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Affichage des articles du janvier, 2018

Taste of Excitement : Eva

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Jeanne Moreau relookée par Joseph Losey ? Une disparue gracieuse et valeureuse. Elle roule en rouge Mini, Eva Renzi, elle roule sur une route étroite des Alpes-Maritimes, elle roule vers l’Italie terrorisée de L’Oiseau au plumage de cristal . Plus tard, elle apparaîtra dans un Doillon, bon, même dans Papa Poule à la TV, ouais, plus tard, elle succombera à un cancer, peut-être de fumeuse, plus tard j’écrirai sur elle, en 2018, à propos d’un film qui sent la fin des années 60, la fin de la fausse insouciance, la French Riviera perçue par un regard britannique. Don Sharp, récemment croisé, enneigé, à l’occasion de Bear Island , prend un bain de soleil en bord de mer, insulaire presque incognito, peu de choses à lire en ligne, personne pour le confondre avec le Hitchcock de La Main au collet , malgré un décor raccord, un argument de suspense et un glamour pour ainsi dire naturel, au cours d’une production à petit budget riche en production values , comme disent les inside men

Les Mutins du Yorik : Les Marins perdus

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Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Georg Tressler. « Avoir faim, c’est humain. Être sans papiers, c’est inhumain » : trois ans après le surfait Les Demi-sel (1956), Tressler retrouve Horst Buchholz pour une croisière qui ne s’amuse pas, qui peut se résumer par la double réplique supra , dont l’actualité se vérifie aujourd’hui, y compris dans la langue, sous forme de substantif. Sous ses allures de série B soignée, à l’allemande, entre mecs, tant pis pour la juvénile et jolie Elke Sommer, mémorable chez Mario Bava, par deux fois, ici entrevue au début, pieds nus, prénommée Mylène, chef de gare de dernier regard, d’hospitalité, de soleil, se dissimule à peine, en subjective vérité, une fable kafkaïenne sur le fatum . Comme Joseph K., Philip Gale, délesté de son livret de navigateur, d’une poignée de billets, par une prostituée rusée, taciturne, cesse d’exister, de décider, subit un sort acharné, embarque à bord d’un « tombeau flottant », cf. le t

Pollyanna, Pauvre petite fille riche, La Petite Américaine : Prière pour Mary Pickford

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Oh Mary, si tu savais tout le ciné que l’on défait. They tied the knot together Groom and bride couldn’t hide their pleasure They tried to pick fair weather But love died didn’t last forever Katie Melua, Mary Pickford , Pictures (2007) Miss Gladys Smith, en janvier 2018, dis-moi, qui se souvient de toi ? Je viens de passer quatre heures en ta compagnie, cela m’autorise à te tutoyer, en toute amitié d’outre-tombe. Je viens de visionner trois de tes films, trois mélodrames muets réalisés par Paul Powell, Maurice Tourneur, Cecil B. DeMille, présentés par Patrick Brion, bon, rassemblés sur un DVD soldé, dans des copies à peine passables, spécialité de Bach Films, éditeur d’habitude redoutable. Je viens de voir un documentaire supplémentaire de cinquante minutes consacré à ta vie, dépourvu de présence masculine, hors la voix off narratrice. Tu le sus parfaitement, il arrive dans une vie un moment où l’on s’écarte des vivants désolants, où l’on fréquente les morts

Le Sang des bêtes : Abattoir 5

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Fonction heuristique du cinéma, au risque de couper l’appétit à la cinéphilie jolie.        Dans l’envoûtant Les Yeux sans visage (1960), Pierre Brasseur, chirurgien meurtrier d’une fille défigurée, finit dévoré par ses propres chiens délivrés. Dans Le Sang des bêtes (1949), point de chenil ni d’assistante dévouée, énamourée, moins encore de revanche d’espèce, rien que la rationalisation, la banalisation, d’une extermination, comme les camps du même nom, car ce court film courageux, malicieux, ose se souvenir d’Auschwitz et se confronter à une difficile figuration. Dès l’innocente brocante de Vanves, on pense aux biens spoliés, rassemblés en pyramides dans des pièces vides, recyclables ou pas. Le métrage de Franju nous apprend d’ailleurs que les sabots deviennent engrais, que des religieuses, cadrées de dos, récupèrent les gélatineux amas de graisse, Dieu sait ce qu’elles en font ensuite. En quatre temps ou stations, presque au sens christique du terme, nous assistons sidér

Sandra : Crime au cimetière étrusque

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Vengeance ou enfance ? Clytemnestre ou Claudia ? Luchino, malgré des défauts. Quand Visconti s’essaie au fantastique, cela donne Sandra . Mais dans l’Italie du « miracle économique » supposé démocratique, de la société de consommation, du Fanfaron , matez la route introductive, le surnaturel se met en veille, il se voit supplanté par la psyché, à la fois miroir et esprit. Le comte coco joue de la polysémie du fantasma transalpin, ternaire, fantôme, fantasme et donc image. On s’attend à un drame de chambre, à coucher ou à gaz, à une relecture 2.0, à l’ombre des fachos, de la tragédie antique : on se retrouve dans une maison-musée-mausolée davantage située du côté de Tennessee Williams que d’Eschyle. Idem pour la cara Cardinale, bientôt Madame Franco Cristaldi, qui produit, plutôt statue au dos nu que muse d’Éros. Déceptif, ou divergent, à défaut d’être déviant, Sandra retravaille le triangle de vaudeville de Ossessione , domestique la veine méta de Bellissima , actualise la

L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique : L’Invention de Morel

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Benjy, pardonne-moi ma familiarité respectueuse, camarade, à l’infini, aujourd’hui. I Si le ciné vous intéresse, vous connaissez, même de loin, Walter Benjamin, entre autres choses signataire de ce petit essai assez surfait, retravaillé sans cesse, lu par votre serviteur dans la traduction de Pierre Klossowski, un familier du procès de Gilles de Rais, parue en revue en 1936, et dans la version définitive, idem traduite, de 1939 sourcée UCLA, certes un brin étoffée, avec le concours anecdotique de Paul Valéry, guère différente cependant, ne transformant rien d’essentiel des postulats ni des thèses. Les textes possèdent une clarté suffisante, disons allemande, pour que je m’épargne le pensum de les résumer, de les commenter, de les paraphraser. Tout ceci se lit vite et, ma foi, agréablement, tant pis pour les portes enfoncées, l’analyse orientée, l’optimisme assumé. En 1940, dans un coin paumé des Pyrénées, le penseur se suicide à la morphine au lieu de passer en Espagne.