Bear Island : De l’or pour les braves


Aucun ours en vue et rien ne vaut la Skull Island de nos enfances.


Bear Island – rebaptisé en français Le Secret de la banquise, tant pis pour la pyramide de Barry Levinson – débute dans l’immensité glacée de The Thing, tourné itou en Colombie-Britannique et en Alaska : un skieur à la James Bond, emprunté à L’Espion qui m’aimait, sorti deux ans plus tôt, se fait écraser en replay par un drôle de véhicule amphibie muni d’un gros ventilo. À défaut de SF paranoïaque, il faudra se contenter d’un whodunit sur fond de nazisme, adapté d’un titre d’Alistair MacLean, notamment auteur des Canons de Navarone et de Quand les aigles attaquent. Comme n’importe quel film catastrophe de la décennie 70, le sage métrage de Don Sharp, dont on visionna naguère en DVD le sympathique et très anecdotique Masque de Fu-Manchu, avec son Mister Lee idem moustachu, comporte sa cargaison de stars en mauvaise posture, non plus victimes du sort incertain ou de l’hubris humaine mais d’une chasse au trésor en territoire arctique et cosmopolite. Vanessa Redgrave, Christopher Lee, Donald Sutherland, Richard Widmark montent à bord, flanqués de Barbara Parkins, vue dans La Vallée des poupées, de Lloyd Bridges, remarqué dans Le train sifflera trois fois, et de Lawrence Dane, croisé dans Scanners, direction une île norvégienne devenue cimetière de sous-marin aryen. Dans ce décor de mort et de passé pas dépassé, puisque Lansing y cherche le cadavre de son père allemand décoré d’une croix de fer à la Peckinpah, in fine retrouvé au creux du Bateau de Petersen, squelette menotté pour son humanisme économique, inutile de traquer les échos y compris assourdis des Diables, du Cauchemar de Dracula, de Ne vous retournez pas, de La Toile d’araignée, et moins encore du contemporain, disons davantage canadien, car sans financement britannique, Chromosome 3.



Tandis que les esprits s’échauffent à débattre en autarcie sur le changement de climat déjà là, gare aux famines à venir, avec responsabilité possiblement attribuée à la rapacité des Russes, détournement de courants inclus, les cœurs du scientifique mutique et de la doctoresse psy se réchauffent après une première rencontre réfrigérante, héritage discret de la « comédie romantique » d’abord antithétique, amen. Sharp, trop peu pointu dans son écologisme pionnier, pratique plutôt l’Ecologia del delitto à la Mario Bava, supprimant régulièrement ses personnages et se permettant d’amusants clins d’œil, telle cette traînée de sang au coin de la bouche de Sir Christopher à l’agonie, alité, un instant redressé à la Nosferatu, avant d’expirer en Polonais dépourvu de pieu, le bienheureux. Embarqués dans le coûteux naufrage commercial, Robert Farnon livre une partition sérieuse et Alan Hume éclaire joliment l’aveuglement de l’enneigement in situ ou le clair-obscur des intérieurs du village hitlérien hanté saisis en studio à Pinewood, bientôt requis sur les plateaux des Yeux de la forêt, du Retour du Jedi, de Runaway Train, Lifeforce, Un poisson nommé Wanda, en sus de trois volets des aventures de 007 période Roger Moore. Le scénariste-réalisateur abandonne, allez savoir pourquoi, l’élément méta du roman, équipe de tournage sauvage à la King Kong, et soigne ses scènes d’action, scansions-respirations d’une œuvre sinon un brin trop longue, lente et bavarde. Avec ses défauts évidents de rythme, de récit et de caractérisation, avec son ennui poli affiché par une distribution cependant professionnelle, avec son œcuménisme au bord du révisionnisme de coda, Bear Island possède certes plusieurs handicaps.



Néanmoins, selon la formule critique consacrée, « il se suit sans déplaisir », parfois même avec un contentement modéré, grâce à son artisanat assumé, son spectaculaire mesuré, son filigrane de mélodrame filial. La guerre, près de trente-cinq ans après, se poursuit, en effet, refroidie par le cadre et le contexte. À l’instar du film de Carpenter, celui de Sharp continue à procéder d’un réalisme cinématographique sous peu définitivement enterré, au moins sur les écrans réservés au « divertissement », par le lucratif Lucas et l’espiègle Spielberg. Une tension inconsciente entre l’immobilité du linceul immaculé, désormais presque une relique, réchauffement climatique oblige, et les mouvements-manigances des insectes bipèdes, silhouettes symboliquement congelées, lui confère un certain dynamisme dialectique, associé à un esprit de dérision hustonien, cf. Le Trésor de la Sierra Madre, dans sa peinture d’une vanité dorée – au final, personne ne semble emporter ni plus se préoccuper des lingots falots. Par ailleurs, d’autres petites pépites parsèment ce dépaysement sachant mettre en valeur la naturelle cinégénie de la neige. Citons ainsi une vraie-fausse noyade introductive avec hélicoptère, une discussion joyeuse au sujet de la sexualité hyperactive de la lotte, une avalanche provoquée, expressive via le découpage et le montage, une bonne séquence de boxe à main nue, un effondrement d’antenne radio et une explosion de moteur + générateur, une poursuite en scooters et « hydrocopters », un méchant démasqué puis exécuté au pistolet de secours, torche vive illico sautée à l’eau.



Bien sûr, tout ceci ne saurait suffire à faire un grand film, ni même un film réussi, et pourtant Bear Island parvient à napper son odyssée languissante d’une culpabilité partagée, celle, effrontée, des héritiers du Parti, celle, repentante, préoccupée de rétribution, du patriarche joué par Widmark, ancien compromis tourmenté en mineur par sa conscience, celle, enfin, du biologiste marin qu’incarne Sutherland, gosse grandi aux États-Unis, nourri de films manichéens, qui s’interroge sur les crimes de son paternel et in extremis lui pardonne, lui sourit, le médaillé réinventé en « résistant » rédimé par sa désobéissance, origine de page tournée, inhumation de nouveau départ enlacé par la belle et si compréhensive Vanessa. Rappelons au passage que la Seconde Guerre mondiale en Norvège n’inspira point à son tour l’aimable Anthony Mann, enlisé en 1965 dans l’académisme similairement et supérieurement insipide des Héros de Télémark, piètre épitaphe, hélas. Le lecteur cinéphile se consolera par conséquent avec l’émouvant Les Révoltés de l’île du Diable de Marius Holst, évitera le raté The Troll Hunter et se divertira ou pas avec les nazis zombies de l’explicite diptyque Dead Snow. Rajoutons en conclusion que demeure donc un moment de cinéma assurément mineur, voire dispensable, dans lequel malgré tout puiser un mince parfum de dépassement, de romance, de souvenance, apprécier avec clémence une littérale réunion de saison, retrouvailles avec des visages et des paysages précieux, à moitié enfouis dans l’oubli, dans l’amnésie, dans la nuit, polaire ou européenne.


                         

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