Coppola et le Nouvel Hollywood : Entre mythe et nostalgie


Le fantôme « enjolivé » d’une époque et le déclin des anciens démiurges… 


Le culte nostalgique du Nouvel Hollywood, qui comporte aussi sa part maudite (cf. l’épouvantable Épouvantail), veau d’or d’une certaine cinéphilie contemporaine, procède parfois d’une idéalisation sentimentale : pour la génération des quadragénaires, célébrer cette « parenthèse enchantée » équivaudrait un peu à retrouver son enfance. Outre des facteurs « extérieurs » tels que le débarquement sans merci de La Guerre des étoiles ou la sensibilité particulière d’un public rajeuni, son échec réside surtout dans ses propres débordements, ses exigences adultes, son hubris aussi – forme et sujet chez Friedkin, Cimino et Coppola (le réalisateur de Killer Joe intitule d’ailleurs de ce terme l’un des chapitres de ses récents « mémoires »).

Les métamorphoses de la comédie musicale depuis quarante ans mériteraient un long développement ; on se contentera de préférer Que le spectacle commence de Fosse, avec l’inoubliable Jessica Lange (exterminateur), au revival anémié de Scorsese à New York. De Bogdanovich, confesseur réputé de Ford et Welles, on se souvient du terne mais sympathique La Cible, antithèse des Sorcerers, bel essai méta, toujours avec Karloff, de Michael Reeves, cinéaste prometteur trop tôt disparu. Son exil hollywoodien apprit à Lang l’humilité de la mise en scène (mais pas du caractère : il ne resta sur le plateau de Moontide que quatre jours, à cause des célèbres « divergences artistiques » avec Gabin), où il poursuivit son interrogation morale, notamment sur les failles de la démocratie américaine, loin du kolossal de sa période allemande. Fellini, écœuré par un état du monde en écho à celui dressé par Le Convoi de la peur, se réfugia loin des hordes motorisées qui pénétraient sa Roma dans un studio fondé par un fasciste, à la fois havre et tombeau (voir le funèbre Ginger et Fred).

Coppola se tient entre les deux, mégalomane contraint à la pénurie, Mabuse mâtiné de Méliès, dont le succès viticole surpasse désormais celui de sa filmographie. Son destin de cinéaste se lit déjà dans le remarquable Conversation secrète, portrait d’un expert (catholique) de la surveillance qui commet une erreur d’interprétation et se retrouve piégé, mettant en pièces son appartement à la recherche d’un introuvable micro, son outil de travail luciférien – ce qui nous ramène à Blow-Up, Blow Out et aux Frissons de l’angoisse : incapable de lire correctement un son ou une image, le héros désenchanté des années 70 se damne par ses propres moyens. Après « l’ère du soupçon » en littérature (Nathalie Sarraute), celle de la désillusion (en politique), puis du clinquant, puis du numérique hégémonique, promesse contradictoire d’éternité, d’ubiquité, de retouche permanente (support de choix pour ceux qui considèrent leur œuvre comme un work in progress, à la façon de Friedkin) mais aussi de désincarnation, de simulacre, de narcissisme (défiance de Bong Joon-ho, qui continue à utiliser la pellicule), plus prompte à provoquer des coups de sang que des coups de cœur


Ogre-prophète de cette nouvelle ère formidable de démocratie créative advenue (il parlait de tout ceci dans les années 80, avant l’invention du smartphone), Coppola commit aussi, en épitaphe de la décennie écoulée, son « expérimental » Coup de cœur, pièce montée aussi creuse que le rêve américain qui permit son érection, « innocente bluette » indigne de l’auteur de Conversation secrète, auto-remake des Gens de la pluie, les chansons en plus, et pendant de La Lune dans le caniveau, signé un an plus tard par un réalisateur le relisant, autre « cathédrale molle » (Michel Chion) avec la même actrice, la même lune bleue, le même rouge flashy (du sang sur le trottoir) et les mêmes néons en contre-plongée, doté lui aussi d’un côté Demy (Marseille remplaçant Philadelphie chez Goodis, qui dut se retourner dans sa tombe devant l’adaptation) mais le lyrisme orchestral de Gabriel Yared, et (surtout) la balançoire de Victoria Abril, en lieu et place du blues monotone de Tom Waits et de la grâce de danseuse en tenue légère de Teri Garr (Noémie Lvovsky peut d’ailleurs serrer la main de Beineix, puisque son Camille redouble semble devoir beaucoup à Peggy Sue s’est mariée).

« Tu sais ce qui cloche en Amérique ? La lumière ! » s’exclame Frederic Forrest. Là-bas peut-être, mais dans ce film, assurément ; voilà ce qui se passe quand on cède les rênes de la réalisation à son directeur de la photographie (Storaro ou Rousselot) : le décor se transforme en magasin de luminaires où pépient des automates (pour les « vrais gens », de la classe moyenne ou autre, on renverra à Cassavetes) durant quatre-vingt-quinze longues minutes, pour aboutir à un happy end aussi vain que le reste, qui ferait presque passer le très décoratif Hammett (produit par Zoetrope et renié par Wenders) pour un vrai polar et Wong Kar-wai pour Madame de La Fayette. Quant au numérique, ni panacée ni repoussoir – Coppola se félicitait alors que n’importe quelle gamine munie d’une caméra vidéo pourrait tourner un chef-d’œuvre –, Friedkin rappelait aux étourdis, lors de son passage à la Cinémathèque française, qu’un support s’apparentant à la peinture, par sa plasticité, la souplesse de ses possibilités, ne vaut que par celui ou celle qui l’utilise, son regard sur le monde et les êtres, bien éloignés des caprices démiurgiques des uns (Coppola ou Cameron) ou de l’infantilisme bruyant des autres (Rodriguez, VRP du format via son studio autarcique).


Enfonçons le clou (du cercueil de son Dracula méta) : un poème expérimental sur le couple ? L’Aurore (avec de sérieuses réserves sur l’argument manichéen). Une satire réussie de l’obscène (autant qu’un budget de 26 millions de dollars, payé par une banqueroute) Vegas ? Snake Eyes (version De Palma, puisque pas encore vu celle de Ferrara avec Madonna, créature tout droit surgie de Coup de cœur) ou même le roublard Showgirls. Une alliance de la lumière, du mouvement et de l’émotion, bases du cinéma, « le plus beau train électrique du monde » (dixit Welles) qui transporte nos désirs et nos crimes ? Les mélodrames des Archers, de Minnelli, de Sirk et beaucoup d’autres. Sis un 4 juillet, jour de l’Indépendance aux USA, ce joujou coûteux, fabriqué en totale autonomie mais avec le concours de Sony, ne possède, hélas, en guise de feu d’artifice, pas même les flammèches d’un pétard humide, et ne prophétise que la pénitence commerciale de son auteur, associée à l’avènement des simulacres narcissiques étudiés par Baudrillard, autre grand connaisseur de l’Amérique en tant que nation de fictions. Dans un court documentaire sur le tournage, Coppola déclarait : « If you don’t bet, you can’t win » ; malheureusement, pour nous et pour lui-même, il perdit tout, cette fois-ci, et jusqu’à l’inspiration...

Commentaires

  1. Que reprochez-vous à l'épouvantail? Je fais partie des idolâtres! ;-)

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    1. Avis partagé avec Biskind sur ce titre d'une importance (très) "secondaire", dont Schatzberg, ancien photographe de mode, préparerait la suite - je préfère largement Macadam Cowboy ; Friedkin, dans ses "mémoires", consacre des pages intéressantes à l'énigmatique Gene Hackman...

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    2. "Secondaire" admettons, épouvantable me paraît complètement disproportionné ( le jeu de mots était trop tentant hein? ). Personnellement le film me retourne, et sa mise en scène qui laisse la part belle aux acteurs est discrète mais éclairée. Rares sont les films aussi durs à me faire autant rire.
      J'ai de bons (lointains) souvenirs de macadam cowboy aussi

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    3. Allitération (facile ou non) plus que jeu de mots, même si, comme disait Wilde dans Le Portrait de Dorian Gray, "Le seul moyen de se débarrasser d’une tentation est d’y céder." L'épithète peut aussi s'appliquer à d'autres emblèmes ou rejetons du Nouvel Hollywood, "parenthèse enchantée" à réévaluer avec ses échecs et ses succès (dont ceux de Coppola). Un film "dur" qui fait rire ? J'en reste à Psychose ou Full Metal Jacket...

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  2. L'HOMME SANS AGE Un film de Francis Ford Coppola
    "1938, en Roumanie. Dominic Matei, un vieux professeur de linguistique, est frappé par la foudre et rajeunit miraculeusement. Ses facultés mentales décuplées, il s'attelle enfin à l'oeuvre de sa vie : une recherche sur les origines du langage. Mais son cas attire les espions de tout bord. Dominic Matei n'a d'autre choix que de fuir, de pays en pays, d'identité en identité. Au cours de son périple, il va retrouver son amour de toujours, ou peut-être une femme qui lui ressemble étrangement..."
    https://www.dailymotion.com/video/xpy1j3

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    1. https://www.youtube.com/watch?v=dDyJ4pSxC20
      https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2021/05/le-parrain.html

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