Le Clan des McMasters : Le Sergent noir
Tout contre ta peau, pas de temps pour les sanglots…
En 1970, au cinéma, aux USA, on
pouvait par conséquent se permettre de présenter : 1) Une Indienne violée par
un Noir, 2) Une Indienne (la même) violée par un Blanc, 3) Un Noir (le même)
tabassé par des Blancs (les mêmes qu’avant) : il ne saurait s’agir de nostalgiser
ce ciné, seulement de démontrer une modification des mœurs et des imageries,
dialectique dynamique davantage que reflet figé (via l’univocité). Western
méconnu, Le Clan des McMasters (Alf Kjellin, 1970) carbure donc
au(x) racisme(s), au sexe sauvage, « interracial » comme ils disent
outre-Atlantique, de surcroît catégorie classée X, fichtre, ravale ton
républicanisme, neutre onaniste, accessoirement à la paternité (par
procuration), à la propriété (tant pis pour Proudhon), à l’absence de pitié (et
de pardon, et de solution). Au sortir de la guerre de Sécession, Civil War entre Nord et Sud, Bleus et
Gris, maîtres et affranchis, je schématise à dessein, je passe sous silence les
intéressés desseins, dissimulés sous le voile immaculé des bonnes intentions de
saison – en résumé, le capitalisme industriel élimine la concurrence de
l’esclavagisme manuel, amen –, un
soldat revient sur ses pas, chez lui, au milieu de ses ennemis, menés par un
vétéran very vénère, lui-même en
uniforme, d’un avant-bras amputé, point de sa rapacité, de sa xénophobie
assumée, assénée, proférée avec une persistance forçant l’irrespect (d’un Blanc
offrant, refusant, secourant). Opus
indépendant, un peu paupérisé, au Nouveau-Mexique tourné, par son distributeur
US apparemment (dé/re)monté, Le Clan des McMasters ressemble
assez à un téléfilm friqué, à une moralité mécanique, massive, démonstrative.
Mais ce métrage soigné, impersonnel, mérite néanmoins son exhumation pour une
principale raison – il évite le double écueil du manichéisme et de l’angélisme,
maux de militantisme.
Lorsqu’il abuse de son épouse
improvisée – le cinéaste situe l’assaut sur un sommet déserté, ensoleillé, venté, de géométrique manière capturé, au moyen d’une échelle de plans syncopés, éloignés/très
rapprochés, volontairement divisée, matérialisation de l’attraction/répulsion,
mise à distance pudique de l’outrage (du racolage) pas d’un autre âge, mise en
image(s) de sensations contradictoires d’isolement, de promiscuité, de
dissociation, d’immensité, comparez tout ceci avec la longue et scandaleuse
séquence domestique à double détente des Chiens de paille (Sam Peckinpah, 1971)
–, le héros devient vite un anti-héros, sinon un salaud, il passe fissa du
statut de victime à celui de bourreau, il succombe de son plein gré enragé à un
déterminisme d’animalité autant que de société. Pour le formuler différemment,
crûment, il se vide les couilles remplies par quatre années de conflit, passées
à risquer sa (sur)vie, il (se) défie (de) la femme donnée par le frère, acte
disons culturel doublement discutable car patriarcal et fatal, réificateur,
propice à produire sa fureur et son haut-le-cœur, en raison de sa trop grande
proximité avec le passé (des plantations d’abjection), faisceau de (mauvais)
motifs cristallisés par ces précédentes répliques explicites, dites à la
suite : « Tu es mon esclave », « Je suis ta femme ».
Si la lectrice féministe s’effarouche de ce récit, le reste va
l’effrayer : la résiliente se relève, marche vers l’agresseur retiré,
d’elle, de l’endroit où l’atroce se déroula, pose sa main sur son bras, il lui
tourne le dos, se secoue comme au contact d’un serpent, comme si lui-même
s’avérait souillé par l’irréversible commis, écœuré par son inexcusable frénésie.
Plus tard, heureusement, (re)viendront
la tendresse, la confiance, la complicité, une étreinte intense, apaisée, sise
de façon symbolique dans le sillage d’une parure de mariée apportée, d’un bain (presque)
partagé, lave-toi de mon péché, laisse-moi entre mes bras de repenti te serrer,
à travers ta serviette mouillée, au sol tombée, autorise ensuite ta peau à
peut-être me rédimer. Certes l’ensemble ne se hisse à cette lucidité (pas si
désespérée) de tumulte adulte, nitroglycérine que notre médiocre modernité
politiquement corrigée n’envisage même pas un instant de manier, amen, bis. Cependant ce film imparfait, mal-aimé, oublié, bénéficie d’un
bon casting choral – mentionnons les
noms de Nancy Kwan & Brock Peters, couple choquant et attachant, de Burl
Ives & Jack Palance, adversaires sincères, des Carradine père puis fils,
John & David, le curé + le basané – même si, aujourd’hui, le croisement de red face
pour Miss Kwan l’Eurasienne, pour
Carradine Jr. le cumulard « métis » (de Kung Fu, souvenez-vous) rendra livides les porte-parole auto-proclamés des supposées « minorités »
concernées, olé. Ils devraient aussi apprécier à sa vraie valeur le constat
comique et tragique du personnage incarné par David, qui ose lancer (tancer) à « l’homme
de couleur », maladresse désormais démodée, tant mieux, un savoureux
« Tu es un Blanc ! », c’est-à-dire, de son point de vue de
voleur pragmatique, in extremis stratégique, venu le sauver
avec les siens, sorte d’inversée cavalerie, ironie caractéristique du « révisionnisme » du ciné US des seventies, un petit propriétaire
obstiné, obsédé, bien que digne d’être fréquenté, défendu, parce que généreux
et juste.
Aux États-Unis désunis, la guerre des
« races », par ricochet des classes, ne paraît pas finie, ni
maintenant, ni voici cinquante ans. Le Clan des McMasters témoigne
de la césure, de l’imposture (quelle infériorité ? quelle
supériorité ?), des tensions sociales et sexuelles, qui bien sûr nous
ramènent (en arrière, mon frère) à Naissance d’une nation (David Wark
Griffith, 1915), avec un crochet vers le pionnier Les Cent Fusils (Tom
Gries, 1969), où, déjà, Raquel Welch, déguisée en Indienne, fricotait avec le Black Jim Brown. En dépit de sa
mélancolie, de son amertume, de sa radicalité datée – le blondinet de l’épicier
demande à son papounet culpabilisé la permission d’assister au lynchage, quel
dommage, et pas de happy ending œcuménique, rassurant, sorry –, de son renversement des rôles
d’intertextualité – dans Du silence et des ombres (Robert
Mulligan, 1962), Brock Peters jouait un innocent accusé du viol d’une Blanche ;
ici, il viole vraiment un Indienne, diantre – The McMasters n’incite
pas au nihilisme, à la déprime. Au départ de l’histoire, le
« patron » et son fiston (adoptif, associé) s’affrontent, se
sourient, éclatent de rire à proximité du pire et se prennent dans les bras,
moment entre mecs sympa, sans pathos ni démagogie. Oui, il suffirait d’un rien,
de si peu, pour que ces hommes et ces femmes vient heureux, harmonieux, pour
qu’ils cessent de penser que la terre (majuscule optionnelle) leur appartient,
plutôt qu’ils lui appartiennent, philosophie d’écologie. On s’y met, baby ?
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