Un enfant attend


Un métrage, une image : La Nuit des masques (1978)


Une fois soulevé le masque de circonstance, une fois franchie la frontière invisible du champ-contrechamp, qui nous tenait jusqu’alors dans l’obscurité subjective d’une lourde respiration, une fois hors de la maison, dans cette rue nocturne d’une banlieue américaine, aux pelouses taillées au cordeau, aux horizons géométriques anxiogènes à force de solitude, où tout le monde connaît tout le monde, mais où une enfant adoptée ignore tout (vraiment ?) de son frère, remplie ce soir de lueurs et de cris horrifiés, stupéfiés, que voit-on enfin, sinon le visage éperdu d’un enfant égaré dans sa forteresse vide, à jamais prisonnier de son Antre de la folie, petit Prince des ténèbres bien plus redoutable que La Chose pratiquant ses métamorphoses dans des glaces empruntées à Poe & Lovecraft, monstre tombé du ciel quand celui qui nous fixe désormais, par les yeux duquel nous voyions précédemment, semble si proche de nos propres garnements, de nos anciennes incarnations, et cependant hors d’atteinte, étranger parmi les siens, meurtrier de sa sœur s’essayant aux délices sexuels de l’adolescence, tenant d’une petite main un couteau brillant, écho du giallo – la lumière aveuglante de sa nuit intime – bien trop grand pour lui, dans son costume chamarré vierge de la moindre trace de sang, bientôt adulte abstrait, Forme qui va et tue comme d’autres respirent et perdent leur virginité, à la recherche de Laurie, de Jamie, défiant son vieil homme de psychiatre, père truqué vaincu par le puits sans fond de son regard, cette humanité disparue qui le rend immortel, invisible, insaisissable, automate de pure terreur venu terroriser les petites filles et les petits garçons dans leur vie et leurs rêves, bien avant un certain Freddy immolé par les mêmes parents WASP : oui, Michael Myers, dans le redoublement de ses initiales mortelles qui n’implorent que l’amour (aime, aime), possède la puissance mythique des contes et la proximité létale d’un voisin surgissant, grâce à John Carpenter, à l’intérieur du territoire familier (de l’enfance ou de la communauté), à la façon d’un incompréhensible bloc d’abîme, aussi patient que l’Enfer.

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