Anna et les Loups


Un métrage, une image : Possession (1981)


Après l’enfer de La Porte du Paradis, Cimino partit s’aérer du côté de Chinatown, avec une colère froide et hautaine incarnée par John Lone en gangster impitoyable et charismatique de LAnnée du dragon. Cette rage réapparaît dans le film excessif d’Andrzej Żuławski, mais alimentée par un autre contexte, davantage politique – les déboires de Sur le globe d’argent avec la censure polonaise – ou personnel – un divorce difficile (pléonasme), déjà matrice monstrueuse de l’éprouvant Chromosome 3 signé Cronenberg – et surtout située dans un cadre anxiogène, contaminé par une lèpre métaphysique : Berlin huit ans avant la chute du Mur. Le film peut certes se lire en métaphore des ravages du communisme, de ses dommages collatéraux, à l’échelle intime des sentiments, au sein même de La Vie des autres, bien qu’il demeure avant tout un magnifique portrait de femme en lutte avec ses démons, ses doubles, les hommes de sa vie eux-mêmes dédoublés puis métaphorisés sous la forme d’une répugnante créature, équivalent perverti de la baleine blanche de Melville ou incube grimaçant exorcisé dans le bien nommé Le Diable. Le réalisateur-romancier n’apporte aucune certitude réconfortante, laissant volontiers le cinéma normal à ceux qui le pratiquent, ici ou ailleurs, et célèbre les noces funèbres de l’esprit et du corps, de la chair et de l’idée, épiphanie diabolique sans équivalent alors (ni à présent). Possession marie ainsi, dans son dangereux élan, sa violence vitale et féconde – le film semble s’accoucher lui-même, en écho à la scène traumatisante du métro –, stupidement qualifiés d’hystériques par tous les critiques atteints de tiédeur (que Dieu vomit, nous rappelle l’Apocalypse), Bergman & Lucio Fulci, Truffaut (triangle amoureux repris du Dernier Métro, justement, où figurait le bergmanien Heinz Bennent) & Carlo Rambaldi, Polanski & Mario Bava, brouillant les frontières entre le drame, le film d’horreur et la comédie conjugale (très) noire. 

Classé en video nasty par la prude Albion, Possession offre également à Isabelle Adjani le rôle doublement primé d’une carrière, honni pour cela (l’actrice, qui porte encore les stigmates de cette expérience, parle de « pornographie émotionnelle »), perle noire et lumineuse, tragique et d’une incomparable douceur hallucinée, d’un collier féminin complété par Romy Schneider, Valérie Kaprisky, Sophie Marceau et Iwona Petry (pour les comédiennes osant se confronter à sa direction, il existe un avant et un après leur passage devant l’objectif de cet Attila de la caméra, cependant très urbain et cultivé). Dans la lumière eschatologique de Bruno Nuytten, son compagnon de l’époque, qui devait inspirer un certain Lars von Trier pour ses propres biographies de sorcières-martyres, elle forme avec l’impeccable Sam Neill un couple à bout de souffle plongé en pleine déréliction. L’enjeu du film ? Rien moins que retrouver la foi, dans l'amour, le monde et autrui, tandis que la guerre, à l’intérieur des corps et des âmes et à l’extérieur, dans les rues d’une Allemagne (année zéro) assaillies de sirènes, de moteurs d’avion et d’explosions durant le final, fait rage, elle aussi. Que voit donc la trop sage institutrice, qui possède les traits de l’épouse, dans l’ultime plan sur ses yeux verts de damnée – à chacun de répondre et de s’abandonner à cette grande œuvre au noir exhalant un soufre dostoïevskien…

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