The Extra Girl : Le Trou normand
Liesse de « natural born actress » + oignons et pognon…
À Hélène Marchand, accueillante et résistante
Aimable et amusant mélodrame familial
et méta, The Extra Girl (F. Richard Jones, 1923) permet de (re)découvrir
une actrice drôle et tendre, presque poignante. Pionnière et populaire, issue
de parents appartenant à la classe ouvrière, Mabel Normand commença en modèle,
fit un tour chez Griffith, escorta Mack Sennett, dirigea le juvénile Chaplin, devint
la partenaire professionnelle et personnelle de Samuel Goldwyn, l’amie de Mary
Pickford, posséda son studio, sa société de production, subit deux ou trois
scandales, se drogua un chouïa, dit-on, puis décéda vers le mitan de la
trentaine, victime d’une épidémie de tuberculose US, hollywoodienne, qui
emporta aussi le supra réalisateur, quel malheur. Comédie douce-amère, de
désillusion, de dessillement, The Extra Girl, produit Sennett
oblige, déploie un peu de slapstick,
au propre et au figuré, notez le bâton d’occasion du rival recadré, sa vitrine
de droguiste par ses soins vindicatifs vandalisée, inclut une course-poursuite,
cavalière et mécanique, s’assortit d’une séquence irrésistible de chasse au
lion inversée, leçon de cadrage, de découpage, de rythme épique, introduite par
un travelling arrière assez superbe,
un brin hitchcockien, où l’ingénue croit tirer derrière elle son gentil Teddy
déguisé, au lieu du fauve enfin à fond, suspense
drolatique et dangereux d’une belle bête et d’une belle pas bête. Bien
accompagnée par un casting choral
jamais écrasé, aux membres importants à aucun moment réduits à de dispensables
figurants, justement, le titre dixit,
Mabel séduit aussitôt, marrante et attendrissante, en provinciale atteinte de
bovarysme pragmatique, puisque le statut de star,
dès le départ problématique, chimérique, sélection de substitution, gare à la « grass
widow » trop serviable, vise à éviter un mariage arrangé, donc forcé.
Rassurons les féministes : pas
de violence masculine à l’horizon, en dépit d’un débouclé paternel ceinturon,
le jour morose des noces, viens ici, ma petite chérie, dévêtue et sortie de ce lit.
Quant aux militants/manifestants/représentants autoproclamés des minorées minorités,
ils ne manqueront pas de remarquer que les Noirs, en effet muets, silhouettes
de silent movie, occupent des emplois d’employés, de train, d’hôtel, ne
reçoivent pas même un mince pourboire pour leur inconsciente bonne action de
saison, (dé)passons, apprécions cependant la représentation apaisée, désormais
éloignée de la nocivité sudiste et sexuée de Griffith, bis (Naissance d’une nation, 1915). Signalons en sus que l’épilogue,
projection domestique, prophétique, explication d’une carrière écourtée,
devrait déplaire à ceux et en particulier à celles y (a)percevant une apologie réactionnaire
de la répudiée femme au foyer, retombée au creux de l’obscurité, forcément
maman. Mais The Extra Girl, pas bégueule, ni raciste, moins encore
misogyne, lui-même se démine, ne verse vers la satire acide, de serial en série à grosse bestiole, au
contraire met en garde, six ans avant un célèbre krach, contre les escrocs boursicos,
condamnés illico, en duo, par le
couple soudé, armé, Sue/Mabel alors relookée en acrobate à cape, en ombre
expressionniste en rime à la Irma/Musidora immortalisée par Louis Feuillade (Les
Vampires, 1915). Rempli d’empathie, précis, rapide, lucide, Jones ne
présente point des pantins, saisit et sert les personnages personnels du
scénario du stakhanoviste Bernard McConville (Le Fantôme de l’Opéra,
Rupert Julian, 1925). Dans The Extra Girl, les rideaux de
fenêtre suspecte ressemblent à des écrans pour les vrais-faux amants, les
amateurs simulent au salon, à leur tempo, les pâmoisons du Cheik (George Melford,
1921) de Rudolph Valentino.
Le cinéaste manie le surcadrage, la
profondeur de champ, les travellings
latéraux quand il faut. En soixante-sept minutes alertes, dégraissées, il
parvient à portraiturer une femme fréquentable qui se reflète et se taquine,
loin de la déprime, alors qu’il lui reste à peine sept ans à vivre et un autre
(à moitié long) métrage à tourner, Raggedy Rose (Richard Wallace,
1926), co-écrit par un certain Stan Laurel, auquel Mabel, via son visage lunaire, solitaire, fait parfois penser. Malgré
toutes les contrariétés, le vent mauvais, le screen test peu
convaincant, bien qu’hilarant, la costumière et le machiniste s’en fichent,
finissent enlacés, en train de s’embrasser, du minot à proximité, Sue se
félicitant de sa maternité, tout sauf nostalgique de son grand dessein-destin
vite avorté. Victoire à la Pyrrhus, conformisme d’enfantement ? Mise à
distance et célébration par procuration du cinéma, surtout celui-là, candide,
adulte, à l’intelligent tumulte, pratique anecdotique et imagerie majeure, (à
la) lumière d’une étoile éphémère, davantage vivante, vaillante, émouvante,
divertissante, que la multitude lugubre de notre modernité déprimée, contaminée,
pas seulement au ciné, jusqu’au sein de la Cité.
Très cher Jean-Pascal,
RépondreSupprimerje n'y entend absolument rien en cinéma et tu le sais bien, mais j'ai passé un moment extraordinaire devant ce film très amusant où le méchant est puni à la fin.
La scène où le lion intervient est tout simplement hilarante.
Je te remercie pour cette attention cinéphile et suis impressionnée par tes commentaires.
Merci pour ce bon moment, j'espère, qu'au gré des mutations nous nous recroiserons.
Hélène
Bien chère Hélène,
SupprimerRavi de te lire ici, et réjoui de te savoir divertie, amusée, par ce film moral, en effet enjoué, loin du musée du ciné.
Ce lion-ci en annonce un second, moins à rebonds, celui de la MGM, prénommé comme DiCaprio, Dio mio !
Tu m'impressionnes aussi, à ta manière guère austère.
Avec ou sans garçons, glaçons, nous nous réécrirons, belle Hélène, du côté de Troie ou pas...