Tout sur ma mère


Un métrage, une image : L’Exorciste (1973)


Une statue monumentale et obscène déterrée en Irak (du Nord) ? L’effigie de la virginale Marie souillée dans une église ? Un réalisateur en plein flirt avec sa comédienne jeté du haut d’un escalier ? Une gamine urinant devant un auditoire pétrifié ? Un vagin d’enfant transpercé par un crucifix ? Des vomissements, une lévitation, la pratique de la glossolalie tissée aux insultes les plus ordurières, un appel au secours directement inscrit en lettres de chair (Clive Barker !) et de souffrance sur le ventre de la fillette ? Un prêtre défenestré ? Bien sûr, autant de stations traumatiques, de moments iconiques pour un film qui explore comme nul autre le mystère du Mal, croisement orphelin de Dostoïevski et du béhaviorisme documentaire – ah, cette buée glacée dans la chambre de Regan aussi froide que l’Enfer ! –, inoubliable pour plus d’un, pour Légion, en vérité (je vous le dis), dont ce diable de catho puritain d’Abel Ferrara, caché derrière le fauteuil de son enfance encore préservée des quatre cents coups (dont le dernier au Sofitel, quand même) ; mais l’essentiel, ainsi que la vérité, paraît-il, se trouve ailleurs : si L’Exorciste nous bouleverse aujourd’hui encore, près de quarante ans (au désert) après sa sortie (« Croissez et multipliez-vous »), il le doit à sa dimension clinique – éprouvante séquence de l’examen médical, en annonce du Sang du châtiment – et mélodramatique, à ce portrait sans miséricorde, mais pas sans tendresse, de parents et d’enfants qui se déchirent, se haïssent, se délaissent et se rejoignent. Karras rencontre le Diable, et il porte évidemment les traits de sa mère chérie (Vasiliki Maliaros, décédée peu avant la distribution en salles), abandonnée dans un asile aux allures de mouroir, durant les premières années économiquement difficiles de la décennie 70 ; « Demi, why you do dis to me? Please, Demi, I'm afraid » implore l’Adversaire dans sa contrefaçon de broken English, et dans cette scène bat vraiment le cœur noir et déchirant de l’œuvre, avec une valeur autobiographique parfaitement perçue par les deux (fils) William, Friedkin & Blatty. L’Exorcistekammerspiel déguisé en blockbuster, ne (nous) parle que de deuil, de perte, de chagrin, de culpabilité, de la violence « démoniaque » que s’infligent des êtres qui s’aiment, malgré tout. Entre Cassavetes & Pialat, Friedkin signe un poème ténébreux qui se conclut et s’ouvre sur un soleil d’automne, afin que les cœurs en hiver de ses survivants, qui vont devoir apprendre à oublier ou à vivre avec l’incroyable (et un regain de foi ?), puissent enfin s’y réchauffer… 

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