvait cependant lui épargner cet outrage hors-champ, sonore, pas indolore, porte fermée reprise du Tavernier de L’Appât. Violentée, violée, zombifiée, poussée au suicide, la lycéenne avertit auparavant de son emplacement ses parents rabibochés par l’urgence d’une solidarité au moyen d’une lettre codée. Sur place, hélas, sa mère ameute le quartier sans succès, à cause d’une adresse inexacte, méprise due au trafic épistolaire cité supra. Comme Doris Day dans L’Homme qui en savait trop (la police australienne ne sait rien, s’en fiche, ne prend pas au sérieux l’inquiétude légitime, se contente d’afficher les photos des ados enlevées, réifiées, tuées, enterrées dans un bois immense, quelle chance), le cri maternel annonce le salut de l’enfant en captivité, trouble l’ogresse elle-même tenue éloignée par les autorités, le père de sa progéniture, de la petite Kim invisible, possible victime précédente.


Issu de la TV, fils d’une chroniqueuse judiciaire, Young ponctue sa course contre la montre de ralentis arty, temps suspendu de normalité suspecte opposé au calendrier létal. Film très maîtrisé, sans doute trop, Love Hunters cadre au cordeau sa famille dysfonctionnelle, recomposée, décomposée, s’autorise à peine quelques plans sur l’inquiétante maman en caméra portée, s’embarrasse de scènes musicalisées par les Moodie Blues & Cat Stevens, la coda de Ian Curtis n’échappant pas entièrement à l’effet Cold Case, à cette façon fauchée de conclure, d’équilibrer les atrocités du passé, proche ou point, par un petit air émollient, rassurant (la supplique du pendu possède sa propre lumière intérieure). La réunion du quatuor, consécutive au viol en réunion du duo sado-maso, se situe d’ailleurs au milieu de la route ouverte sur l’horizon, réponse figurative au huis clos abandonné derrière. Ce survival urbain, à rebours du davantage aéré-explicite Wolf Creek, repose par conséquent sur un argument assez ressassé, immédiatement théâtral (de la cruauté rajoute Artaud), sur une réalisation irréprochable, techniquement et moralement, sur une volonté de montrer à (bonne) distance l’humanité des criminels insoupçonnables, longtemps après le difficilement surpassable M le maudit de Lang. Il séduit sans passionner, il s’éternise un brin sur cent minutes, il rappelle le ratage surfait de son compatriote Animal Kingdom. Nul hasard, en vérité, car Love Hunters, dépourvu de matriarche mafieuse, poursuit et démultiplie le portrait de femme(s). La meilleure part du métrage sage, parfois au bord de la pose, du téléfilm de luxe écrit par un conseiller conjugal pervers, piqué de pédagogie à la dure, réside dans son trio d’actrices (Stephen Curry, célébrité comique locale croisée à côté du croco de Rogue, ne démérite pas à contre-emploi, en némésis médiocre, en manipulateur amateur de dessins animés).


Emma Booth, alias Evie, Ashleigh Cummings, dite Vicki, Susie Porter, Maggie sa mother, confèrent à l’ensemble surestimé, un peu vite acclamé, sa véritable valeur de mélodrame maternel, d’amour inassouvi, de dépendance et d’indépendance, d’éducation et de destruction. Quand Ben Young ne se prend pas pour David Robert Mitchell, le plaisantin qui commit It Follows, fumisterie pour festivaliers friqués, quand il ose, enfin, le lyrisme, au lieu de lier malhabilement réalisme et onirisme, quand il filme ces femmes probablement fréquentables, en tout cas talentueuses et belles différemment, dans leur vingtaine, trentaine ou quarantaine différenciée, Love Hunters commence à respirer, à se hisser au-dessus du thriller au suspense factice, au final prévisible (John, in extremis coupable d’un « canicide » à la Bret Easton Ellis, succombe à plusieurs coups de couteau vengeurs et rageurs), à émouvoir et non plus ennuyer. Inutile de chercher ici la trace des Tueurs de la lune de miel, sommet sans descendance du mélomane Leonard Kastle, ni même des Amants criminels de François Ozon, l’une des rares occasions de doute et de déroute du spécialiste du scandale BCBG, autres noces d’Éros & Thanatos, plutôt l’écho assourdi, délocalisé, d’un Bergman en Scope et BO synthétique. L’avenir de Ben Young lui appartient, lui revient, le cinéma nous dira ce qu’il adviendra de lui dans l’élan de ce Mondo cane ripoliné, au sentimentalisme horrifique retravaillé dans des décors dignes de la sociologie nauséeuse du site Jacquie et Michel (on ne les remercie pas, oui-da). En l’état, Hounds of Love, moins drolatique et désespéré que Michael et L’Obsédé, trimballe sa thématique schizophrénique jusque dans le jugement critique, intrigue et irrite, désappointe et promet. Avec son titre et son sujet, on pouvait exiger d’être mordu – il faudra se contenter d’un pincement (au cœur) pas déshonorant, quasiment décevant. Try again, Ben…

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