Un cœur qui bat
Un métrage, une image : Les Visiteurs du soir (1942)
Si la littérature médiévale, surtout
celle de Chrétien de Troyes, regorge d’allégories, christiques ou sarcastiques,
Renart se marre, le fameux film de Carné ne se préoccupe d’Occupation ni de
Résistance, lecture historique assez risible, a fortiori lorsque l’on
songe aux fréquentations hors de saison d’Arletty. Davantage redevable au Roman
de la Rose de Lorris & Meung qu’aux Très Riches Heures du duc de
Berry, influence graphique avouée, bien (di)gérée, il s’agit à l’origine d’un
scénario original coécrit par Prévert & Laroche, partenaire professionnel
et personnel de Jacqueline Audry (Olivia, 1951), ensuite d’un conte à
succès, critique, économique, œcuménique, éclairé/décoré avec brio, musiqué de
la même manière par Maurice Thiriet, le compositeur du contemporain La
Nuit fantastique (L’Herbier, 1942) ou Fanfan la Tulipe
(Christian-Jaque, 1952), au casting
choral impeccable, un brin bressonien, y compris parmi quelques caméos
subliminaux, disons ceux de Signoret & Resnais. Assisté d’un certain
Antonioni, eh oui, Carné cadre au cordeau un premier couple depuis longtemps en
route, un second déjà en déroute, en dépit du mariage, dommage, pas encore
finalisé, sans cesse festoyé, le bourreau ne s’en fait pas trop, pêche direct
la rainette. Les intérieurs en studio et les extérieurs au soleil dialoguent à
merveille, tressent une tapisserie à la sensualité discrète, à la douceur tout
sauf obsolète, comme un contraste stimulant à la noirceur des mœurs du temps,
pourtant désormais en partie apaisées, pacifiées, le promis, phallo et schizo
Renaud, très possessif, peu épris, déclare le regretter, se rattrapera selon le
traitement réservé à l’étrange étranger, chien humain enchaîné au chenil, rien
de plus facile, in fine rejoint par la fiancée infidèle,
capable de crier sa passion en public. Pendant plus d’une heure quinze, Les
Visiteurs du soir, ouvert à l’iris, muet ressuscité, western moderne, s’apparente à un tragi-comique
marivaudage situé au sombre et immaculé Moyen Âge, à demi (re)construit en zone
dite libre. Le cinéaste certes ne se soucie de sociologie, de réalisme, de
marxisme, même s’il esquisse, sensibilité sociale des scénaristes oblige, un
système obscène de seigneurs et de serfs, de fric et de freaks, de festin et de destin. Quand le grand Berry déboule,
modèle immédiat des futurs numéros de son imitateur Belmondo, le film prend
soudain une dimension différente, le fantastique s’y affirme et ne s’y démunit
d’humoristique. Tandis que Gilles évoque un compagnon de Valmont, cynique
séducteur en vérité point dépourvu de cœur, piégé puis rédimé grâce à la grâce,
majuscule en option, de ses sincères sentiments à contre-courant, car courtois
plutôt que diaboliques, prosaïques, voici le salut et le hic, que Dominique, munie d’un prénom épicène, sourit au sein d’une
sorte de transe morose, au lieu d’être une trans qui voit la vie en rose, que
dame Anne ne voit rien venir, à la chanson déclaration essaie de se hisser,
s’émanciper, soupire, connaît l’extase habillée, allongée, mouillée, pleure et
rit, termine non lapidée mais pétrifiée, pour l’heureuse et malheureuse
éternité, puisque respirant à ton côté, l’Adversaire voyageur ne provoque la
peur, amuse et s’amuse, voudrait, SVP, être lui-même aimé, en écho à Cazotte.
Les créatures impures doivent donc séduire, au sens étymologique, maléfique, du
terme, désespérer les malléables amourachés, le luth suscite le ralenti, le
bonheur et la douleur s’accompagnent de hiératisme et de lenteur, l’immobilité
du ballet annonce celle de la coda près de la fatale, réflexive et fraternelle
fontaine. Un peu d’eau fraîche telle une bouche suffit ainsi à son âme
purifier, la malédiction semer, le pire faire défaillir, s’évanouir. Guère
conquise, la convoitée ment vraiment, déjoue le bagout de l’anonyme relou, ranime
la mémoire, pas trop tard, de l’amant désarmant. On peut parfois penser à la
frontalité formulée de Perceval le Gallois (Rohmer, 1978),
on se souvient avant tout du ciné (dés)enchanté de Carné, homo à la Cocteau, romantique
à la Demy, ce restauré soir quelque part à la tête de La Belle et la Bête (1946)
et au départ de Peau d'Âne (1970)…
Le coeur de la statue figée (la France occupée?) qui bat toujours, vous ne l'avez point relevé...?
RépondreSupprimer(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
Car Carné n'y croyait.
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