Voici le temps des assassins
Un métrage, une image : Salò ou les 120 Journées de
Sodome (1976)
Sade, malgré tout,
mais encore Artaud (très à la mode au milieu des années 70) & Pagnol
(théâtralité d’un homme de mots et d’images). Un grand film sur la violence et
son spectacle, où les rôles s’échangent, avec la mort pour seule évasion, et
une valse faustienne (« Marguerite ! ») en coda. Enfants de Salò (et de salaud, comme se plaisait à le dire
Pasolini lui-même, en français) ? Cannibal Holocaust, Zombie,
le diptyque Hostel, Crash, Irréversible et Martyrs
(pour son dernier plan réussi), ou encore, plus souterrainement, India
Song (parole en huis clos) et La Maison aux fenêtres qui rient
(1976, aussi) d’Avati, co-scénariste non crédité : peu après la guerre, dans un
village aux environs de Ferrare (cité par la narratrice coprophage), le
restaurateur d’une fresque du martyre de saint Sébastien habite la villa d’un «
peintre de l’agonie » (PPP ?) et déterre, littéralement, les crimes collectifs
d’hier enfouis sous le sourire d’une bâtisse (« Riez ! » ordonne le Président
aux participants du mariage/messe noire) – ce codicille sous forme de giallo enchaîne directement sur les
plans pasoliniens du massacre final et s’achève par la pendaison d’une jeune
femme à une esse, en rappel de celui à la tronçonneuse de Hooper, autre chef-d’œuvre
horrifique et politique, vu peut-être, qui sait, par le poète frioulan…
Sade au cinéma, ou l'histoire d'un rendez-vous manqué, même avec Pasolini ; problème identique avec Lovecraft, lui aussi
au bord de la langue et du silence sidéré, malgré les adaptations drolatiques
de Stuart Gordon. Barthes disait que le mot « merde » ne sentait pas
– comment faire pour que les images empestent l'abattoir ? Filmer les camps d'extermination, comme Stevens ; les réduire au
hors-champ, comme Fuller ; les métaphoriser à l'aide du conte, comme le
Spielberg de La Liste de Schindler avec son Petit Chaperon rouge du ghetto ;
les faire advenir par la parole douloureuse, comme Lanzmann ? La question reste
ouverte, liée à la problématique de la représentation, aussi à l'œuvre dans la
pornographie (et Ilsa, la louve des SS combine les deux interrogations).
Sur cette éprouvante
satire « terroriste » et spéculaire de la société de consommation et du spectacle, aux ramifications ouvertement autobiographiques, et dont les scènes « alimentaires »
continuent de choquer plus encore que les tortures du dernier cercle infernal
(on se demande pourquoi, du reste, sinon parce que Pasolini semble ici
s’adresser directement au système nerveux du spectateur, ou à son cerveau
reptilien, plus sensible aux excréments, même filmés, qu’au sang versé,
rassurant avec ses allures consubstantielles et factices d’effet spécial), on
renvoie le lecteur vers l’excellent et fraternel essai d’Hervé Joubert-Laurencin, Pasolini,
portrait du poète en cinéaste, et notamment à l’ultime chapitre,
judicieusement intitulé Cinema Inferno…
"De Barthes à Sollers, de Foucault à Blanchot, la prestigieuse assemblée d’exégètes de Sade s’entend sur un point : l’œuvre du marquis est irreprésentable. Le cinéphobe Sollers est catégorique : le cinéma ne peut rien pour nous. Sade est le héros de sa croisade : « C’est la radicale impossibilité de représenter l’œuvre de Sade qui vient inquiéter au maximum notre fin de siècle dans sa certitude de contrôler économiquement toutes les images. » Selon Barthes, « Sade n’est aucunement figurable », car son imaginaire relève du fantasme, et non du rêve. Or, seule l’écriture s’accorde au fantasme, car « tous les deux sont troués ; le fantasme n’est pas le rêve, il ne suit pas le lié, même biscornu, d’une histoire ; [...] le fantasme ne peut que s’écrire, pas se décrire. C’est pourquoi Sade ne passera jamais au cinéma, et, d’un point de vue sadien, [...] Pasolini ne pouvait que se tromper - ce qu’il a fait avec entêtement (suivre la lettre, c’est s’entêter). » Il résume plus loin : « tout ce qui réalise Sade est mauvais ». Il faudra montrer pourquoi Pasolini ne s’est pas tant trompé. Au-delà du cas Salò (1975), il n’est pas certain que le fantasme soit si étranger au cinéma. Si le fantasme n’a de sens que non-réalisé, un cinéma fantasmatique serait-il possible, qui suspendrait ou déferait sa propre « réalisation » ?
RépondreSupprimerhttps://www.cairn.info/revue-vertigo-2003-2-page-54.html
Pasolini en avatar du Caravage ? Pas vraiment, malgré des correspondances à distance…
Supprimer« Cinéma fantasmatique » : pléonasme, pas seulement classé X ; Sade au défi de la figuration et de la défiguration, comme Auschwitz & Hiroshima, oui-da, où le devenir-chiffre des innombrables victimes réifiées, effacées ; PPP se soucie aussi de fascisme, d’autobiographie, cependant ambiance de détente marrante sur ce tournage d’un autre âge…