Dance of the Dead : Le Bal de l’horreur
Une révolution à l’horizon ? Plutôt des zigotos qui (m)astiquent nos
zygomatiques.
Sorti en 2008, Dance of the Dead arrive
bien après Le Retour des morts-vivants (O’Bannon, 1985), poursuit Shaun
of the Dead (Wright, 2004) et précède Warm Bodies (Levine,
2013), trilogie sympathique autant qu’anecdotique. Les comédies avec zombies, l’adolescence lycéenne à la
sauce US, on commence à (re)connaître, merci. Ni Romero ni De Palma, moins
encore John Hughes, davantage héritier de Sam Raimi, qui logiquement acquit les
droits de distribution en DVD, Gregg Bishop signe cependant, en artisan
polyvalent, un métrage relativement agréable, qui contrairement à l’argument ne
développe pas le climax de Carrie
au bal du diable et se fiche du filigrane politique, sociétal. Mais,
puisque l’esthétique ne saurait jamais s’exonérer du politique, puisque le
cinéma, y compris celui classé de divertissement, ne cesse de refléter une
psyché, individuelle et collective, par ses modes de production et l’ensemble
de ses représentations, même les plus codifiées par le « genre »
arboré, Dance of the Dead peut se lire, heureusement avec le sourire et
sans penser au pire, en portrait apologétique d’une Amérique à main armée,
manichéenne, maudissant la contamination du nucléaire, responsable en l’espèce
de résurrections de saison. Ici, un bon zombie
équivaut à un cadavre aussitôt renvoyé ad
patres, comme naguère les Amérindiens au temps des westerns désormais mal-pensants. Ici, le seul Noir aperçu d’un peu
près commet une blague salace et biberonne de la bière, de quoi rendre livides les
défenseurs des droits civiques au ciné à la peau sombre. Ici, un coach traumatisé par l’instructeur de Full
Metal Jacket finit par faire d’un glandeur gentiment insolent un mec,
un vrai, entendez capable de dégommer du macchabée, surtout après visite d’un
arsenal domestique au beau drapeau sudiste.
Le réalisateur, lui-même originaire
de cette partie des États-Unis, ne semble guère coupable de racisme, de
militarisme, même inconscients, et délaissons avec nausée les procès
politiquement corrects aux inquisiteurs patentés. Néanmoins, ceci interroge un
brin, a fortiori lorsque l’héroïne WASP
entame une prière à plusieurs, certes interrompue-raccourcie par la vanne d’un
ami. Quant au romantisme revendiqué, assumé, nulle surprise chez un amateur
d’horreur, votre serviteur confirme, sentimental radical, il se cristallise au steadicam circulaire durant le fameux
bal de promo, quitte à ressembler à un ersatz mal éclairé, mal monté, du
vertige ivre, ravissant et poignant, ressenti par Sissy dansant avec Tommy. Ces
réserves posées, Dance of the Dead comporte deux ou trois idées, deux ou trois
instants, qui lui donnent du mordant, terme adéquat, qui justifient son capital
de plaisir, quand bien même l’adoubement œcuménique des critiques spécialisés
sidère, mettrait presque en colère, à force de compliments et d’amnésie. Je
pense ainsi au prologue dans le cimetière en plein air, en plein jour, nanti
d’un fossoyeur impassible chiquant et crachant tel autrefois Eastwood selon Leone, introduction très réussie au bord du muet, exposition très maîtrisée,
comique, de la situation, exemple exemplaire, appréciable, d’un comique de
situation délicieusement morbide. Je pense aussi à la musique rock adoucissant les mœurs et les
humeurs des morts-vivants se trémoussant doucement, clin d’œil à ce moment
amusant et bouleversant dans Day of the Dead, quand le cobaye se
met au walkman. Je pense encore à
l’abri de fortune, à l’aspect fortuné, se révélant finalement un salon
funéraire évidemment peuplé de pensionnaire illico
réanimés par les émanations atomiques toxiques.
Je pense en outre à la scène de
course de l’athlétique cheerleader réquisitionnant
le volant d’un corbillard secourable. Je pense enfin au baiser littéralement
dévorant échangé par l’intéressée avec son amoureux dans les toilettes
désertes. Dance of the Dead, film vraiment indépendant, porté par une
énergie communicative, un soin impersonnel, tant pis, une modestie exempte de
paresse piteuse ou de ressassement navrant, propose par conséquent quelques
pépites valant son visionnage, de surcroît pour un prix modique et au moyen
d’un disque aux suppléments exhaustifs, d’ailleurs disponibles en VO sur le
site du cinéaste. Le cinéphile y découvrira, pourquoi pas, à notre suite, deux
courts métrages également recommandables, le premier en relecture rapide et
bien conduite des Oiseaux, explicitement intitulé The Birds of Anger, un
salut au passage aux raisins amers des John, Ford & Steinbeck, le second, idem aimable, vivace Voodoo,
tourné à USC, en noir et blanc, consacré à une gamine guère magnanime adepte de
poupée percée d’aiguilles. Avec sa moralité rassembleuse, union des marginaux homophobes
point suprémacistes, quoique, des nerds
du club de SF citant Tolkien, des
survivants en costards et diadème idoine, tous mis au service de la communauté,
démonstration d’héroïsme d’occasion, transformation express en adultes au cours du tumulte, in extremis remerciés dans un bus disons scolaire par la perspective
de s’enfourner en chœur rasséréné de bons pancakes,
Dance
of the Dead ne change pas la face déjà bien défigurée, double
acception, du cinéma horrifique, royaume malgré lui, avec sa complicité de
puérilité, des épiciers, des cyniques, des nostalgiques, à l’image des
filmographies mainstream
contemporaines, à sa propre échelle.
Doté, à défaut d’un regard, d’un
discours, d’une violence avérée, sublimée, d’un physique de footballeur
étasunien et d’un professionnalisme irréprochable, fréquentable, Gregg Bishop,
ni évêque de l’explosion de tête ni cardinal de la tripaille, emballe le tout
avec peu de sous mais un amour de la chose bien faite décidément sincère.
Rajoutons qu’il réutilise un tube de la puissante Pat Benatar, alors dans sa
panoplie surprenante d’aviatrice vintage
rêveuse, mille fois préférable aux bâtards bavards de Quentin Tarantino déguisé
en anti-facho, et le transforme en romance autarcique, en pause rose bonbon au
milieu du sang assombri des cannibales invités au bal. Si vous disposez d’une
heure et vingt minutes un vendredi en soirée, histoire de vous délasser, de
vous débarrasser de vos soucis de la semaine, n’hésitez pas à glisser avec Dance
of the Dance sur la piste de danse de votre écran bon enfant, mouvement
un chouïa régressif, d’accord, à des années-lumière des chorégraphies de la
caméra de Minnelli, de Michael Jackson relooké par John Landis ou de
l’anarchisme sarcastique d’un master of horror dénommé Tobe Hooper, OK, malgré
tout pas si mal, pas trop long ni con, et tout bien considéré largement
supérieur à la danse de stars
dérisoires un samedi soir sur une chaîne française. Dans L’Orage, l’incorrigible
Régine Deforges, elle-même éprise de romantisme enténébré, le seul qui vaille,
qui défaille, invitait à copuler entre les pierres tombales. Plus modéré, plus
convenu et consensuel, le grand Gregg, je parle en centimètres, pas en
ambitions, nous incite à le suivre au bout d’une nuit très américaine, ouverte
sur la survie, sur le(s) couple(s), sur les pères et les fils, même par procuration,
in fine complices, apaisés. Pour
prendre la vie et la jolie Lindsey au sérieux, il fallut que Jimmy, dépourvu de
pizza, de papa, passe par une comédie gory
en forme de survival festif, par une
lutte en effet enflammée avec un autre sans visage, sans avenir, pure menace abstraite
et pure promesse d’anéantir : l’horreur fait bel et bien grandir et sa
grandeur réside dans cet élan, entrevu, enlacé, dans Dance of the Dead,
allez.
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