Gandahar : Cortex


Suite à son visionnage sur le service Médiathèque Numérique, retour sur le titre de René Laloux.


Passé-futur du récit et d’une double prophétie en miroir de la réalité de la production : l’enfant bleu des années 70 dut attendre une décennie pour parvenir jusqu’à l’écran du fric, du SIDA, de la pornographie domestique et des boîtes à rythmes. Mitterrand & Reagan : les frères Weinstein tripatouillent avec un nouveau titre à la Kylie Minogue et l’appui d’Asimov aux dialogues (Raphaël Cluzel écrivit en partie Thomas l’imposteur pour Franju), de Glenn Close substituée à notre Anny Duperey endeuillée. Voilà Caza, après Topor et Mœbius, dont Les Maîtres du temps, sorte de rencontre du Petit Prince avec le Petit Poucet, « traumatisa » certaines enfances hexagonales et perceptives. Appréciable et symbolique ironie que d’aller concrétiser en République Démocratique de Corée (Kwang-seun Kim à la manœuvre), pour des motifs financiers, ce conte politique, discrètement érotique, sur le destin, la dictature, l’anormalité, le suicide d’une pensée littéralement « unique », incarnée dans les basses amusées de la voix de Georges Wilson. Gabriel Yared compose une tapisserie sonore évocatrice tandis que Christian Zanessi se charge de la marche martiale des hommes en métal au creux vertigineux, en présage du Prophecy Theme de Brian Eno pour Dune. On pense évidemment, naturellement, à Métal Hurlant (Philippe Gauckler assure le design des machines), on se remémore Richard Corben à cause de ce bleu psychédélique dominant, de ces doux éclats de couleurs surréelles ; on songe à Jean-Claude Forest en raison de la sensualité généralisée, faune, flore, femmes aux seins nus et aux crânes rasés allaitant des créatures animales aux allures de tatous, surgies de plantes phalliques en orgasmes liminaires.





Le rêve d’une utopie matriarcale refusant la technologie, baignée dans la « douceur de vivre » et l’oubli du « métier de la guerre », inclut des expériences génétiques, voire eugénistes, en boomerang et en bannissement. Les monstres exclus-reclus dans leurs grottes s’avéreront sauveurs de la planète pas si pacifique et le cerveau des origines voudra juguler son désir totalitaire à venir. Sa vieillesse usée, métallique, se nourrit en masse de corps jeunes et beaux en réminiscence de l’extermination nazie et son VRP tient un discours communiste sur l’abolition du moi individuel. Un couple gentillet, elle, sirène villageoise au parfum d’océan, lui, « servant » inexpérimenté au prénom forestier, se voit libéré d’un œuf violet par un dinosaure maternel puis sucré de la version US puritaine. Gandahar, lutte mentale (cf. l’envol de Jasper, féminine forteresse anthropomorphe au visage hiératique) et culturelle – de la SF animée en France ? Et puis quoi, encore ! –, brasse quelques thématiques essentielles du « genre » d’après un roman de Jean-Pierre Andrevon mais repose surtout sur une belle idée contradictoire – la pétrification du mouvement. Laloux, clairvoyant, le dit lui-même à Positif, le cinéma (ou la photographie) crée des fantômes, s’inscrit dans le passé, le dessin animé fait advenir un futur, donne vie aux croquis au moment de la projection. Les gandahariens, cueilleurs et non chasseurs, se figent temporairement sous le feu de lasers très vintage, statues de pierre horrifiées en rime avec les fossiles sexuels de Pompéi, les victimes de Méduse ou la femme de Loth devenue sel en récompense d’un regard en arrière sur Sodome et Gomorrhe, capitales bibliques de la « petite mort ». Le dénouement impose en vitesse une épiphanie rassurante, mariage de la tête revenue dans les airs, des jambes des combattants à terre, en clin d’œil aux noces disons anatomiques de Metropolis.





Avec ses oiseaux-miroirs à la Cocteau, avec sa poésie d’une autre époque, avec ses mille ans de sommeil écoulés en un seul plan, le film boucle ainsi une belle trilogie, car on ne doute pas des vertus de La Planète sauvage ni de celles des courts métrages d’un auteur majeur et modeste de l’animation francophone, logiquement installé à Angoulême avant de rejoindre, voici une douzaine d’années, ses aimables allégories adultes dans leur espace-temps aléatoire, alternatif, addictif, via une porte stellaire ne fonctionnant plus cette fois, hélas ou heureusement, « dans les deux sens ».


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Les Compagnons de la nouba : Ma femme s’appelle Maurice

La Fille du Sud : Éclat(s) de Jacqueline Pagnol

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot : Le Trou noir