Drive


Un métrage, une image : Christine (1983)


Mr. Mercedes, le dernier Stephen King, polar sur un chauffard, paraîtra dans sa traduction française en février 2015 : l'occasion, avec un peu d’avance, de fêter Christine, l'un des titres mésestimés de Carpenter, qui forme avec StarmanLes Aventures d'un homme invisible et Le Village des damnés un quatuor de tentatives plus ou moins réussies de cinéma mainstream, pour se rétablir, a fortiori financièrement mais aussi au niveau de la critique, après les échecs douloureux de films bien plus personnels, réflexifs, radicaux et satiriques (The ThingInvasion Los AngelesL’Antre de la folie). S'il remplit le cahier des charges de l'évocation vintage d'un geek avant l'heure souffre-douleur de son lycée (qui dit Carrie ?), avec morceaux musicaux d'époque transposés sans nostalgie dans la vulgarité assumée des années 80, Carpenter livre également une fable sur le désir, la jalousie, dans le double sillage de son unique teenage movie (La Nuit des masques) et de ses portraits féminins (toujours Halloween en plus de Ghosts of MarsThe Ward : L'Hôpital de la terreur, sous-titre français pouvant d'ailleurs servir à la suite des mésaventures de Laurie Strode, ou, dans une moindre mesure, Vampires), à l'exception notable que l'héroïne s'avère ici... une voiture. Seul, sans doute, un réalisateur (et scénariste de Sans issue, basé sur un prototype automobile joliment baptisé Black Moon) américain – et un romancier de même nationalité – pouvait bâtir une œuvre, de surcroît fantastique, sur ce totem de la civilisation américaine (King, après Spielberg pour Duel, s'y essaiera lui-même avec le terrible Maximum Overdrive). Le film réactualise aussi La Fureur de vivre, avec ses adolescents rebelles sans raison ni parents, étirant sur sa durée la scène centrale de la course en voiture du classique juvénile de Nicholas Ray (cela nous change de Hawks…). 

Keith Gordon, mémorable fils voyeur (et orphelin !) d'Angie Dickinson dans Pulsions, au contact érotique de la rutilante Plymouth Fury de 1958, se révèle enfin à lui-même, se métamorphose jusqu'à atteindre un point de non-retour vers lequel il fonce en effet à tombeau ouvert, tels les personnages néoromantiques et suicidaires du Crash de Cronenberg. Le cercueil sur roues, compacté à la fin du récit à la façon d’une sculpture de César, tandis que son conducteur s'empale sur un écueil phallique du pare-brise transpercé, contemplant une dernière fois, dans un ravissement d’extase, l’objet immortel, sans cesse ressuscité, de tous ses transports, sexuels et identitaires, en écho à la sainte Thérèse du Bernin jouissant de tout son cœur dans sa transverbération angélique, permet également au cinéaste, via un ultime plan, de faire un clin d’œil à Hitchcock, rencontré durant ses années estudiantines à USC, qui décrivait à Truffaut  la somme des étapes de l’assemblage d’une voiture dans une usine sur une chaîne de montage, avant que la portière ouverte ne laisse choir… un cadavre ! Ici, la calandre commence à se déplier alors que la radio s’allume : le Mal ne meurt jamais, nous disait déjà Carpenter avec la disparition impromptue de The Shape sur sa pelouse nocturne trop verte, comme peinte sous le signe rouge de la folie cher à Antonioni (& Bava, donc), renommé peintre végétal pareillement connu pour ses identifications de femmes. Cinq ans plus tard, avec cette commande modeste effectuée pour se refaire, reprendre la route plus sinueuse de son indépendance dans la nuit recommencée quelque part au milieu de nulle part (Sam Neill égaré au volant méta et drolatique de L’Antre de la folie), il dit précisément la même chose, et l’âme perdue de Christine, poupée mécanique et menstruelle, boucle la boucle avec les assaillants motorisés sévissant dans Assaut, avant que le train de Ghosts of Mars, autre emblème national (et cinématographique) ne vienne emporter sa cargaison humaine et dangereuse dans le brouillard, rouge, forcément, le Fog infect d’une planète aux allures de Vallée de la Mort…

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