Ariane : The Dark Haired Girl


Sous-titre piqué à l’épistolaire Philip K. Dick pour l’esquisse d’un être furtif.


Une coiffure presque à la Louise Brooks – ou en mode Uma Thurman relookée par Quentin Tarantino – et un visage, des mains, un corps comme empruntés à Egon Schiele : voici une jeune femme qui possède sa propre beauté, qui ne ressemble qu’à elle-même, qui mérite bien plusieurs lignes de remerciements d’abonnement et surtout de mise en valeur. Guère selfish, la Miss hisse le selfie au rang d’art artisanal, chaque autoportrait en porte entrouverte sur son intériorité, chaque mise en scène enfin débarrassée de l’habituel narcissisme inoffensif ou obscène. Aspiring to be a freelance model for collaborations lit-on sur son Tumblr et son compte Instagram nous désarme par sa devise fassbinderienne, The more you sleep the more tired you get. Ici aussi elle se définit en fictional character – de la fiction, le lecteur curieux en trouvera dans ces images troublantes et sages postées à la manière d’un musée imaginaire. Il découvrira en outre une saveur documentaire, car l’héroïne numérique ne rechigne pas à se dévoiler voyageuse et malicieuse, par exemple dans sa cuisine. Elle sourit peu, elle semble sourire de moins en moins au fil des ans et des saisons, et nous ignorons pourquoi, ou alors nous le savons trop bien, nous qui la regardons à distance, à proximité de sa peau devinée à fleur de peau. Cependant, quand elle sourit, sa douceur irradie, oh oui ! Les tenues se multiplient, les espaces se succèdent, les amies s’aperçoivent, CV iconographique d’une fille en train de grandir, de mûrir, de s’assombrir, traversée des frontières et des écrans munie d’un passeport US. Du romantisme à l’ère du cynisme ? Bien sûr, et tant mieux. La lectrice de Charlotte Brontë & Sigmund Freud porte une chemise immaculée tandis que son regard se reflète au miroir, dédoublée en claire obscurité.



Son univers on line s’abreuve à la peinture, à la photographie, au cinéma, et tout cela, on invite volontiers à l’explorer per se. Dans la sélection effectuée pour cet article, elle apparaît sur fond de route américaine, very lynchienne, sous un ciel irréel, les yeux fermés, les bras ballants, plantée au milieu du cadre et du chemin. Ailleurs, la nature poursuit son murmure autour de sa silhouette élégante, étonnante, arbre de sauvageonne selon Helmut Newton ou fleur artificielle dans un verre posé sur le flou d’une pose pensive, harmonie orange au calme étrange. Son bras gauche vient la masquer au-dehors et au-dedans, chorégraphie figée au style gracile, mais elle se dissimule à moitié afin de mieux se montrer, sans rien démontrer, sans rien imposer, sans rien revendiquer que sa présence d’absente intense saisie pour l’éphémère éternité dans sa nudité de doigts bagués, de poignet à bracelet, de cou à collier, d’oreilles à boucles argentées. Une contre-plongée dramatise ses traits encore juvéniles, la transforme en créature d’inquiétude, sinon d’effroi, femme au bord de la fêlure, animal à la bouche sanguine immobilisé par le cliché, par ce qu’il révèle d’elle-même au sein d’une double composition, graphique et diégétique. La persona antique, comique ou tragique, finit toujours par faire s’afficher la vérité de l’acteur, du cœur, du magnifique malheur, et Ingmar Bergman, croisé supra, ne le démentira pas, peintre de féminités divisées, fusionnées. Avec ses bas résille, ses escarpins et son mur rougis, elle ressemble à une grande poupée courbée par les limites de l’image, écho coloré aux ténèbres transgenres de Dario Argento et aux mannequins utérins de Hans Bellmer. Peut-être la plus belle photo la donne à voir, voire à caresser, en chemise de nuit virginale et vintage, sa taille élancée ramassée au sol entre le V de ses genoux, quasiment un clair-obscur rempli de repli, de superbe usure, de silence dense.



Un vrai mystère suscite une tendresse tacite et donne envie à la fois de la présenter au monde entier, de la garder pour soi, telle l’allumette illusoire, féerique et triste de la gamine marchande d’Andersen. Finalement, tout ce que l’on publie sur la page virtuelle s’apparente à un feu, à un phare, à un message dans une bouteille brisée, aux destinataires incertains. Moins puritaine que la lucrative marotte de Mark Zuckerberg, la plate-forme précitée permet de transmettre ce type d’érotisme diffus, de mise à nu pudique et ludique. Des correspondances et des divergences dialoguent depuis nos deux profils, puisque votre serviteur y sévit à son tour. Le sien comporte une rubrique Ask me anything mais plutôt que jouer au policier, à l’enquêteur, à l’entremetteur, souhaitons à l’aimable Arianne, pas celle du film de Billy Wilder, pas celle du dragon de Michael Cimino, dont à dessein nous francisons le prénom, de poser longtemps encore, d’exaucer ainsi son désir, professionnel et personnel, par conséquent de déposer son parfum charnel sur le réseau immatériel, tout sauf rédimé par quelques grammes d’aristocratie, de sympathie, d’exotisme familier, néanmoins agréables et in fine nécessaires pour oublier un seul soir l’immensité de bêtise, de laideur, de rancœur régnante et désolante. Que nous importent les bonnes résolutions d’occasion et les nouveaux départs des sinistres fêtards, pourvu que le vœu de l’invitation se réalise, que mon miroir fantomatique incite à mirer une femme de chair et de sang, de livres et de disques, BO d’un Kubrick mécanique incluse, de tableaux et de photogrammes, une conscience de son temps, une détentrice de cellulaire au logo de pomme, une étrangère amicale qui s’intéressa, allez savoir pourquoi, à mes fadaises françaises – elle ne m’en voudra pas, je crois, de m’exprimer dans ma langue maternelle, qu’elle traduira, qu’elle comprendra, qu’elle appréciera ou pas.



Sans bruit et sans hystérie, maux contemporains, et pourtant parfois girlie, Arianne Nicole élabore une imagerie de rêverie exempte de mièvrerie, une radiographie de ce qu’elle aime, admire, projette, quête. Je ne la connais pas, je ne l’appréhende qu’à travers ses avatars et ses natures mortes heureusement vibrantes de vie. So what ? Nul cinéphile n’ignore la qualité fictionnelle du réel, et inversement, toute psyché préoccupée d’esthétique, de politique, d’anatomie et d’infini sait bien la porosité des textures, des aventures, des impostures cousues de sincérité. Laissons les manichéismes à leurs épiciers assermentés, armés, cédons l’univocité, l’universalité, l’absolu et la bienséance aux minables humanistes, aux affligeants fascistes, aux incapables capitalistes. Désormais, dans notre relativité généralisée, einsteinienne ou non, dans notre complexité pornographique et hermétique, on peut décider de célébrer une inconnue, s’enhardir jusqu’à lui adresser une lettre à la Max Ophuls, relayer illico ses albums, diffuser la part d’invisible capturée par l’objectif complice, et ne rien requérir en retour, certainement pas des mots d’amour, des confessions de soumission ou de pâmoison. Les innombrables et vertigineux systèmes astronomiques pascaliens pourront juger ceci mesquin, anodin, ne valant rien, qui nous contemplent avec une colossale indifférence de désastre programmé – raison supplémentaire pour accorder une place idoine à une jeune femme immanente, à la saluer d’un portrait imprécis, attentionné, décomplexé, dont elle occupe le centre et la périphérie à la façon de la forme et de l’énergie d’une fusée hexagonale baptisée idem. Ariane ou Arianne, happy new year, my dear, et take care, ma chère.


     

Commentaires

  1. "L'histoire n'est pas tout à fait un objet; elle ne le devient que si je m'en évacue moi-même, à la façon dont le corps propre devient corps-objet pour un spectateur pur et désincarné, pour un spectateur non-situé (Ricœur, Philos. volonté,1949, p. 119)"
    Zhang Xiaogang, le peintre d’une génération
    https://www.gazette-drouot.com/article/zhang-xiaogang-le-peintre-d-une-generation/21587

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    1. La Chine, comme une princesse qui déprime :
      https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2014/07/a-touch-of-sin-lechine-du-diable.html
      NB : tout premier texte (ici) publié de votre serviteur (presque) préféré...

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