Cadavres exquis dans le 7e Art : Quatre créateurs du cinéma mondial : L’Argent


Le chic du fric pour « faire la nique » capitaliste aux critiques auteuristes…  


L’auteur sait lire plutôt qu’écrire ; du reste, personne ne lui demande de jouer les Michelet du cinéma et, en tant qu’historienne improvisée, elle s’en sort honorablement, au-delà de confusions graphiques ou identitaires passagères (Welles pour Wells, King pour Charles Vidor, Retour vers l’enfer au lieu de Voyage au bout de l’enfer, « Sylvio » Berlusconi et compagnie). L’ouvrage, épais et fluide, aux faux airs de Vidal et au titre nécrophile discutable, vaut essentiellement pour son caractère synthétique (l’appareil des notes, souvent des renvois bibliographiques, fait une trentaine de pages). Marie-Christine de Montbrial, elle-même productrice pour les écrans petit et grand, accessoirement ancienne de Gaumont, retrace le parcours professionnel et privé d’un quatuor de valeur et de pouvoir, avec à l’arrière-plan sept décennies de création et de commerce des deux côtés de l’Atlantique. Elle se base sur des biographies antérieures dont certaines non traduites en français, autant que sur ses propres souvenirs pour ainsi dire décantés, mis à distance et en perspective par le défilement des années, puisqu’elle connut et/ou travailla en compagnie de Gérard Lebovici et Daniel Toscan du Plantier (qui lui « donna sa chance », donc). On n’apprend pas grand-chose sur Selznick, un peu plus sur Lew Wasserman, on révise ce que l’on savait de Lebovici et DTP.



Modestes débuts ou cuillère dite dorée, rencontres primordiales et femmes dans l’ombre tout sauf effacées, fréquentations mafieuses et assassinat de fait divers, détermination, ascension, révolution, disparition, judéité discrète, comptabilité « créative », mémos monomaniaques et mécénat de mélomane à la marguerite, agence puis empire artistico-économique, Tara à Atlanta, MCA & Artmedia, Universal ou Champ libre, la Hollywood Canteen versus Wall Street, Ingrid (ou Ingmar) Bergman, Francesca Comencini, Bette Davis, Betty Grable, Isabelle Huppert, Jennifer Jones, Vivien Leigh, Sabrina Mesrine, Marilyn Monroe, Isabella Rossellini, Jean-Paul Belmondo, Guy Debord, Gérard Depardieu, Federico Fellini, les frangins Kennedy, « Joe » Losey, les Mitterrand (François puis Frédéric), Maurice Pialat, Alain Poiré, Jean-Pierre Rassam, Ronald Reagan, Myron S. et Frank Sinatra, Steven Spielberg, James Stewart ou Hitchcock en point commun (le O différencié de David Selznick moqué via le protagoniste de La Mort aux trousses ?) : la ronde se déploie une nouvelle fois. Madame de Montbrial maîtrise son domaine (contrairement à l’opinion répandue, un producteur paie rarement), sait en parler avec pédagogie, clarté, esquissant des silhouettes sans succomber au name droping, à la psychologie, à la sociologie (en bon littéraire, nous ne prêtons foi, et encore, qu’aux sciences « dures », non au ramassis d’impostures « intellectuelles » classées en « sciences humaines »). « Pour l’anecdote » ironique, son gros livre rouge occupait à prix très réduit et à l’état neuf une travée de bazar, parmi ses semblables invendus !  



Produire, dit-elle, pourrait-on pasticher la Duras – à défaut de proposer un vrai point de vue stylistique et politique sur ce sujet essentiel, n’en déplaise aux rêveurs, aux mystificateurs, à tous ceux qui ne veulent se salir les mains et les yeux au contact de l’argent, du relationnel, de la fabrication et diffusion concrètes des œuvres, des produits, qui se gargarisent à longueur de prose morose avec les « obsessions » des cinéastes, le glamour des stars, l’éphéméride hebdomadaire des sorties, cette évocation roborative – et parfois amnésique, quand elle oublie de signaler l’éviction de Bernard Herrmann sur Le Rideau déchiré, due en partie aux pressions pop de Wasserman, ou œcuménique, lorsqu’elle tire comme moralité sucrée d’ensemble une réconciliation générale et « familiale » – se lit cependant sans déplaisir et s’achève par quelques observations contemporaines assez judicieuses sur le morcellement des responsabilités, l’essor de nouveaux marchés (en Asie ou Russie), sans omettre la faible représentation féminine au poste et à toutes les époques. Maître d’œuvre insomniaque-obsédé, chef d’entreprise taciturne, « éminence grise » polyvalente ou esthète dispendieux en quête de modèles paternels, chacun des « grands hommes » pragmatiques et romanesques incarna une certaine idée souvent passionnée du cinéma.

Aujourd’hui, il faut compter, au propre et au figuré, avec la TV, les aides étatiques, les départements « indépendants » des studios majoritaires, le numérique émergent, Luc Besson, Jérôme Seydoux, Jerry Bruckheimer ou les Weinstein Brothers – affaires amères, mon frère d’euro ou de dollar...

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