Les Bonheurs de Sophie

 Exils # 30 (19/04/2024)


D’un château l’autre, disait Céline : après le (tout) premier, du comte Cagliostro, en 1979, ensuite celui déjà dans le ciel (1986), proie de pirates, voici la piaule de Howl, le personnage au nom très connoté de la romancière anglaise Diane Wynne Jones, devenu en France Hurle et au Japon Hauru. Emily Brontë doublerait ainsi Allen Ginsberg, hurlement (et Hurlevent) en tandem ? Plutôt l’écho illico des Aventures fantastiques du baron Münchhausen (von Báky, 1943), plaisante pièce montée européenne, allemande et non alsacienne, préférable à l’épuisant et indigeste pudding suiviste de Gilliam (1988), sorti pendant un autre conflit, la Seconde hécatombe substituée à l’Irak patraque, au creux duquel retrouver, outre le magicien italien précité, supposé, le même mélange pas si étrange de guerre et de paix, de féminisme soft et de reversement du vieillissement, et d’airs explorés, d’amants éplorés. Miyazaki connaissait-il tout ceci ? Peu importe, les opus comme les époques se répondent, les valeureux voyages ne sacrifient aux doucereux enfantillages, les univers doux-amers, démonstration de réalisme imaginaire, ravissent les grands spectateurs et les petites spectatrices (merci Cathy de ramener l’ami). Situé entre Le Voyage de Chihiro (2001) et Ponyo sur la falaise (2008), duo balèze, d’odyssées initiatiques et aquatiques, Le Château ambulant (2004) prend son temps, prend de l’élan, va de plus en plus en plus de l’avant, jusqu’au dénouement vibrant, vraiment virevoltant, sorte d’équivalent dessiné, animé, c’est-à-dire d’images d’une âme dotées, ici numérisées, du rythme, du romantisme et du charme de La Chartreuse de Parme, modèle immortel de rapidité littéraire. Si certes certains peuvent lui préférer un fameux voisin (ecco Totoro), parangon de simplicité, de linéarité, d’unité, sa dimension mystique de modeste (mélo)drame domestique, reprocher à ce beau château sa complexité, sa multiplicité, son inventive liberté, revient en définitive à ne savoir pardonner un véniel péché de générosité décomplexée, cf. la réception critique et publique à moitié mitigée du Garçon et le Héron (2023),  même cause, même effet, la sécheresse pragmatique de ce testament en supplément à la place de la tendresse Titanic (Cameron, 1997) du parcours épique. Sophie Chapelier la bien nommée vieillit, rajeunit (l’Alice de Lewis grandit, se réduit), redevenue juvénile conserve ses cheveux gris, censés signe de sagesse, à l’unisson de son prénom.

Le cinéaste alors sexagénaire fait davantage que faire l’apologie d’une drolatique gérontophilie, il transforme la figure d’habitude mielleuse ou fielleuse, serpillière ou sorcière, de la grand-mère, il rend peut-être, probablement, hommage à sa maman, il (dé)peint le portrait d’une héroïne irrésistible, sept ans suivant l’amazone pas à la gomme de Princesse Mononoké (1997). Pourquoi diable, se demandent ou se lamentent quelques belles âmes, en dépit du veto républicain, parce que les français citoyens le valent bien, tous ces personnages, quel dommage, ne disposent du visage de leur race ? Le cynisme de l’argument marketing, de l’impersonnelle empathie, ne suffit, en tout cas pas à Miyazaki, qui trame des fables à la fois nationales et tout sauf nationalistes, qui adoube une abstraction d’incarnation, voire l’inverse, qui décide d’inverser, longtemps avant Mary et la Fleur de la sorcière (Yonebayashi, 2018), itou transposé d’un titre britannique dû à une dame, le motif a priori peu féministe de la célèbre demoiselle en détresse, même cabossé par la dialectique bestialité de King Kong (Cooper & Schoedsack, 1933), via un sorcier dont les androgynes traits, la blondeur décolorée, durent délecter le Demy des Demoiselles de Rochefort (1967) et Lady Oscar (1979). À l’instar du lascar Oscar (Wilde), le danseur en apesanteur (salut à Superman), auquel il manque un cœur, fort à (dé)faire, avec le feu de Calcifer, assume son narcissisme, ne saurait survivre sans la béquille de la beauté. Pour que l’homme en devienne un véritable, pour que sa maison en marche à base d’architectures recyclées s’avère enfin un vrai foyer, il lui faut rencontrer, être sauvé, être embrassé, par Sophie, la forte et fragile femme de sa vie, il convient de récupérer l’organe indispensable, au propre et au figuré, allongé style la Belle au bois dormant, attendant son transplant. Film de défilés festifs et funestes, de malédictions et de marchandages magiques, d’identités plurielles, existentielles, ni figées, ni définies, de masculins travestissements et de boule en cristal le couple espionnant (au Cocteau de La Belle et la Bête, 1946, clins d’œil inconscients), œcuménique succès malgré un Mamoru Hosoda remercié, Le Château ambulant corrige en sourdine son conservatisme hétérosexuel et son sentimentalisme consensuel (rematez l’épilogue démagogue de Metropolis, Lang, 1927) au moyen d’un matriarcat sis sous le signe de l’ambivalente Madame Suliman, mentor du mage et diplomate impitoyable, par l’amour des protagonistes et d’autrui in fine rédimée. Pas de battement, pas de mouvement, moral(e) pour maintenant…                                    

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Les Compagnons de la nouba : Ma femme s’appelle Maurice

La Fille du Sud : Éclat(s) de Jacqueline Pagnol

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot : Le Trou noir