Un amour inhumain
Exils # 65 (27/12/2024)
Pour Patrick
De l’ouverture au finale, commencements et fins. Tous les événements qu’ils enserrent passent eu un éclair. Une éternité précède l’ouverture, une autre, sinon la même, succède au finale. Tout ce qui surgit entre les deux (dont les événements narrés dans ce livre) n’en paraissent que plus vivants. Nous réalités, comme nos accomplissements seront oubliés.
Philip Glass, Paroles sans musique
De l’enterrement du commencement au final en forme de firmament, La Mort n’existe pas décrit un dévoilement, plaide pour un apaisement. Le terminer le jour de Noël possède une symbolique explicite ou procède d’un hasard débarrassé de Balthazar (et Melchior & Gaspard). Le lecteur épouse le périple intellectuel et sensoriel d’un explorateur des terres intérieures, des expériences homonymes d’un Michaux soumis à la mescaline. Stéphane Allix s’adresse à sa grande fille, adulte au prénom de lune, et son odyssée au-delà du réel, documentée, sourcée, plurielle et individuelle, évoque en vrac Altered States (Russell, 1980), Furie (De Palma, 1978), les Lettres du yagé de William Burroughs ou Derniers fragments d’un long voyage de Christiane Singer. La perte d’une frère, accident d’Afghanistan, la perte d’un père, secret de Socrate, se placent sous le signe ésotérique d’un chamanisme d’Amazonie en rime humide avec de fameux mystères d’hier, ceux de Perséphone & Déméter, ceux de l’Éleusis de la Grèce antique, ergot de seigle ou ayahuasca, fais ton choix. L’ex-reporter de guerre devient donc au fil des années un laïc Orphée, épris de spiritualité, sceptique du scientisme. Ce journaliste subjectif, gonzo mais pas trop, LSD assisté, grosses doses encadrées, révèle en définitive une amnésie métaphysique et traumatique, de Ciel éternel et d’abus sexuel. Les chapitres rapides esquissent de familiers motifs ou pratiquent un aparté au passé, espionnage US du programme Stargate. On croise ainsi les EMI, les perceptions psi, des médiums et des fantômes, des médecins dubitatifs et des professeurs prosélytes. Fondamentale et non locale, irréductible à l’évidence des neurosciences, la conscience ne saurait décéder, a contrario du corps et du cerveau, désormais vide vaisseau. La lucidité terminale à domicile ou à l’hôpital dessine la clairvoyance ultime, libre à l’infini, in fine délestée des illusions et des limitations à foison.
Allix divise mort cérébrale et mort clinique, revisite les classiques, portes de Huxley ou persona de Jung, intuition de Descartes ou bardo du Tibet. Il revit aussi la disparition expéditive d’un ancêtre durant la dérisoire et dévastatrice Grande Guerre. Dépassant les protections et les prisons de l’inconscient, il déclasse l’ego dominant, ne le détruit cependant. La méditation remplace in extremis l’initiation et l’expérimentation. Le voyage achevé, enquête de quinze années, la vraie vie peut débuter, eau claire lavée de la boue de la réalité, le film collectif et intime enfin se finir, la projection, au sens psychologique et cinématographique, se suspendre puis s’interrompre. Ouvert via des funérailles, La Mort n’existe pas propose un épilogue de retrouvailles, boucle bouclée de l’autobiographique et du cosmique. Dans l’amour inhumain d’une indicible harmonie, revoici la trinité masculine à nouveau réunie, point d’orgue du récit dédié à la vie, guidé par l’originelle énergie. Que Luna (& Natacha) et le lectorat y croient ou pas, ce succès de librairie et de bibliothèque, guère révolutionnaire, écrit avec clarté, ne s’avère obsolète, rappelle que réside en chaque être un vide existentiel, que renforcent le rationalisme et le consumérisme occidentaux. Ceci ne suffit, l’âme inaltérable, probable ou véritable, aspire à davantage qu’à la folie furieuse ou sournoise de quotidiens outrages. Face à cette insanité constatée, celle pas si surnaturelle de la dématérialisation paraît dotée d’une respectable conviction, sinon d’une stimulante émancipation. En dépit des désaccords, des réserves, le voyage de quatre cents pages vaut la peine, tel tout ce qui nous allège, nous élève, nous excède.
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