Taste of Excitement : Eva


Jeanne Moreau relookée par Joseph Losey ? Une disparue gracieuse et valeureuse.


Elle roule en rouge Mini, Eva Renzi, elle roule sur une route étroite des Alpes-Maritimes, elle roule vers l’Italie terrorisée de L’Oiseau au plumage de cristal. Plus tard, elle apparaîtra dans un Doillon, bon, même dans Papa Poule à la TV, ouais, plus tard, elle succombera à un cancer, peut-être de fumeuse, plus tard j’écrirai sur elle, en 2018, à propos d’un film qui sent la fin des années 60, la fin de la fausse insouciance, la French Riviera perçue par un regard britannique. Don Sharp, récemment croisé, enneigé, à l’occasion de Bear Island, prend un bain de soleil en bord de mer, insulaire presque incognito, peu de choses à lire en ligne, personne pour le confondre avec le Hitchcock de La Main au collet, malgré un décor raccord, un argument de suspense et un glamour pour ainsi dire naturel, au cours d’une production à petit budget riche en production values, comme disent les inside men du cinéma. Dans Taste of Excitement, on aperçoit David Buck, idem victime du Crabe, mari de la hammerienne Madeleine Smith, Paul Hubschmid, l’architecte du Tigre du Bengale + Le Tombeau hindou, par ailleurs Monsieur Renzi à la ville, le Peter Vaughan du Village des damnés, des Chiens de paille, de La Maîtresse du lieutenant français. George Willoughby produit, peu avant Réveil dans la terreur ; Paul Beeson éclaire, bientôt à l’ouvrage sur le transalpin Starcrash ; Raymond Poulton monte, débarrassé de Barabbas, vite embarqué sur deux Bond, Vivre et laisser mourir, L’Homme au pistolet d’or. Quant à Keith Mansfield, à ne pas confondre avec le David homonyme, partenaire de Michael Cimino & Arturo Ripstein, auteur de BO ressuscité par Tarantino, arrangeur pour Dusty Springfield, il accompagne de ses notes ad hoc cette chasse à la femme qui en sait trop, qui pourrait être l’héroïne d’un giallo par Mario, qui, épaulée d’un peintre célibataire de nus féminins, va tenter de découvrir qui veut l’occire, gibbon pas con, moustachu armé ou traîtresse assistante à lunettes… 


Film de vacances, film anglais en France, film de romance au filigrane féministe foutrement soft, Taste of Excitement s’avère au final un ouvrage d’espionnage, à base « d’embargo de matériel stratégique », « d’équilibre en péril du Moyen-Orient », et autres « absurdités politiques ». La fille, in fine, ne savait rien, vide du personnage à l’image du métrage. Selon Le Corniaud, un diamant camé se dissimulait dans une Cadillac ; ici, le carburateur de la Cooper, Seigneur, abrite un document dit compromettant. Le cinéphile, même anglophile, se fiche du pitch, sourit avec indulgence aux péripéties d’adolescence, cherche sa pitance adulte ailleurs, mon cœur. Le deuil, la maladie, la mort, l’inguérissable détresse du monde, finiront par tous nos enterrer, nous détruisent déjà, à petit pas – raison supplémentaire pour vouloir s’en évader via le ciné, sans jamais y parvenir. Car le cinéma s’immisce dans cet épisode élargi de, disons, Chapeau melon et bottes de cuir, série sur laquelle, souvenez-vous, sévit l’artisanal Sharp. Car le spleen du Sud, cette mienne mélancolie intime, se manifeste malgré la légèreté, l’humour, l’amour, le sang hors-champ, les émois en mouvement des amants. Sans Eva, le film ne tient pas, ni debout, ni la route, ni la distance. Avec Eva, cela me va, au moins durant une heure trente. Pour son savoir-faire, son sourire, sa beauté athlétique de mannequin, modèle, muse ; pour le charme de son visage d’enfant sage, triste et gaie, de sa voix qui invite au lit et in extremis se moque de la vérité des sentiments sous hypnose, de sa bouche offerte, de ses fesses contre une sombre fenêtre, je veux bien vous inviter à découvrir ce titre inoffensif. Faisons comme si l’été durait toujours, mon amour, comme si les cellules affolantes, affolées, ne se démultipliaient pas dans les poumons, comme si au casino, Bond bis, on tirait le bon numéro. Un grand film doté d’une grande actrice ? Un divertissement assez divertissant, frémissant d’une femme fréquentable. 


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