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Affichage des articles du novembre, 2016

Winter Sleep : King of the Hill

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Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Nuri Bilge Ceylan. Récompense de la patience, voire de l’endurance : à disons une demi-heure de la fin, le spectateur résistant assiste à l’une des meilleures scènes, des plus intenses, du cinéma contemporain, durant laquelle İsmail, poignardeur-prisonnier à la susceptibilité sexuée (se retrouver en « zonzon » pour des sous-vêtements féminins maritaux de vaudeville au couteau), de surcroît buveur (dans les bars) et mauvais payeur (de loyer), jette la liasse dégueulasse de billets bien-pensants apportée par la (trop) belle Nihal, venue nocturnement visiter les pauvres, soulager en secret, son mari parti à la capitale, sa conscience de jeune épouse frustrée (aucun contact tactile dans ce couple), « stérile » (pas d’enfant non plus), pleurnicharde et remplie d’acrimonie (Necla, la sœur du seigneur des lieux, ne vaut guère mieux, vipère récemment divorcée démasquant, lovée sur un confortable canapé, l’arrogance et

Iona : The Island

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Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Scott Graham. Une femme, une île : on peut bien sûr songer à Jean Grémillon ( L’Amour d’une femme ) ou à John Fawcett ( The Dark ), au Michael Powell de À l’angle du monde et Je sais où je vais (les Hébrides en partage), voire à Carl Theodor Dreyer (communauté autarcique « pétrie » de religiosité à la mode Ordet ). La jeune quarantaine, deux courts et deux longs ( Shell , sur la relation problématique, sinon interdite, entre un père et sa fille isolés) à ce jour, Scott Graham nous narre une histoire simple, heureusement débarrassée des bourgeois déprimés de Sautet ; il ne joue pas au petit malin, il filme (en trois semaines) son portrait de femme d’un air serein, au grand air maritime, peut-être magnanime, d’un bout d’Écosse ( exeunt la TV, les ordinateurs, les cellulaires). Trois temporalités se tressent dans son métrage – le présent parasité par le passé au sein d’une éternité de paysage, de pâturage (pas d

Hiroshima n’aura pas lieu : L’Histoire officielle

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Le règne du lézard (pas celui de Jim Morrison) ? Celui des cauchemars, sur « grand écran » et dans la « vraie vie »… Voici une uchronie inaboutie, majoritairement drolatique et finalement mélancolique, sous la forme de mémoires testamentaires, sinon suicidaires, à l’ombre de Poe (Baltimore oblige), où l’on croise notamment James Whale et Willis O’Brien, Truman & Reagan, où Godzilla rigole (jaune, forcément) avec Giraudoux ; James Morrow, pris un peu vite chez lui pour un avatar de Voltaire ou Swift, écrit avec modestie, empathie et hommage, évitant (de justesse) le manichéisme philosémite à défaut de donner (totalement) dans le moralisme humaniste : comme le SS des Bienveillantes , son « homme dans le costume » somatise sa culpabilité documentée, en démonstration anecdotique mais sympathique de l’innocuité (voire de l’impuissance) de la tératologie cinématographique, américaine ou japonaise, face à la réalité impunie des atrocités atomiques – l’Histoire demeure toujours o

Damnation : Le Quai des brumes

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Suite à son visionnage sur le service Médiathèque Numérique, retour sur le titre de Béla Tarr. Lenteur, noirceur, ardeur, comme si David Lynch, celui de Eraserhead , surtout (notez itou la chaînette de battant et la face féminine issues « inconsciemment » de Blue Velvet ), s’alliait à la première manière de Lars von Trier, déployée dans la célèbre trilogie en E, notamment le contemporain Element of Crime  : dans Damnation , le noir et blanc sublime la trivialité, d’un rasage ou d’un accouplement, tandis que l’attention portée au son nous fait entendre le monde malade avec une puissance d’expression inaccoutumée. Plutôt qu’un enfer européen, le film de Tarr donne à voir une sorte d’interzone à la Tarkovski (stase psychique de Stalker ), autre amateur notoire de flaques azurées, de géographies rieuses, de quadrupèdes angéliques. On ironise un brin mais l’ opus , heureusement, ne prend jamais la pose de l’Art (et essai, ou décès de la patience du cinéphile) et son histoire si si

Hara-kiri : Ronin

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La « voie du guerrier » ? Disons le chemin de croix figé, piégé, d’un homme athée, affligé, en symptôme révélateur d’un honorable ordre sociétal à honnir, sinon à décapiter… Posture et imposture, écriture et littérature : Hara-kiri s’ouvre et s’achève sur un journal peu intime, vraiment mensonger, il emboîte trois récits à des temporalités différentes, il met en pièces, à coup de sabre vengeur, la « façade » du code d’honneur nippon et rétablit in fine le décorum du mannequin saccagé, point focal de la fable féodale, comme la légende imprimée devenue réalité dans l’Ouest falsifié selon John Ford ( L’Homme qui tua Liberty Valance ). La panoplie nécrophile, vénérée par l’intendant (pas celui de Kenji Mizoguchi) du célèbre clan Ii, trône dans une brume fantastique à la Kwaïdan , avant qu’un laconique et ironique « Rien de notable à signaler » n’ouvre le bal (la danse macabre) en cet été 1630. Au présent de la diégèse, tout se déroule dans un château-tombeau visité par le génér

Wadjda : L’Effrontée

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Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Haifaa al-Mansour. Chouf, chouf : voici, venu d’Arabie (saoudite) un premier film – et non « le premier film saoudien » comme le claironne à tort une affiche, puisque précédé par un certain The Kelly Gang , apparemment – simple et sympathique, juste et maîtrisé. Sur un argument de suspense ludique, la réalisatrice livre une œuvre souriante et solaire, sise à l’ombre « illuminée » d’élections masculines, du terrorisme mortel en « piqûre d’aiguille » divine (disent-ils), d’un chauffeur venu d’ailleurs et impatienté par le court retard de l’enseignante. Si le gamin de De Sica recherchait la bicyclette de son papa, la gosse de Wadjda veut en acquérir une, belle bête verte « réservée », cassette de chansons d’amour à la clé, en signe d’amitié, au vieux vendeur de jouets. Quoi de mieux, nom de Dieu – gare au Sheitan, avec ou sans Vincent Cassel – qu’un concours coranique (pas ta mère) ? La demoiselle, plus grande q

Snowpiercer, le Transperceneige : L’Équilibre de la terreur

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Express autour du pôle, terminus hors omnibus , petit livre rouge et grand conte blanc… Nous roulons protégés dans l’égale lumière Au milieu de collines remodelées par l’homme Et le train vient d’atteindre sa vitesse de croisière Nous roulons dans le calme, dans un wagon Alstom, Dans la géométrie des parcelles de la Terre, Nous roulons protégés par les cristaux liquides Par les cloisons parfaites, par le métal, le verre, Nous roulons lentement et nous rêvons du vide. Michel Houellebecq, Célibataires , Présence humaine « Une fois à leur place, on sera différents » affirme Curtis, messie récalcitrant mais vaillant, à Edgar, disciple rescapé de son appétit tabou ; plus tard, Wilford, amphitryon méphistophélique, lui susurre : « Le train est le monde. Nous sommes l’humanité. » L’ingénieur isolé (avatar vieilli du hikimori du segment Shaking Tokyo ), en train de cuire un steak , donne au leader forcément « charismatique », accessoirement cannibale, un pe

Cosmos : Microcosmos

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La fin et le (re)commencement, les signes insaisissables du réel « en soi » puis l’artifice artisanal du cinéma, des funérailles ou des retrouvailles… Le film se termine par un double montage alternant les possibles ( Le Hasard de Kieślowski en alterné, en accéléré, disons) ; voici ce que j’envisageais de rédiger en ouverture avant visionnage :  Regarder un film de Żuławski ressemble au fait d’enfoncer ses doigts (ou une autre partie de son anatomie) dans une prise de courant. On pouvait certes reprocher deux ou trois choses à Andrzej (cf. notre portrait), mais pas de créer des œuvres d’art bourgeois (bourgeois, les super-héros fachos, les pharisiens des réseaux sociaux ; bourgeoise, la façon de faire des films, en France et ailleurs, d’écrire dessus, de les consommer, les récompenser). Le Polonais de France célébré aux États-Unis se moqua durant toute sa carrière (quel mot de fonctionnaire) du « politiquement correct », bien avant que cette abjection ne trouve un nom et