The Chronicles of Evil : La Vengeance dans la peau


Une resucée moins stylisée du fameux Old Boy ? Davantage une parabole cruelle sur le passé impardonnable et la culpabilité partagée (à tout âge)…


« Je suis le fils d’un meurtrier » : des années plus tard et en voix off, l’adulte se souvient de son enfance déshonorante, de l’arrestation paternelle, de nuit, sous la pluie, au ralenti. De son côté, après de brèves réjouissances entre hommes (ceux de son équipe), le policier promu monte dans un taxi, en route vers un restaurant. Un beau plan, utilisant toute la largeur du Scope, l’isole à droite du cadre, derrière la vitre de la portière. En réalité, au lieu d’un bon repas nocturne, il va boire jusqu’à la lie la noirceur d’une nuit rendant dérisoire son succès, ses ambitions, le rendant prisonnier d’une filiale malédiction. Le chauffeur en veut en effet à sa peau, à cause d’une histoire de relaxe et de corruption. Bagarre montée cut, à la lueur des phares, sur un terrain vague à l’écart, couteau au creux du buste (en plein cœur), appel au supérieur et travelling circulaire sur le visage du survivant, en train de prendre une décision « lourde de conséquences », avant qu’il ne se mette méticuleusement à nettoyer, en émule coréen d’un certain Norman Bates, toutes les traces de sa présence, puis fondu au noir et début des ennuis diurnes. Une femme dans la foule en partance au travail avise le cadavre pendu à une grue, surplombant de toute sa hauteur accusatrice le bâtiment du commissariat. Les médias s’en mêlent et le flic se retrouve aussitôt à devoir enquêter sur un meurtre commis par lui, comme naguère Gian Maria Volontè chez Elio Petri (Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon). Ses partenaires dégotent la bagnole de location du délinquant quadragénaire abandonnée sur un chantier, une housse ensanglantée dans le coffre (et une barrette de cravate, offerte la veille, coincée entre les sièges, indice capital non divulgué par le cadet malhabile, trop émotif dans ses rapports d’interrogatoires).


Notre capitaine, mal rasé, piégé par son ADN sous les ongles de la victime, trahi par un pansement au cou, s’imagine déjà menotté à domicile, pour ainsi dire, l’itinéraire du taxi retracé via la vidéo-surveillance (quadrillage totalitaire de l’espace urbain, néanmoins rempli d’angles morts où trucider son prochain). Il dérobe un CD compromettant quand soudain le jeunot identifie le second conducteur, qui plaça le corps à l’arrière, sur une bande révélatrice ! Traque au steadicam (le hasard de la diégèse fait bien les choses) sur les hauteurs possibles de Séoul, dans des rues minuscules, labyrinthe rural où le suspect se dévoile (et se condamne) par un éclairage oscillant ; une balle suffit à l’occire dans le sillage de ses dénégations (il joua seulement les macabres convoyeurs). Le flic juvénile confie ses états d’âme (tait ses soupçons) à son camarade, celui-ci lui rétorquant qu’ils forment tous une famille, qu’il leur faut être bienveillant envers chacun. Une piste de came mène à un narcotrafiquant tabassé vaillamment. L’ADN récolté, évidemment, ne correspond pas au coureur dégommé. Les croisements conduisent à une agence de cinéma (nouveau suspect : un acteur supposé gay, comble de la perversité, pas vrai ?). Dans un amphithéâtre désert, le fils putatif confie au bord des larmes ses doutes déchirants au quinquagénaire en train de fumer (la cigarette du condamné) et lui remet les preuves (bijou + copie de disque) de son forfait, de son mensonge. Au bar Mojo (clin d’œil au Mister se dressant sur le L.A. Woman des Doors ?), un agenda fait le lien avec des meurtres en série de flics, ressuscite le souvenir d’un empoisonnement « évangélique » (douze morts) pour lequel on arrêta le père liminaire (le fuyard en témoin bientôt châtié).


L’explication entre le cerveau du complot et le policier acculé se tient à huis clos (sonore) derrière une glace sans tain : à la clé, en échange du silence, un nouveau « contrat ». In fine relâché, le beau gosse aux airs de jeune premier, d’ange exterminateur androgyne, conduit le capitaine au parc olympique, afin d’assister, impuissant, presque à temps, à la mort du commissaire captif de sa voiture explosée. Dans son repaire, le drogué se suicide par overdose et rend l’âme après avoir serré dans ses bras l’enfant du début, désormais son amant (platonique, probablement), pour lequel il endossa le rôle du coupable. En simultané, le faux policier tue son collègue à terre, parvenu aux mêmes conclusions identitaires par ses propres moyens. L’orphelin confronte son « oncle » (terme respectueux là-bas, équivalent générationnel de notre « monsieur »), lui-même oncle d’un autre bambin emmené sur les lieux, inconscient du drame. Il veut conjurer le passé par sa reproduction – on pense bien sûr à La Nuit du chasseur, drame immortel sur les faux prophètes et les pères criminels –, il se démasque en auteur du massacre à la poudre fatale, innocent aux mains sales révolté par le spectacle de son père adoré, handicapé, roué de coups par les clients violents. Mais le policier, grillé par une vidéo explicite de sa virée alcoolisée, tirera dans les airs, ne lui laissant que l’option d’une balle dans la tête, à bout portant, sous un rideau de pluie en manteau de larmes et une pietà purement masculine. Un ultime retour en arrière nous montre les deux hommes souriants, sur le point de travailler ensemble, et l’œuvre s’achève par un arrêt sur image de la future némésis aux sombres traits angéliques.


Beak Woon-hak, la cinquantaine, ancien producteur pour la TV, la publicité, un seul long métrage à son actif, Tube (2003), sorte de Subway local, voit à raison dans ce gros succès commercial en Corée un thriller de personnages. Bien épaulé par le dépressif Son Hyun-joo, le costaud Ma Dong-seok (vu en prolo du Dernier train pour Busan), le transi Choi Daniel et le retors Park Seo-joon (récompensé avec justice), le réalisateur livre un « produit de série » aussi révélateur de l’excellence coréenne que d’autres titres plus importants, sinon majeurs (le talent d’une cinématographie apparaît itou dans ses métrages « modestes », pas uniquement dans ses chefs-d’œuvre). Excellent « artisan », à défaut de véritable « auteur » (pourtant scénariste), il livre un opus ne manquant ni d’esprit ni de cœur (ah, le soubassement récurrent du mélodrame). Avec son intitulé factuel et métaphysique, The Chronicles of Evil démontre en beauté (celle de la nuit sud-coréenne, bien saisie par un duo de directeurs de la photo, Park Jong-chul & Jung Chul-min), en toute humilité, que les gosses n’oublient jamais le mal qu’ils font, qu’on leur fait, que leur vengeance amère s’avère impitoyable, naïve et machiavélique, que la gloire ne représente absolument rien face à une double injustice (non reconnaissance du crime, fabrication de fausses preuves) et à une « liberté » (comment mettre en prison des enfants ?) conçue en bonne intention infernale (« Deviens quelqu’un d’intègre », incite le flic au petit tueur, suprême ironie). Le père (mains dans les fers) et le fils (en pleurs) se regarderont une dernière fois, signe d’incompréhension, de séparation, de pardon – aux hommes coupables par peur, ruse, colère, amour, l’enfer de la mémoire, et à nous, cinéphiles, un film suffisamment radical et adulte dans sa transparence et son héritage pour mériter cent minutes d’une vie, assorties d’un article favorable bien que réduit.  

Commentaires

  1. On peut dire que le véritable enjeux de ce film, la vengeance du jeune flic pour l'arrestation sommaire de son père envers son supérieur sauve ce film qui n'à pas réellement innover dans ce polar, mais agréable à regarder tout de même.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je partage cet avis : un film mineur mais réussi, tout sauf innovant et cependant constamment plaisant...

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Les Compagnons de la nouba : Ma femme s’appelle Maurice

La Fille du Sud : Éclat(s) de Jacqueline Pagnol

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot : Le Trou noir