Les Enfants loups, Ame et Yuki : Raining in the Mountain


Suite à sa diffusion par ARTE, retour sur le titre de Mamoru Hosoda. 


Hana, la fille-fleur au prénom très « kitanoesque », voit le loup, littéralement, et le fruit de ses entrailles se divise en deux adorables enfants « hybrides », bien éloignés des canons de la lycanthropie à l’écran : dans le Japon d’aujourd’hui, les métamorphoses zoophiles s’inscrivent dans le cadre naturaliste d’une « famille monoparentale » dépeinte avec une justesse précieuse, dans son courageux combat au quotidien pour ne pas sombrer, là encore, au sens plein du terme, puisque l’héroïne tombe de sommeil pour joindre les deux bouts (de petits loups). Le film social devient vite un mélodrame, ou l’inverse, la « bestialité » des personnages révélant leur part maudite autant que leur poignante humanité. Hurlements, on s’en souvient, s’achevait sur une ultime et bouleversante transformation de Dee Wallace (autre Mère Courage pour Spielberg ou Lewis Teague) en plein  journal télévisé, affirmation spectaculaire et suicidaire de sa vraie nature. Le père des deux enfants, descendant des loups de Honshū, disparait de façon plus discrète, sous le signe ambigu d’un « accident ». Sa vie terrestre (mais pas sa lignée) s’achève en centre-ville, et le geste de son grand amour humain, qui lentement s’affaisse à genoux, de dos et en larmes sous la pluie, démontre fugitivement, de la plus belle des manières, le talent adulte du réalisateur.


D’autres moments de grâce à l’égal de celui-ci, son film en contiendra beaucoup, telle cette course grisante et dangereuse dans la première neige, avec la résurrection très « dreyeresque » du garçon au bout de sa chute dans les eaux glacés (sauvé par sa sœur, apparemment plus extravertie, mais en réalité bien plus fragile, moins solitaire, qui finira d’ailleurs par intégrer la communauté humaine, quand il préférera La Compagnie des loups), ou cette pietà sous un  arbre de vie qui enterre l’arbuste publicitaire de Malick, et permet de différencier la panthéisme de Hosada de celui, disons, de Miyazaki : pas d’esprits sylvestres ici, pas de grande forêt bruissante de transcendance et animée par une matriarche louve blanche, comme dans Princesse Mononoké, le chef-d’œuvre du maître. Hosoda ne quitte en effet jamais la dimension humaine, ne s’aventure pas sur les terres du conte épique et animiste. Son film, à hauteur du regard de la frêle et souple Hana, roseau parmi les roseaux, femme d’ici et de maintenant, déchirée/grisée par son amour maternel, à l’instar de (presque) toutes les mères humaines de toute éternité, constitue en quelque sorte la réponse naturaliste (et naturelle) à la fresque féministe de son compatriote, davantage dans le sillage d’un Naruse (présence des nuages, jusque dans les prénoms « atmosphériques » des enfants, qui signifient vent et pluie) ou d’Ozu, qui se tenait lui-même, pour ses chroniques des « petites gens » universelles de Tokyo, à hauteur de tatami.


La tension au cœur du film, très nippone, entre l’individu et la collectivité, entre la transmission (génétique et culturelle, voire agricole, avec le personnage du bougon paysan âgé apprenant à la citadine comment cultiver la terre pour les villageois) et le refus de l’héritage (on pense aux « révolutionnaires » Mishima ou Ōshima), s’incarne dans les deux corps et personnalités des protagonistes. Yuki, découvrant l’amour, s’éprend d’un « orphelin » rejeté par sa génitrice, poursuit ses études dans un pensionnat (de jeunes filles, peut-être, qui sait, à la Suspiria), tandis qu’Ame, sous l’égide d’un « ancêtre » animal, abandonne sa mère sur un parking après son sauvetage de la tempête (superbe scène sans paroles qui dit tout le lien insécable entre un fils et sa mère, même fuie). Désormais, le souvenir de l’enfant parti vivre sa vie et sa nature ailleurs, transitera uniquement par la souffle du vent apportant son tendre hurlement, figure positive, inversée, du côté de l’espoir, de ce moment sublime et funeste dans Le vent se lève, où le dessinateur d’avions de mort apprenait, instinctivement, celle de la femme aimée via le frémissement sonore et à peine perceptible de l’air autour de lui.


Une jeune veuve, ses deux enfants « différents », la nature (celle du monde et des hommes, indifférente et généreuse) : voici donc un somptueux poème de cinéma, qui enchante et bouleverse, dans un écrin musical signé Takagi Masakatsu, une subtile fable identitaire – significativement, la carte d’identité du cher disparu paternel trône au centre de la vaste maison rurale, mânes modernes d’un foyer à recréer avec le secours des locaux – sur la famille d’aujourd’hui, dans toutes ses facettes multiples, et, surtout, un remarquable chant d’amour à une mère, qui l’autorise enfin à se pardonner, à se libérer de l’angoisse de l’enfantement, de la solitude, dans une scène « champêtre » laissant loin derrière elle l’onirisme mièvre de Spielberg (Always et sa forêt d’outre-tombe hantée par Audrey Hepburn), Scott (Gladiator et son champ de blé caressé au ralenti) et consorts. Hosoda, vrai poète et grand cinéaste, nous donne à voir, à contempler, le monde comme pour la première fois, avec son film fluide et féminin logiquement placé sous le signe de l’eau (Brass fera de même pour La Clé, dans un autre registre, certes, mais tout autant « maternel »), de la pluie et des larmes (de douleur ou de joie), lavant nos yeux de trop de poussière visuelle, afin de retrouver cette part maudite et miraculeuse de sauvagerie première, orphique, à l’intérieur de chacun d’entre nous, proche et cependant irréductible à l’enfance intérieure, aux histoires enchanteresses et perverses d’autrefois… 
     

Commentaires

  1. Avec la retraite semble t il définitive de Miyazaki, Hosoda est vraiment le garant actuel d'une animation japonaise grand public et ambitieuse. Les Enfants Loups dont vous parlez fort bien est son meilleur film mais si vous ne les avez pas vu je vous recommande vivement les précédents et brillants La Traversée du temps (adapté de Yasutaka Tsuitsui écrivain que Satoshi Kon transposa dans son Parika on voit les similitudes) et Summer Wars qui annonçaient déjà la grandeur des Enfants Loups. J'en parlais ici

    http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr/2013/05/les-enfants-loups-ame-yuki-okami-kodomo.html

    http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr/2010/06/la-traversee-du-temps-toki-wo-kakeru.html

    http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr/2012/03/summer-wars-sama-wozu-mamoru-hosoda.html

    Bonne nouvelle en plus le prochain Hosoda arrive en 2015 une première bande-annonce circule déjà.

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    1. Merci pour ces liens, qui donnent envie de découvrir les deux autres opus de ce nouveau maître (et vous en parlez très bien également). On retrouve, déjà, des héroïnes contemporaines (ou plus âgées) et attachantes, surplombées par des nuages très narusesques. Vu récemment, au rayon "Voyages temporels", le roublard mais agréable Source Code (j'avoue un grand faible pour Vera Farmiga depuis sa découverte dans Bates Motel, abordé ici même) ; la bande-annonce de La Traversée du temps m'y fait penser, avec son autre train en métaphore du cinéma...

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