Brigitte Lahaie : Les Films de culte : L’Étalon noir
Elle s’immobilise, elle se démultiplie, elle se souvient puis s’enfuit
dans tes nuits.
Quarante-cinq euros, écot de « financement
participatif » en ligne – appel pour autorisation exceptionnelle de la
banque : voici ce qu’il faut faire, quand tu ne possèdes pas de cellulaire
– et, plus d’une année après, réception en Colissimo à domicile. Un livre
d’environ deux kilos, aux extrémités du dos tassées (on imagine la délicatesse proverbiale
du traitement postal) ; trois DVD avec boîtier (duo de documentaires redondants
associé à Ta gueule, je t’aime ! de Serge Korber, réalisateur
« traditionnel » et « spécialisé ») + deux doublons dans
des pochettes en plastique ; des reproductions de planches-contacts
explicites ; une image de bain botticellien au mauvais goût très années
80 ; l’inventive typographie rougie de Je brûle de partout ;
un projet de couverture synthétique, tel un manifeste d’art « naïf » en
partie inspiré par le clairement mauvais Dark Mission, les fleurs du mal de
Jess Franco, encore lui ; un « Enjoy ! » autographe souhaité
par « Les auteurs » : à travers cette édition collector, voilà de quoi s’occuper,
sinon se réchauffer, en ce début d’hiver véritable, la neige preuve provinciale.
Voir son propre nom apparaître sur la page des remerciements ? Cela nous
arriva déjà, à l’occasion d’une biographie de Julien Duvivier, signée en 2001
par Yves Desrichard. Passons donc sur le jaune moutarde, les coquilles-fautes
d’orthographe, l’absence de sommaire (ou de table des matières) et d’index (défaut français), les encadrés
rosés de la portion pornographique (aucun cliché de coït, tant mieux, tant pis,
Glénat visiblement pas La Musardine, où bosse aussi Brigitte), la nostalgie
régressive (jamais d’âge doré, nulle part, a
fortiori dans le X hexagonal), l’entretien pleurnichard, superfétatoire, de
quadragénaires vieillards, avec Fabrice Du Welz, auteur (belge) naguère du
creux Calvaire, à propos des misères du cinéma national (air trop
connu, rengaine de battus).
L’hagiographie bicéphale se rend finalement
sympathique par son impartialité énamourée, la qualité de son iconographie, les
découvertes (décevantes) qu’elle permet grâce aux suppléments, par exemple moyens
métrages marseillais ensoleillé (Les Volets bleus de Haydée Caillot,
familière de Rohmer) ou d’accouchement au sein de l’espace-temps (inachevé ADN
ou le Dernier Homme). Trois cents cinquante pages ne sauraient certes
suffire à circonscrire une abondante filmographie, pas plus que Moi,
la scandaleuse, son appréciable (et médiatique) autobiographie, ni le
bel album photographique homonyme en
noir et blanc, dû à Claude Alexandre & Pierre Bourgeade, ne parvenaient à
portraiturer l’intégralité d’une personnalité. Irréductible à son passé filmé,
nue ou vêtue, à ses activités (à la lisière de la « sexologie ») d’animatrice
radiophonique d’hier et d’aujourd’hui, à son image pérenne de « star du porno » unique et
emblématique (d’une hypothétique « libération des mœurs » sous
influence féministe, brève « parenthèse enchantée » avant l’arrivée
du SIDA, dissimulant mal l’avènement d’un libéralisme sexuel cynique, intéressé
mais guère intéressant, préparation de la démocratisation numérique totalitaire
actuelle), autant que constituée par eux, Brigitte Lahaie continue à charmer, à
se mirer, voire à s’amuser dans une multitude de reflets plus ou moins fidèles,
« légende » auprès de ses fans
reconnaissants émoustillés durant l’adolescence, partenaire exemplaire pour des
« étalons » (de préférence à la « queue de béton », clin
d’œil au sucré Richard Allan) désormais retraités, humoriste populaire à l’aura gentiment sexy chez Philippe Bouvard ou sorte de confesseur bienveillant à
distance. Notez que le pavé se tait sur les revenus du sexe enregistré, paraphe
par omission du tabou (le seul ?) prégnant de l’argent dans ce
« milieu ».
Puisque la peau se porte aussi en
panoplie, puisque les multiples pénétrations précisent l’impénétrable, puisque
les ouvrages-hommages ressassent une doxa un peu rassie (cf. les pages guère
originales sur le cinéma physique ou fantastique de Jean Rollin), Brigitte
Lahaie : Les Films de culte ne dévoile pas vraiment cette femme en
effet séduisante, intelligente, drôle, sensible et lucide sur elle-même, sur
son parcours, sur autrui, sur la myriade de regards portés, posés (caressés)
sur elle (remarquable diptyque à la première personne, pont introspectif du blue movie so Frenchy vers le mainstream générique et coda sereine,
apaisée, d’une âme réconciliée, regagnée). La plaisante mais longuette
conférence enregistrée au Forum des images, au son défectueux, ne fait pas
mieux, pas plus que les silencieuses captations oniriques, gentiment « bestiales »
(équidé, canidés), mimétiques du muet, de Gérard Courant pour sa collection, toujours
en cours, de Cinématon. Dans un registre historique équivalent, bien que
l’objectif diffère, évocation au lieu de célébration, on peut certes largement
préférer Le Cinéma X dirigé par Jacques Zimmer voici une quinzaine
d’années, autrement plus exhaustif, roboratif, pratique et critique, avec
multiplication des écritures, des points de vue, des contenus. L’imparable sincérité
du duo d’auteurs, Cédric GrandGuillot (émouvante évocation paternelle) &
Guillaume Le Disez, leur travail de recherche, leurs rencontres, leur passion
(leur obsession ?) compréhensible, partagée en partie, leur ironie,
également : tout ceci mérite certes salut et respect, pourtant pèse l’absence
flagrante d’un peu d’obscurité, de dangerosité, de vérité, même illusoire et
transitoire, pendant l’entreprise de résurrection-réhabilitation d’une décennie
discutable, soumise depuis à un révisionnisme lucratif, le Nouvel Hollywood en
cas d’école pour cinémathèques.
Rien de pire, de plus sinistre, en
vérité, qu’une comédie ratée (inoffensif Tuyauteries inavouables). Malgré
tout, le lecteur survivant à l’éprouvant Korber y découvrira la grâce candide et
faussement suicidaire de Cathy Stewart, morte en 1994, dix ans après l’apparition
d’une trop célèbre chaîne cryptée usant le samedi, à minuit, la cornée de
certains mâles français alors atteints de puberté, emportée prématurément par
une « grande maladie avec un petit nom », pour parler comme feu Rogers
Nelson. Brigitte ou Cathy, la blonde (à vous de trouver dans quel film au titre
sublime, entre Jacques Becker et Pierre Perret, sa couleur naturelle apparaît)
ou la brune, la survivante attachante et attirante ou la comète oubliée, « sacrifiée »
à l’instar de milliers ? Dans cette dialectique oblique, tragi-comique, se
lit un point de rupture, le passage d’une époque et d’un cinéma (invasion de la
vidéo) à l’autre. Le phénomène se discerne également (encore, disait Lacan à
propos de ses nonnes extatiques) dans le « cinéma bis », dénomination
contestable (autant que la notion de « genre », soulignait récemment
Stephen King, et l’on sait l’admiration sensuelle de Brigitte Lahaie pour le Carrie
au bal du diable de Brian De Palma) face à laquelle sa consœur
« cinéma de quartier » posséda au moins pour elle une réalité
matérielle. Exhumer les bandes bâtardes, rapiécées, paupérisées d’Eurociné,
créatures de Frankenstein souterraines, revient à se livrer à une archéologie d’un
courant d’exploitation qui porte bien son nom, confirme Monica Swinn, avec le
sourire, dans L’Âge d’or du X déguisé en JT vintage (« la France a peur », quarante ans après,
pas pour les mêmes raisons). Ces artefacts
souvent navrants, le tandem ne dira
pas le contraire, paraissent appartenir non pas à une frange déviante,
marrante, épuisante de la production nationale, en avorton monstrueux issu de
la matrice autorisée, médiatisée, subventionnée, récompensée de la
« grande famille du cinéma français » (elle donne d’ailleurs des
envies de massacre fantasmatique façon Le Charme discret de la bourgeoisie),
mais bel et bien à un espace-temps parallèle, inaccessible, presque incompréhensible,
son avatar contemporain à chercher (ou pas) dans les téléfilms câblés ou en DTV.
Si Indécences 1930 (joli
titre télévisé) de Gérard Kikoïne titille notre fibre marxiste, si Je
suis à prendre nous semble gentillet mais surfait (Francis Leroi étonna
davantage, à son avantage, avec un méconnu Le Démon dans l’île, film de
fantastique domestique en rime débrouillarde, évocatrice, avec Réveillon
sanglant de Norman J. Warren), si le soporifique (et mélodique) Clarisse
(aka La Maison des phantasmes
visitée par Burd Tranbaree) nous endormit, si le léché (s’il te plaît) Erotica
de Paul Thomas nous réveilla (un chouïa), si Joy et Joan, ratage
peut-être à réévaluer (les adeptes du saphisme émotif plébisciteront néanmoins le
« temps réel » des demoiselles entre elles selon Nica Noelle),
possède un fin surprenante (« ménage à trois », à quatre, en comptant
le moutard, et bonheur cependant inaccessible, allez savoir), si L’Exécutrice,
anémique, vaut tout de même mieux que la moindre seconde de Polisse
(et Pierre Woodman, ancien flic jugé par certain(e)s, tel John B. Root, infâme,
fit son chemin mesquin), si Les Prédateurs de la nuit, du duo
Franco(décidément)-Chateau (reconnaissance éternelle pour avoir compris et
remarquablement mis en valeur, à demeure, via
la VHS, l’horreur américaine des Hooper, Romero, Lustig et compagnie) s’avère
perclu de défauts rédimés par une passion infaillible du cinéma, pas seulement
celui de Franju, s’il reste accessoirement des réminiscences éphémères de I…
comme Icare (Montand se fait des cheveux blancs), Diva (que l’on nous rende
Billy Wilder), Pour la peau d’un flic (Delon tel qu’en lui-même Delon le
change), Henry et June (Maria, Uma, un « plan à trois » ?)
ou de l’angélique (et médiocrement anecdotique) Le Diable rose, histoire
bien peu historique de cabaret-maison close, la trajectoire cinématographique
de Brigitte Lahaie, sa voie lactée, laiteuse, nous séduit moins que sa
personnalité, plus objectivement, sa persona,
filmique et publique, parfois ludique, essentiellement mélancolique, image
(manquante) en filigrane du périple attractif et déceptif supra.
Ni déesse (des « films de
fesse », expression d’une souveraine vulgarité ne devant rien à Rabelais)
à laquelle rendre un culte (lubie de groupuscule), ni Hécate en carton-pâte (chimère
solaire et infernale à la triple tête de lion, chien et cheval greffée sur un
corps de femme, ce qui ne déplaira pas à l’actrice, pas plus qu’à la Barbara de
Bava réincarnée, par moins vingt degrés, dans Les Raisins de la mort,
comme nul ne l’ignore), ni maman (ses « enfants » grandis, rajeunis,
feuillettent cette photothèque de famille rêvée, gentiment incestueuse) ni
putain (à moins d’annexer le sexe bourgeois filmé, rémunéré, commercialisé, en
secteur tertiaire de la prostitution majoritairement prolétaire), Brigitte
Lahaie, au lieu d’une hypnotique Fascination, suscite (chez moi, en
tout cas, et les auteurs me pardonneront, ou non, ma subjectivité assumée,
rétive au publi-rédactionnel) une singulière émotion. Dans cette femme réelle,
plurielle, digne d’être connue (on l’espère, on l’assure) murmure un écho
assourdi, infime, évident, tel un dédoublement, de Kim Novak perdue, croit-on,
dans la fantomatique forêt de séquoias de Sueurs froides (un titre aisément
transposable par les distributeurs plaisantins des métrages « coquins »
à la Jean-Marie Paillardy). Chevelure « impure » et
somnambulisme inquiet (revoyez le poignant La Nuit des traquées) caractérisent
les deux muses au royaume du désir, de l’interdit (aux mineurs), de la trahison
(qu’attendiez-vous des douaniers du cinéma français habillé, chère
Brigitte ? Laissons-les macérer dans leur marigot de mépris), des
apparences révélatrices (du cinéma, donc), des masques complices, des occasions
manquées puis de la mort, puisque personne ne réussit pleinement sa vie, pas
même les saints (ah, les seins parfaits de Mademoiselle Vanmeerhaeghe), tandis
que quelques-uns réussissent dans la vie, tant mieux pour eux.
Brigitte Lahaie : Les Films de
culte, somme
appréciable, agréable et frustrante, un peu impuissante (à tout cerner dans sa
complexité), laisse entrevoir cela, en porte témoignage. Serge Gainsbourg, à
l’occasion d’un coffret, conjurait par la dérision sa peur d’un
« sarcophage ». Brigitte Lahaie, à l’intérieur et à l’extérieur du
livre (dans notre mémoire, notre représentation, nos lignes laudatives, ici et
là), respire, inspire et conspire (à nous donner du plaisir). Sa lumière, son intégrité,
sa douceur et son obscurité valaient bien une rétrospective (illustrée,
verbale) et un article (tardif), tentatives heureusement impossibles (et en
majorité masculines) d’éclaircir (d’enlacer) un mystère, de chair et de verre.
Les filles n’ont pas de bananes. Copi, quoi que... http://jacquelinewaechter.blogspot.com/2011/03/copi-premonitoire-oh-merde-jexplose.html
RépondreSupprimerLes bananes mécaniques de Jean-François Davy, substituées aux oranges mécaniques de Burgess & Kubrick...
SupprimerVoilà une seconde, à gorge dite profonde, Linda : Lovelace, bien sûr...
Le rat utérin du cinglé américain de Bret Easton Ellis, quel supplice...
Exil et terrorisme, dualité de notre dépressive contemporanéité...
Merci pour la découverte, quand je (ne) connaissais (qu')un autre Co(l)pi, prénommé Henri, monteur musicologue...
Lire en sus Myra Breckinridge, ce roman amusant du "vandale" Gore Vdal...