Noires sont les galaxies
Entreprise mondialisée (aux oreilles vulcaines) ou sécession solitaire,
l’aventure interstellaire demeure une épopée de proximité…
Immanente, scintillante, la Mort
sourit depuis ses hauteurs célestes et glacées. Dans la nuit enfin délivrée des
lumières chaplinesques de la ville, les étoiles nous accueillent sur le seuil
du sommeil. On perçoit leur souvenir, seulement la trace absente d’une présence
illusoire, spectaculaire. Nul visage maternel n’apparaît sur le drap sombre
pour nous bercer d’un « Rien ne meurt jamais » ; aucun
« éléphant » ne rejoint le bestiaire astronomique garni d’ourses, de
centaures, de bergers. Les hommes entendent aussi baptiser le ciel, tout ce qui
gravite au-dessus de leur tête. Les animaux, les lieux, les villes, les
événements, les sentiments, cela ne suffit pas, il faut encore que l’éther
nocturne finisse dans un dictionnaire. Virus verbal transmis jusqu’aux astres,
trajectoires terrestres calquées sur les parcours astraux, ou l’inverse.
Exigence d’une transcendance, de la supériorité d’un sens forcément supérieur à
déchiffrer, naguère avec l’appui intéressé de mages pas si sages (ah, les
bambins innombrables « instrumentalisés » par Gilles de Rais),
aujourd’hui à lire parmi les pages inoffensives, lénifiantes, de magazines dits
féminins, à la misogynie agréée. Rubriques du cœur et du corps, du quotidien
découpé en semaines, de l’absurdité biographique prise enfin dans le rassurant
tournis des planètes, des comètes, du cosmos accouplé aux cosmétiques.
Dieu enterré, Allah ressuscité, la
mystique économique peinant malgré tout à suffire aux sentimentaux naturels,
ils cherchent dans l’obscurité clignotante une raison de vivre et de mourir (le
plus tard possible, en excellente santé), la preuve dérisoire d’un mystère, d’un
esprit mathématique et miséricordieux (sauf pour les hérétiques, les infidèles,
bien sûr, à liquider fissa par le feu ou le couteau), d’un créateur majeur
digne d’eux-mêmes, à leur image dans son ramage relayé par ses prophètes (de
malheur, souvent, car le remerciement voisine avec le châtiment, et les doigts
croisés du pasteur vraisemblablement pédé
rejouent au profit des gosses et des péquenots
la fable manichéenne usée à la nausée par les gouvernants de tout temps, de
toute latitude). Certains, plus pacifiques ou moins atteints de fièvre herméneutique,
apprécient la « simple » beauté à chaque crépuscule retrouvée, les
préliminaires d’un embrasement courant, avant le déploiement silencieux des
troupes brillantes sur le théâtre enténébré des opérations. Le beau, le
sublime, l’appel irrésistible, le dépassement des contingences, le retour aux Essences,
selon Platon ou Poe. « Ôte ta culotte » ordonne nuitamment le
« Gorille » cagoulé à la jeune femme blonde accoudée à la balustrade en métal, son amant
déguisé en agresseur dans ce petit jeu de rôle à usage intime, épisode d’une
série à la TV involontairement repris ces jours-ci par Verhoeven un peu vite
naturalisé.
Pascal, Auvergnat effrayé, on le sait,
par le « silence des espaces infinis », prévenait pourtant déjà du risque de s’avérer
Bête en se souhaitant Ange. Comme dans un miroir déformant, satirique, à chaque
élan vers l’azur correspond exactement une poussée vers la terre, ce terreau de
miasmes amis et de laideurs familières abrité bien au creux de l’âme et des
organes. Alex, dans son tunnel de torture à l’envers, ne voit plus le ciel ni
la rue ni le sommet des immeubles, totems phalliques à la King Kong incitant au
viol des habitantes après celui du terrain conquis, foré par les chantiers du
capitalisme tellement bandant, « l’érection »,
architecturale et sexuelle, d’un espace dédié au commerce, dont celui du sexe,
produit promis en paradis, en trip
ultime à portée de main (celle qui ne tourne pas les pages illustrées, celle
qui ne « surfe » pas sur les sites classés spécialisés). À défaut du
Ciel, hypothétique, problématique, extatique, tu peux atteindre le
« septième ciel » à domicile, camarade consommateur, rencontrer une star
(du X) au bout du fil, connaître la « petite mort » si plaisante, si
conservatrice, si marchandée. Même explorateurs hardis, obsédés, des ailleurs
intersidéraux, nous aspirons à coloniser, à laisser notre empreinte (de botte,
nazie ou non) sur le sol poussiéreux, hostile. Depuis 1969, figure « française » bien connue des amateurs du « divertissement
adulte », surtout à tendance saphique, le drapeau US se dresse dans bouger,
sans crier (car qui pourrait donc t’entendre, crétin ?) sur la nécropole
lunaire, probablement au son « planant » du Floyd (le groupe de
Gilmour, pas le docteur de Kubrick !).
Dans son autobiographie fragmentée rédigée
en français (bravo, caro), Rossellini fustigeait autrefois
le barnum de la NASA, ce nationalisme mal placé, cette acmé de la société du
spectacle incapable d’appréhender la réalité sereinement, avec humilité,
distance, retenue, prompte à dévaluer la moindre pièce de réel en camelote
assourdissante et obscène – d’une obscénité bien moins aimable et pardonnable
que l’autre, reléguée après minuit, réglementée en « niches » –, en
ersatz dont on se contente tous, chacun à notre échelle, suivant notre degré de
lâcheté, en paravent moderne, « diablement séduisant », en vérité,
derrière lequel se tiendrait l’ambroisie du Vrai, du Bien, du Bon (dans le
système post-moderne, les catégories phénoménologiques et morales de la pensée
antique ne fonctionnent plus, puisque la base s’abolit, se dissout dans
d’incessantes métamorphoses, dans la disparition absolue de la référence
originelle : le recyclage, par nature référentiel, travaille les œuvres
d’hier, dans l’impossibilité de donner à voir et entendre autre chose qu’un
discours et une imagerie au carré, abîme séparant radicalement Carpenter de
Tarantino – la Chose anonyme et protéiforme paraphe le deuil identitaire dans
la glaciation eschatologique ; le catalogue de vidéo-club cristallise le
vide nostalgique, ironique, fun,
« politiquement correct » ou à prétention historique de l’époque
actuelle).
Du trou noir de Disney à l’anus de la
complice sur son balcon (chez Cronenberg très accidenté, par exemple), on
suppute une distance moins grande qu’entre Charybde et Scylla, la roche Tarpéienne
et le Capitole. Privilège (malédiction, diront les pessimistes) de l’espèce que
de pratiquer l’ubiquité, de ramener à soi l’immensité d’une voie supposée
lactée, réduite à une barre chocolatée en anglais sucré (ou à la boîte de
production d’un certain Johnnie To). L’opéra spatial, voire son équivalent en
musique de chambre, optant pour le mythologique (Lucas) ou l’écologique (Trumbull),
délocalise le western ou l’ascèse
lestés d’une morale commerciale de « nouvel espoir » (espérance dans
un ranch équipé de joujoux de haute
technologie) ou d’une mélancolie mémorielle et suicidaire. Le religieux, même
et surtout à des années-lumière, fait retour, comme professent les psys, il
revient en force avec la relecture régressive ou solipsiste des mythes du
Messie et du jardin d’Éden.
Quant au « deuxième sexe »,
tandis que d’étranges arbustes perforent les ventres hexagonaux sous le règne
mitterrandien, ses représentantes constatent avec terreur (dans l’espace) puis
révolte que les anfractuosités souterraines et exogènes cartographient leur
anatomie abusée de parturiente, chez Norman J. Warren ou le rural Harry Bromley
Davenport (la Mort continue à sourire au sous-sol ou à la ferme). Moralité du
dépaysement, de l’exotisme stellaire : on finit toujours par redescendre
sur Terre, par retrouver l’écosystème physique et psychique de la misérable
humanité (aux épris d’altérité radicale, recommandons l’entomologie ou
l’endoscopie, façon Richard Fleischer ou John Stagliano). Ce reliquat d’en bas
accorde cependant quelques secondes d’insondable grâce, d’humour admirablement
léger, lorsque un stylo se met à « flotter » en apesanteur et en
douceur dans une navette métaphysique et poétique, ballet minuscule qui vaut
bien un monolithe hiératique ou des vaisseaux valsant. Dans l’espace, personne
ne vous entend dormir, mais une hôtesse amusée prendra soin de replacer l’objet
autonome, évadé, dans la poche de votre veston vintage. Ainsi va la vie extra-terrestre, ainsi s’harmonisent les
destins humains aux histoires scientifiques et existentielles, dans le soir
provincial étoilé…
Un beau texte à l'écho personnel quasi intime si on sait lire au travers des lignes,
RépondreSupprimersi on osait, on en redemanderait, pour lire, découvrir d'autres reflets de journal personnel, notes de choses vues au fil des oeuvres revues, lues...
http://jacquelinewaechter.blogspot.com/2015/12/bleus-de-travail-de-lame.html
Quelques chroniques à parcourir :
Supprimerhttp://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/search/label/Chroniques?view=magazine