Stellar : Le Voyage fantastique


Le « silence des espaces infinis », on le sait, provoquait l’effroi de Pascal ; tout le contraire avec celui-ci, qui nous exalte et nous réjouit !


Héritier conscient de Méliès, Cocteau et Isou, avec lesquels il partage un identique sens du merveilleux artisanal, couplé à une indépendance d’esprit volontiers révolutionnaire (dans une forme esthétique et politique), père spirituel du binôme créateur de l’irrévérencieux et graphiquement « pauvre » South Park, le « compositeur » Stan Brakhage (en collaboration avec Sam Bush, optical printer), autrefois pianiste et soprano, nous fait entendre – plus de vingt ans avant Christopher Nolan et sans ses liasses de billets verts, ni ses trous noirs, ni sa bannière étoilée bleu/blanc/rouge fichée dans un sol gris extra-terrestre – en deux minutes muettes la « musique des sphères », dans un jaillissement de couleurs, de formes, de rythmes.

Ces quelques bouts de pellicule (ailleurs de verre) peinte, hachurée, soumise à des expositions multiples, parviennent miraculeusement, dans leur lyrisme silencieux et chamarré, à figurer autant l’hypothétique grande explosion primordiale, un tableau vivant d’action painting, un voyage intérieur causé par le LSD, que l’énergie folle et purement abstraite de l’univers, épousant dans son accélération propre on ne sait quelle genèse cosmique, entre l’ivresse (la vie orgasmique en désordre radieux) et l’angoisse (similitude aussi avec le fourmillement létal des cellules cancéreuses, pour un cinéaste préoccupé par le corps, celui de son enfant en train de naître dans le doux et violent Window Water Baby Moving, très loin de Catherine Breillat « accouchant » d’une scène analogue dans Romance, du chien de famille en décomposition au nom « astronomique », ranimé par le montage et les panoramiques rapides de Sirius Remembered, ou d’insectes « autobiographiques » fossilisés entre deux bandes de film pour le scintillant Mothlight, réalisé sans caméra et en présage de l’ambre jurassique du roublard Spielberg).


Alchimie du cinéma non narratif que cette union, aux allures chatoyantes de rosace d’église, du périssable (organique, matériel) et du temps inimaginable « au-delà de l’infini » (Kubrick dans 2001, l’Odyssée de l’espace), saisis dans leur dimension de microcosme et de macrocosme : belle urgence de redécouvrir Stellar, qui s’achève dans un dernier éclat de blancheur, comme en écho à la silhouette divine (une métaphore de la page vierge du poème, terme idoine pour décrire le travail du réalisateur, selon une acception agnostique, voire athée) naguère entrevue dans les glaces antarctiques par les explorateurs naufragés d’Edgar Allan Poe, dans le final mystique et inoubliable des Aventures d’Arthur Gordon Pym…  


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