Princesse Tam Tam

 

Un métrage, une image : La Sirène des tropiques (1927)

Dépourvue de la présence précieuse de son interprète principale, cette exhumation, désormais hors-saison, se résumerait à un soigné, estimable, mélodrame sentimental et racial, rajouteraient les Ricains, n’en déplaise à l’égalitarisme républicain. Doté de la beauté, de la sensualité, de la vitalité, de la disponibilité, de la bonne humeur, de la douceur et du cœur de Joséphine Baker, le métrage d’un autre âge, du temps des colonies, presque complexe et tout sauf joli, prend, de toute évidence, une dimension différente. Assisté d’un certain Buñuel, bientôt au boulot sur Un chien andalou (1928), toujours assorti du suicidaire Batcheff Pierre, Étiévant entrecroise de Mallet-Stevens l’Art déco, la valeureuse « sauvagerie » de Rousseau, l’exotisme selon Dekobra, le drame mondain à la Bernstein. Tout ceci, ainsi dit, semble beaucoup, au vu du contexte surtout, car La Sirène des tropiques se passe en partie aux Antilles, inclut un clébard appelé Bamboula, oh là là, Joséphine s’y affiche un chouïa topless, peste, un paquebot de métropole l’héroïne intrépide rejoint à la nage, les « migrants » de maintenant n’en demandent pas tant, car tombée amoureuse d’un Blanc, vous m’en direz tant. Comme si la somme ne suffisait à faire souffrir les modernes sensibilités, a fortiori antiracistes et féministes, on l’avise en sus, pendant une séquence de course-poursuite contemporaine du courant slapstick, charbonnée, enfarinée, fichtre ! « Toute noire » et « toute blanche », vitupère une passagère, la forte et fine Joséphine s’affirme en séduisant danger, en « corps étranger » par la caméra, parfois de façon surprenante épaulée, magnifié, quelles jambes, quelle élégance. Colonial et non colonialiste, cf. le violent, violeur et voleur Alvarez, chrétien et non raciste, cf. le final « sacrifice » physique, insuccès privé + réussite publique, le film surfe sur la vague de la Revue nègre, Mademoiselle Baker débute donc au ciné, en Papitou d’après son Pepito d’impresario-gigolo rebaptisée, au sein jamais malsain d’une sorte d’autofiction prophétique, puisque déjà au service d’une foule d’enfants et mannequin point mesquin. Porter en public, pour un numéro chorégraphique, une ceinture de bananes, on comprend pourquoi, à présent, ça ne passe pas, il ne faudrait pourtant, pour autant, décider de passer à côté de ce « véhicule », en vérité destiné à immortaliser le talent attachant de sa star pas seulement noire, artiste cosmopolite et capable de résistance, à double sens, depuis l’enfance, au nom de la France, accepté puis conduit par elle-même avec un dynamisme lucide, ni par narcissisme, ni par cynisme. Victorieuse du rival, assassine magnanime, Joséphine file, reste sur rétine cinéphile.   

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