Le Chant du Missouri : Black Christmas
Une Garland de Noël…
Americana gothique
à la Norman Rockwell, small town provinciale
et intemporelle où s’ébroueront bientôt les gremlins
irrésistibles du facétieux et nostalgique Joe Dante (lui-même relisant La
vie est belle de Capra à l’aune du jeunisme
adolescent et de la cinéphilie « cinéphage » des années 80), neige
aussi artificielle que les paradis promis par Louis B. Mayer à son interprète
principale, alors majeure et refusant de jouer le rôle d’une gamine de dix-sept
ans (mais la brebis égarée rentrera vite au bercail de l’impitoyable patron de
la MGM, amateur de divertissements familiaux et pourtant fournisseur de pilules
multicolores pour contrôler les poupées perdues de sa vallée), récit d’un exil
volontaire vers l’inconnu, vers l’urbaine et cosmopolite New York, qui donnait
aussi des sueurs froides au cher
Lovecraft, mais pour d’autres raisons (racistes) : dans ce passage
d’anthologie, Minnelli filme avec amour la femme de sa vie, qu’il vient de
rencontrer (notons que la rumeur lui prête une « nature » davantage bi qu’hétéro, et le thème de la différence,
sexuelle ou autre, reviendra fréquemment dans sa filmographie, notamment sous
une forme homosexuelle pour Thé et Sympathie), dans une chanson
dépressive et poignante (la version originale, encore plus « sombre »
et désespérée, dut être amendée à la demande de Judy Garland), qui rend bien
compte de la tension du film tout entier, classique doucereux à destination des
enfants, pâtisserie sucrée de Noël parcourue par la mélancolie adulte de son
réalisateur, sa vision impitoyable de la famille et de la nation, lieux
anxiogènes de déchirement et de luttes sans merci entre l’idéal et la réalité,
l’individu et le collectif, la chair et l’esprit (la séquence dédiée à
Halloween creuse un étonnant bloc d’abîme
dans la tapisserie joyeuse et chamarrée de l’ensemble, avec la fameuse The
Trolley
Song en acmé, présage méconnu de la terreur chez Carpenter, autre conte
de fées pour les plus de dix-huit ans).
Cinéaste saturnien, raffiné,
politique et décoratif encore largement sous-estimé, Minnelli capte
magnifiquement le vibrato de sa muse (réduit à un truc par l’injuste Liza !) sous la puissance lacrymale de son hymne à un Brigadoon sur le point
d’être perdu, et qui n’exista jamais en dehors des studios (parfois) étouffants
de « l’usine à rêves ». Le geste final de la sœurette détruisant avec
violence ses trop jolis bonshommes de neige, sous le regard surplombant de son
père en position « divine » (comme les chirurgiens chez Sirk), en dit
long sur la colère du cinéaste, sa rage équilibrée par un sens esthétique
éclatant de maturité, d’évidence sensuelle (qui doit aussi beaucoup aux talents
en production design de la compagnie,
pas encore démembrée, ses trésors soldés, souillés, par l’imbroglio financier
du Crédit lyonnais !). Le Chant du Missouri, grand
mélodrame sur la fin de l’enfance, sur les souvenirs laissés derrière soi, ou
dans une boule en verre à paillettes agitée par des mains de vieillard (le
citoyen Kane ?), distille son charme funèbre, depuis soixante-dix ans, sur
les cinéphiles plus ou moins enfantins, et l’occasion faisant comme chacun sait
le larron (ceux de la Crucifixion, pour rester dans le contexte), réécoutons
donc une fois encore, avec un mouchoir à proximité, ce torrent d’amour (Cassavetes) et de larmes, intact dans son
Technicolor impérissable et dans sa douleur sublimée (et sublime)…
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