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Affichage des articles du 2014

Les Morsures de l’aube

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Les crocs du vampire dans les encoches de la pellicule… Sur le vampirisme au cinéma, vaste sujet en miroir , on peut,  sans crainte ,   conseiller ces quelques titres, parmi d’autres : La Marque du vampire , film méta qui démasque Lugosi ; Hercule contre les vampires , curiosité psychédélique signée Bava ; Le Survivant , adaptation agréable mais inégale, avec l’impeccable Charlton Heston, du grand roman de Matheson ; Rage de Cronenberg, nanti d’une inoubliable Marilyn Chambers ; Les Vampires de Salem , d'après Stephen King, pour la télévision et par le drolatique Tobe Hooper ; Entretien avec un vampire , de Neil Jordan (qui remit le couvert avec Byzantium ), plutôt agréable même si l'on reste assez loin de la sensualité existentielle et tragique d'Anne Rice (le personnage de la petite Claudia métaphorisait un drame personnel) ; Dracula, mort et heureux de l'être de Mel Brooks, à rapprocher, quitte à prendre un pieu en plein cœur, du bal funèbre de Polanski

Coppola et le Nouvel Hollywood : Entre mythe et nostalgie

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Le fantôme « enjolivé » d’une époque et le déclin des anciens démiurges…  Le culte nostalgique du Nouvel Hollywood, qui comporte aussi sa part maudite (cf. l’épouvantable Épouvantail ), veau d’or d’une certaine cinéphilie contemporaine, procède parfois d’une idéalisation sentimentale : pour la génération des quadragénaires, célébrer cette « parenthèse enchantée » équivaudrait un peu à retrouver son enfance. Outre des facteurs « extérieurs » tels que le débarquement sans merci de La Guerre des étoiles ou la sensibilité particulière d ’un public rajeuni ,  son échec réside surtout dans ses propres débordements, ses exigences adultes, son hubris aussi – forme et sujet chez Friedkin, Cimino et Coppola (le réalisateur de Killer Joe intitule d’ailleurs de ce terme l’un des chapitres de ses récents « mémoires »). Les métamorphoses de la comédie musicale depuis quarante ans mériteraient un long développement ; on se contentera de préférer  Que le spectacle commence de Fosse,

Secrets et Mensonges : L’Invraisemblable Vérité

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Suite à sa diffusion par ARTE, retour sur le titre de Mike Leigh. L’œuvre s’ouvre sur un enterrement, en écho à celui qui bouclait Mirage de la vie de Sirk, autre mélodrame « racial » et maternel. Hélas, la ressemblance s’arrête ici, tant l’ensemble, long et factice, enquille les vains dialogues jusqu’aux éventées révélations finales. Frears, Loach et Parker firent bien mieux dans leurs comédies prolétaires douces-amères. Rappelons deux évidences : une distribution homogène – même si Brenda Blethyn, en mère immature, sanglote beaucoup et abuse de darling et autres sweetheart – ne suffit pas à faire un bon film, et l’improvisation peut parfois déboucher sur la banalité, voire l’apathie (comparez avec l’énergie et l’intensité des titres de Cassavetes, à la troupe moins « libre » qu’il n’y paraît, incarnant de merveilleuse et inoubliable façon les scénarios écrits du réalisateur). Dans la série « grand déballage en famille », on peut largement préférer Festen , dépourvu d’un

La Voie lactée

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L’homme aux deux visages… Les productions de Johnnie To dans le giron de sa société Milky Way, à l’image du cinéma de Hong Kong et d’ailleurs, principalement en Asie, se caractérisent par une dichotomie « grand public »/festival : The Heroic Trio (le titre désignait Maggie Cheung, Anita Mui et Michelle Yeoh – que demande le peuple cinéphile ?), sympathique film d’action fantastique au féminin, cité dans Irma Vep  et Mad Detective , co-écrit/co-réalisé avec Wai Ka-fai (porté par l’excellent Lau Ching-wan, remarqué chez Lam), troublant polar pirandellien avec personnalités multiples, ou encore l’intense et spectaculaire Lifeline (ridiculisant Backdraft ) et le virevoltant Sparrow , avec ses clins d’œil aux Parapluies de Cherbourg . L’inoubliable plan-séquence introductif de Breaking News , par sa violence explosive , résonnait avec celui de La Soif du mal , signé par un autre artiste écartelé entre l’art et l’industrie (« panouilles » pour financer des autoportraits shakespe

À armes égales : La Lame infernale

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Un inédit inabouti mais intéressant, mariage « interracial » sous le signe du salut… Le cinéphile curieux pourra découvrir la (trop) sage mise en images d’un script drôle (le repas), tendre (le gamin, interprété par le fils de Fukasaku !) et excessif (le duel final, réglé par un certain Steve Seagal…) du brillant et indépendant John Sayles, qui paie sa dette à Soleil rouge (mais sans Ursula Andress, hélas !) et Yakuza (réussite mélancolique), en un conte de renaissance (l’enterrement métaphorique) et de filiation (la transmission des fameux sabres) bien plus que fable moderne sur l’honneur ou le choc culturel. La grandeur tient parfois à peu de chose, et Frankenheimer la trouve presque par accident au début de son film, dans la scène de torture sur le fils handicapé de Mifune : au lieu de montrer l’acte, avant d'enchaîner sur les blessures, il coupe sur un plan de cerisier en fleur le long de la route… On retiendra aussi le jeu assez convaincant de Glenn, physiquement q

Je suis un aventurier : Brève cartographie des territoires de Werner Herzog

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Filmer le monde et y vivre ; exister au monde pour le mettre en scène… Un peu  de provocation : Herzog, le plus américain des cinéastes germaniques, ou l’inverse (avec Lang, d'une autre façon) ? Du documentariste, plus encore que Grizzly Man – d'ailleurs sur la corde raide entre fiction et récit, à cause de la personnalité du protagoniste –, il faut conseiller le superbe Rencontres au bout du monde , qui conjugue lyrisme, ironie, folie douce et implacable lucidité, le tout assorti de sa diction et de son accent inimitables. Si Werner, héritier du romantisme allemand, pictural et littéraire, dans son amour des paysages sublimes (et donc terrifiants, selon Kant), s'en sortit mieux que Volker S. ou Wim W., peut-être le doit-il à son énergie le vaccinant contre tout académisme, écrit ou autre, à son regard moins énamouré ou nostalgique sur l'Amérique, à sa foi dans les images, loin des discours sur la mort du cinéma ou les contournant par un retour aux sources « 

Rednecks et White Trash

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Les joies (et les atrocités) du grand air… Le slasher , qui donna naissance au sous-genre du survival , propose, dans son imagerie campagnarde et « dégradée », comme un reflet inversé d'une autre mythologie, celle de la small town , illustrée notamment par Capra ou Minnelli. Il faudra un jour s'interroger sur la « discrimination » symbolique de ces cous rouges et autre racaille blanche , que renversait péniblement Tucker et Dale fightent le mal ou dont s'amusait Friedkin avec Killer Joe . La même année que Délivrance , on trouve, pour ainsi dire, un « équivalent » hexagonal : Quelques messieurs trop tranquilles , d'après le sulfureux A.D.G., très ami, paraît-il, avec Manchette (les contraires s'attirent !), suivi par Malevil ou, côté belge, Calvaire et La Meute . La ruralité, de préférence « dégénérée », sert donc de repoussoir, ici ou ailleurs, à un art urbain et « bourgeois », pour un regard social et allégorique – la campagne en territoire « pulsio

L’Homme qui aimait les femmes

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Un métrage, une image : La Femme modèle (1957)   De la même année datent trois sommets du cinéma en couleurs : La Femme modèle , Frankenstein s’est échappé (on se souvient de l’épisode anxiogène sis durant Halloween dans Le Chant du Missouri ) et La Belle de Moscou (Cyd Charisse se fit remarquer dans Ziegfield Follies bien avant que ne l’immortalisent le ballet satirique et sensuel de Tous en scène ou l’amertume méta de Quinze jours ailleurs ). Vincente Minnelli excella également dans le noir et blanc (le poignant et méconnu L’Horloge , le fidèlement flaubertien Madame Bovary – tous les personnages minnelliens passent leur vie à la rêver – ou le réflexif Les Ensorcelés ). Il faudrait sans doute réévaluer ses comédies, jugées mineures, témoignages souvent caustiques sur le couple et l’Amérique des années 50, notamment le diptyque en bichromie Le Père de la mariée / Allons donc, papa ! , assorti du coloré La Roulotte du plaisir . Moins flamboyants que ses mélodrames en M

Voici le temps des assassins

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Un métrage, une image : Salò ou les 120 Journées  de Sodome (1976) Sade, malgré tout, mais encore Artaud (très à la mode au milieu des années 70) & Pagnol (théâtralité d’un homme de mots et d’images). Un grand film sur la violence et son spectacle, où les rôles s’échangent, avec la mort pour seule évasion, et une valse faustienne (« Marguerite ! ») en coda. Enfants de Salò (et de salaud, comme se plaisait à le dire Pasolini lui-même, en français) ? Cannibal Holocaust , Zombie , le diptyque Hostel , Crash , Irréversible et Martyrs (pour son dernier plan réussi), ou encore, plus souterrainement, India Song (parole en huis clos) et La Maison aux fenêtres qui rient (1976, aussi) d’Avati, co-scénariste non crédité : peu après la guerre, dans un village aux environs de Ferrare (cité par la narratrice coprophage), le restaurateur d’une fresque du martyre de saint Sébastien habite la villa d’un « peintre de l’agonie » (PPP ?) et déterre, littéralement, les crimes collectifs

Mes doubles, ma femme et moi

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Un métrage, une image : JCVD (2008) Le soufflé méta (et sépia ) pourrait déranger – comme dans le cruel Congrès avec la bouleversante Robin Wright – mais retombe très vite, hélas. Jean-Claude Van Damme, acteur mélancolique et schizophrénique (cf. tous ses doubles rôles), méritait mieux que cette autofiction cachant (à peine) son grand vide sous un ressassement de points de vue, sorte de Rashōmon « pour les nuls » mixé à Un après-midi de chien . Le succès critique du film (et son insuccès populaire) résonne avec les louanges adressées à Mickey Rourke dans The Wrestler par les mêmes, ou presque, ne le supportant pas au faîte de sa gloire dans les années 80, mais se repaissant désormais de ses ruines (il réussissait un exploit plus discret avec son poignant monologue dans Expandables : Unité spéciale ). Le monologue, justement, en regard caméra et en apesanteur, de JCVD , émouvant mais complaisant, relève malheureusement davantage de Confessions intimes sur TF1 que de l’ouv

La Tranchée

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Un métrage, une image : À l'Ouest, rien de nouveau (1930) Une brève remarque sur le producteur du film, Carl Lammle Jr. L’expressionnisme « tempéré » (comme le clavier de Bach) de l’œuvre, du à Arthur Edeson, directeur de la photographie sur Frankenstein , L’Homme invisible mais aussi sur Le Faucon maltais et Casablanca , s’épanouira dans les films d’horreur de la Universal, et le village du début, ainsi que le brouillard lors de la « corvée de barbelés », paraissent tout droit sortis du Loup-garou de Waggner. Le climat culturel volontiers germanophile de l’ensemble, pas seulement dans la lumière, doit sans doute aux origines paternelles, mais se retrouve aussi dans les productions Warner de l’époque. Que les monstres appartiennent au bestiaire fantastique ou au gangstérisme social, il s’agit dans les deux cas de sonder la nuit (allemande et américaine) pour s’inspirer de ceux de la « vraie vie » ou les faire advenir hors du cinéma (lecture de Kracauer). Les films

Les Cendres du temps

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Un métrage, une image : Il était une fois dans l'Ouest  (1968) Il ne faudrait pas oublier l ’ apport d ’ Argento à Il était une fois dans l'Ouest (dont le titre original, Il était une fois l'Ouest , indique davantage la cosmogonie que le conte, la volonté démiurgique du réalisateur), qui pratiqua lui aussi la griffe du passé , trauma ou tableau à sans cesse évoquer, conjurer, ni celui de Morricone, transformant les films en opéras populaires (Puccini plus que Verdi), sertissant leur lyrisme latin. Pareillement, on devrait se pencher sur la place et le rôle des femmes chez Leone, madones et putains, objets de culte et de viol (celui de  Il était une fois en Amérique , par exemple). Les entretiens du réalisateur avec Noël Simsolo demeurent un précieux trésor, tandis que l ’ héritage leonien se vérifie auprès d'autres maniéristes sensuels et mémoriels (Wong Kar-wai et son Grandmaster en tête, citant musicalement le testament impromptu du cinéaste). Celui qui tr

Ouvre les yeux

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Un métrage, une image : Vidéodrome (1983) Voici un film social plutôt que politique, cartographiant un nouveau territoire avec une grande ironie (celle, déjà, de Frissons ) et laissant à d'autres (Lumet et Network , par exemple) la « critique des médias », « tarte à la crème » rassie et « politiquement correcte ». Cinéaste existentialiste, Cronenberg interroge sans cesse la réalité à partir du corps et de l'esprit, inséparables comme le capitaine et son bateau, pour parler à la façon de Descartes dans ses Méditations philosophiques . On trouve aussi chez lui, grand lecteur de Nabokov, un identique génie du patronyme : Max Renn, le professeur O'Blivion et sa fille Bianca, Nicki Brand et Barry Convex, sans oublier le nom, jubilatoire et contradictoire, de la chaîne télévisée, Civic TV ! Contrairement à la nature « réactionnaire » de l'horreur, il ne cherche pas à regagner un état d'origine, supposé meilleur, mais célèbre toutes les métamorphoses, avant la

La Part des ténèbres

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Un métrage, une image : Cannibal Holocaust (1980) Deodato, formé par Rossellini et Corbucci, signe avec son diptyque ( Le Dernier Monde cannibale en premier tableau) une lecture hardcore du Tristes tropiques de Lévi-Strauss, qui n'exclut ni la satire ni le questionnement méta. Les deux films doivent beaucoup au contexte de leur production, cette Italie des « années de plomb » à la violence (sur)médiatisée. Le second représente un saut qualitatif et réflexif à ce jour inégalé (et inégalable grâce aux associations de défense animale). La censure dont il fit l'objet ne manque pas d'interroger. Rappelons un truisme : les seuls snuff movies disponibles, on les trouve légalement et en toute impunité aux journaux télévisés, à l'heure du repas (« Attention à certaines images qui peuvent heurter la sensibilité du spectateur » salivent les présentateurs, avatars de Tartuffe). Que l'abattage réel d'animaux et des trucages issus de la débrouillardise du cinéma

La Blonde et moi

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Un métrage, une image :  Basic Instinct  (1992) Un cas d’école : comment faire un succès avec un pic à glace et une petite culotte (ou plutôt son absence, qui valut, apparemment, un gifle de l’actrice au réalisateur), longtemps après Preminger. Cela ne pouvait arriver qu’à Hollywood, capitale puritaine du sexe – pas de la sexualité – produit à la chaîne (à l’instar des saucisses) mais condamné, depuis au moins les années 30, avec son défilé de garces de polars, parfait royaume des images racoleuses et inoffensives, puériles, terrifiées par  L’Origine du monde  (à comparer avec Brass ou Aranda, par exemple) en même temps que terrain de jeux de la bonne conscience des associations dédiées aux droits des dites minorités sexuelles, qui attaquèrent le film comme autrefois  Cruising . Cette (très) ennuyeuse resucée de  Sueurs froides , dont on ne retiendra qu’une scène anale (?) avec Jeanne Tripplehorn (rangée depuis au côté des  profilers  de la série  Esprits criminels ) et la superbe musi

Hammer Horror : Splendeur de Terence Fisher

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Un grand maître, prince populaire des ténèbres et de la couleur, davantage figuratif que freudien, à remettre à l’honneur (ou à l’horreur , suivant sa sensibilité)… Dans la grande salle aux fauteuils rouges de La Coursive, les rideaux s’écartent enfin pour libérer l’écran, à l’heure des crimes, des sortilèges et des métamorphoses. Au sein de cette fenêtre géante, si blanche et cependant enténébrée, peut advenir à nouveau la magie noire et lumineuse du cinéma d’horreur, à l’anglaise, of course . Tous les membres de la secte cinéphile (pas un siège de libre, comme en Enfer) font silence, retiennent leur (à bout de) souffle, dans le recueillement d’une liturgie laïque et païenne annoncée par les notes déchaînées de James Bernard, qui ne s’embarrassait guère de préliminaires ni de sous-entendus. Le Cauchemar de Dracula exerce une fois encore sa dangereuse séduction, dans ses couleurs éclatantes (« peintes » par Jack Asher), son érotisme victorien (femmes fatales, surtout à elles