Une belle fin : La Vie des morts
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre d’Uberto
Pasolini.
Certes, personne ne confondra Uberto
avec Pier Paolo, et l’ultime plan de Une belle fin en achèvera plus d’un,
avec ses funérailles fantomatiques molto mélo. Mais Still Life,
still film qui filme des natures
mortes, qui filme la mort en pleine nature, tombes entourées de verdure, mérite
un court détour, malgré son humanisme inoxydable, sa facture de fable
millimétrée, en accord avec la maniaquerie de son protagoniste. Au cinéma, rien
n’existe, rien ne survient, y compris dans la pornographie, genre a priori
le plus matérialiste et immanent. Tout se joue toujours au passé, tout relève
de l’art funéraire, tout nous ramène à contempler la mort, à s’en repaître
régulièrement, contrairement au théâtre pas en boîte, à la musique en concert,
à la danse sur scène. Le spectacle de
facto vivant, le ciné s’en
désolidarise, le dissout dans une sorte de présent éternel aussi mécanique que
la machine marine audiovisuelle de L’Invention de Morel. Ces truismes
rappelés, l’intérêt de Still Life me semble résider,
allez, dans sa capacité à mettre en scène et en plans un aimable mort-vivant,
une ombre au patronyme de possibilité, un VRP du décès, une sorte de taupe
d’archives, de dossiers, d’albums de famille reconstitués, appropriés,
réinventés. Homme sans qualités à la Musil, Mister
May s’occupe de trépas, déjà mort lui-même, surtout dans son appartement à la propreté
eugéniste, aux repas en conserve de thon à la con, aux couverts disposés avec
un niveau, tandis que dehors un Noir et un Blanc se disputent gentiment à
propos de pisse de chien. Au boulot, notre héros trop pro finit par se faire
virer, débauchage économique oblige. Il urinera sur la bagnole du boss, rime amusante au Jugnot pragmatique
des Bronzés
font du ski, eh oui.
Muni de CD ad hoc, il organise des enterrements discrètement marrants, il se
met en tête de tirer sa révérence obsolète en classant une dernière affaire,
celle d’un alcoolo clodo à domicile, voisin de fenêtre insoupçonnable,
accessoirement héros des Malouines et géniteur d’enfants devenus grands. Quand
le monotone John croise la jolie Kelly, sa vie vide dévie un brin, il lui
achète même un mug orné d’un chien,
hein. L’amourette simplette rappelle les émois de l’acariâtre Nicholson
transformé-radouci par la radieuse Helen Hunt dans Pour le pire et le meilleur.
Ce Pasolini-ci, heureusement, pratique un avortement de romance/récit et enterre
son altruiste aussi sec, victime d’un bus typique, touristique. Moralité :
ne jamais traverser loin du passage clouté, ne jamais croire à une seconde
chance arrivée tard. Sa concession offerte, un sourire de ravi sur les lèvres,
alors allongé sur la chaussée, May recevra la visite spectrale, finale, de tous
ceux qu’il accompagna jusqu’à leur demeure sans peur, sans bruit, à peine un
frémissement de cendres enterrées en fosse commune, amen. Formé par l’oublié Roland Joffé, qui naguère commit Mission,
ancien banquier d’investissement enrichi avec le succès surfait du gentillet The
Full Monty, producteur du peu tentant La Tentation de Vénus d’István
Szabó et d’un vilain Bel-Ami avec le vampirique Robert
Pattinson, le cinéaste sexagénaire conserve une bienséance britannique lui
évitant de sombrer dans le dégoulinant, dans le sirupeux, dans le cérémonieux. Still
Life,
film assez infime, un peu vite adoubé par les belles âmes émues en poème de
solitude(s), de mansuétude, ne laisse pas grand-chose derrière lui, sinon un
parfum de naphtaline ripolinée, de deuil progressivement coloré, de fatum médiocre et tout sauf
révolutionnaire, en colère.
May peut compatir autant qu’il veut,
à aucun moment il ne se révolte face au scandale banal de la pierre tombale et
de la déréliction qui la précède. Tout ceci, au fond, dénote un profond
conservatisme, de pensée, d’expressivité, une manière de faire du cinéma et
d’infuser la solidarité à la fois séduisante et désolante. La vie continue,
même tranquille, entre filles, au cimetière où défilent les amis en uniformes
et les cloches pas si moches. La Reine peut dormir sur ses oreilles abritées,
l’administration du Royaume-Uni être félicitée pour cette prise en charge
professionnelle, même expéditive, de ses résidents occis en catimini. La
question de la vieillesse et de la fin de vie obsédait Ozu, admiration assumée
d’Uberto. Là encore, nul risque de confusion entre les filmographies, les
sensibilités, les façons de cadrer. Quant à Eddie Marsan, au demeurant
excellent, on peut mille fois le préférer par exemple en énamouré gay du triangle intense de La
Disparition d’Alice Creed. Signalons en conclusion que Rachel Portman,
compagne d’UP, compose un thème autant décliné que dispensable, à l’image de la
« petite musique » du film, guère passionnante, volontairement
réconfortante. Sans impliquer le mépris, Still Life ne nécessitait
certainement pas une récompense de réalisation à Venise ni un prix
d’adolescence éducative en France, à moins de vouloir réjouir la SPA, via des cartes d’anniversaire rédigées
par Susie, chatte enfuie, et un salvateur refuge pour canidés forcément
abandonnés, en accord avec la thématique conduite, à moins d’honorer un sens du
détail pratiquant la rime de meubles calés par des piles de bouquins, comme
quoi, les chiens, point vauriens, ne font pas des chats, au féminin cette fois.
N’en déplaise à Uberto Pasolini, la
mort retardée, âgée, en solo ou en couple, à l’instar de l’existence, notez-le,
cela ressemble davantage à Amour du guilleret Haneke,
hors-champ de Une belle fin, celui-ci commençant après celui-là, et ça sent les
médicaments, les excréments, l’épuisement, tout sauf le « délicieux
chocolat » recommandé par la serveuse audacieuse à s’offrir en acte
d’indépendance et de transgression. Trop assagi et pas suffisamment vivant, Still
Life
finirait presque par assoupir, par susciter le désir de gésir, par donner envie
de mourir, en douceur, à l’ombre, sous un arbre, en Angleterre ou ailleurs,
alors que le cinéma, je le crois en tout cas, devrait plutôt nous donner envie
de (sur)vivre, de voir dans sa nudité métamorphosée le monde immonde et
immense, rempli d’outrages et de partages, ce que font à leur manière les « films
d’horreur », pas uniquement ceux de la Hammer, par conséquent d’une grande
valeur, notamment parce qu’ils carburent, a
contrario de ce joli et inoffensif
chromo, à l’horreur corporelle catégorielle, au compte à rebours indeed mortel, à la déchéance et à la
résistance, aux offenses et aux offrandes. Le ciné anglais, fi du fallacieux
François Truffaut entiché de Hitch, je l’aimerai longtemps encore, je le
collectionnerai à la Terence Stamp chez William Wyler, mais je ne me garderai
de placer sur ses sommets ce film faussement athée, en vérité modeste,
œcuménique, bien plus anecdotique que toutes les Jane Doe US et universelles.
La mort ? Un mystère ; la sépulture ? Un secret, si l’on en
croit le Stephen King du superbe et suprême Simetierre. Caro Uberto,
tu sais ce qu’il te reste à faire et à lire, so(rry), my dear.
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